Article

L’histoire depuis la Confédération

L’histoire du Canada depuis 1867 est, à bien des égards, une réussite. Pendant un siècle et demi, des gens de langues, de cultures et de milieux différents, se sont retrouvés dans les vastes étendues septentrionales du continent et ont bâti une société libre dans laquelle les communautés régionales peuvent croître et prospérer, tout ceci lié par un même fil conducteur : une identité nationale émergente. Des faux pas ont été commis en cours de route, dont la lutte des Autochtones pour leur survie et les tensions omniprésentes en ce qui concerne l’unité fédérale. Néanmoins, le Canada est devenu pour le reste du monde, un exemple d’un État-nation moderne et réalisable. 

Son développement se décompose selon les périodes suivantes :

(1867-1913) Immigration et industrialisation

(1914-1918) Guerre, victoire et autonomie

(1919-1938) Conflits de travail et la Crise des années 1930

(1939-1945) Deuxième Guerre mondiale

(1945-1971) La guerre froide et le programme du Québec

(1972-1980) Le cours de l’inflation et les clivages régionaux

(1981-1992) La décennie de la Constitution

(1993-2005) L’hégémonie libérale

(2006-2014) L’essor de l’Occident

(1867-1913) Immigration et industrialisation

Le nouvel État de 1867, qui a commencé avec la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec et l’Ontario, s’élargit de façon extraordinaire en moins de 10 ans, pour se déployer d’un océan à l’autre. La Terre de Rupert, qui s’étend du nord-ouest du Québec aux Rocheuses et à l’Arctique, est achetée à la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1869 et 1870. Une partie de ce territoire devient le Manitoba et les Territoires du Nord-Ouest en 1870. Un an plus tard, sur la côte du Pacifique, la Colombie-Britannique entre dans la Confédération à la condition que l’on construise un chemin de fer transcontinental. L’Île-du-Prince-Édouard s’y joint en 1873. En 1905, à la suite d’une immigration massive vers les Prairies occidentales, l’Alberta et la Saskatchewan obtiennent le statut de province (voir Évolution territoriale).

Le rêve de sir John. A Macdonald

Sous la direction du premier ministre du Canada, sir John A. Macdonald, et de son principal collègue du Québec, sir George-Étienne Cartier, le Parti conservateur, qui restera au pouvoir presque sans interruption jusqu’en 1896, s’engage à poursuivre la Politique nationale expansionniste. Il accorde au Chemin de fer du Canadien Pacifique (CFCP) subventions et concessions, et le réseau ferroviaire est parachevé en 1885. Le gouvernement érige aussi une barrière douanière afin de protéger l’industrie canadienne de toute concurrence étrangère, surtout américaine. L’autre objectif, le peuplement massif de l’Ouest, ne sera atteint que sous le règne du libéral, après 1896. Durant toute cette période, plusieurs critiques s’opposent au monopole du CP et maintiennent, comme la plupart des habitants de l’Ouest, que les tarifs douaniers élevés profitent surtout au centre du Canada. Pourtant, ces tarifs bénéficient d’un appui solide dans certaines régions des Maritimes.

L’éveil du nationalisme radical

Dès les premières années de la Confédération, émergent deux mouvements importants qui défendent avec passion leur conception du nationalisme. Au Canada anglais, la majesté même du pays, les ambitions et l’idéalisme d’une jeunesse intellectuelle et le risque d’absorption par les États-Unis activent la progression du mouvement Canada First tant en littérature qu’en politique qui fait la promotion de la race et de la culture anglo-protestante au pays et une féroce volonté d’indépendance vis-à-vis des États-Unis. Cependant, il manque quelque chose à la vision nationaliste-impérialiste des partisans du mouvement : ils n’admettent pas le caractère distinctif de la culture française et catholique romaine qui a pourtant participé à la formation du pays.

Leurs équivalents au Québec, les ultramontains (voir Ultramontanisme), croient en la suprématie du pape, en l’Église catholique et en la domination du clergé sur la société. Le mouvement, qui tire ses origines de la contre-révolution européenne du milieu du XIXe siècle, trouve un terrain favorable au Canada français, irrité par la reconquête britannique après l’échec des rébellions de 1837 et peu disposé à accepter une démocratie laïque en Amérique du Nord. En 1850, l’avènement du gouvernement responsable en Nouvelle-Écosse et dans la Province du Canada, et du fédéralisme de la nouvelle Confédération, encourage ces partisans du cléricalisme dans leur tentative de « purifier » la politique et la société québécoises par une pensée catholique et conservatrice. Le rempart du catholicisme et de l’identité du « Canadien » reste la langue française; la Confédération est un mal nécessaire, l’association non catholique qui met le moins en péril leur identité culturelle. Le séparatisme, jugé impensable et impraticable devant la menace que constituent la laïcité et le matérialisme des Américains, est rejeté. Mais une vision nationale pancanadienne ne fait pas partie de leur doctrine.

Ces deux points de vue extrêmes et antagonistes vont coexister tant que les populations anglophone et francophone demeureront séparées et que les échanges sociaux et économiques seront restreints. Mais avec le peuplement des zones frontalières de l’Ontario et de l’Ouest et l’industrialisation progressive du Québec, les conflits se multiplient. Les cinglantes attaques des ultramontains contre le catholicisme libéral et la libre pensée au Québec suscitent l’inquiétude chez les protestants du Canada anglais, tandis que l’intolérance envers la minorité catholique francophone à l’extérieur du Québec, qui réclame des écoles françaises, soulève l’ire des Québécois (voir Question des écoles du Manitoba). La prépondérance sociale et économique des anglophones de la classe affaires canadienne au Québec ne fait qu’aviver ce sentiment.

Prospérité et croissance

Au début, la croissance économique est lente et varie considérablement d’une région à l’autre. Le développement industriel profite toujours au sud de l’Ontario, à la vallée du haut Saint-Laurent et à certaines régions des Maritimes. Mais les techniques agricoles modernes, l’épuisement des sols et la hausse excessive des tarifs douaniers américains sur les produits agricoles provoquent l’exode des populations rurales ontariennes qui vivent à l’ouest de Toronto et dans les campagnes québécoises, où de moins en moins de fermiers arrivent à vivre de la terre. Dans les Maritimes, le déclin des industries traditionnelles du bois et de la construction navale déclenche aussi un mouvement d’émigration. L’économie des Maritimes est aussi touchée par le dépérissement des liens commerciaux bilatéraux avec les États de la Nouvelle-Angleterre, en bonne partie à cause de la politique nationale protectionniste d’Ottawa. Dans l’ensemble, entre 1870 et 1890, 1,5 million de Canadiens quittent le pays, la plupart pour les États-Unis (voir Population).

Heureusement, des jours meilleurs s’annoncent avec une vague d’immigration : les immigrants, d’un peu plus de 50 000 en 1901, sont 8 fois plus nombreux 12 ans plus tard. Entre 1891 et 1911, la population du pays passe de 4,8 millions d’habitants à 7,2 millions. Le « boom du blé » des Prairies contribue pour une large part à la prospérité nationale. La production de blé fait un bond de 8 millions (1896) à 231 millions de boisseaux (1911). La population des Prairies s’accroît de façon spectaculaire, nécessitant la création des provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan en 1905 et le parachèvement de deux réseaux ferroviaires transcanadiens, le Grand Trunk Pacific Railway et le Canadian Northern Railway. Les villes de l’Ouest, Winnipeg et Vancouver surtout, connaissent un développement indépendant comme centres de commercialisation et d’expédition. L’Ontario accueille près de 30 % de la nouvelle immigration, Toronto se taillant la part du lion grâce à ses manufactures, son industrie d’élevage, ses magasins et ses chantiers de construction. Du tournant du siècle jusqu’en 1914, Toronto et Montréal vont plus que doubler leurs populations respectives.

Changements sociaux, expansion gouvernementale

À mesure que le Canada fait place à une société industrielle et urbaine, les réseaux privés et familiaux d’entraide et d’assistance sociale tombent en désuétude. L’engagement actif du mouvement Social Gospel chez les protestants et la multiplication des activités d’assistance sociale du clergé et des associations catholiques constitue une solution appréciable, mais elle n’est plus vraiment adaptée aux besoins de la population. Les gouvernements, surtout à l’échelle provinciale, accroissent leur rôle dans les domaines de l’éducation, du travail et du bien-être social. Les femmes s’engagent de plus en plus activement dans les réformes sociales et commencent à exercer des pressions pour obtenir le droit de vote.

Avec l’immigration, le Canada devient une société multiculturelle, du moins dans l’Ouest et dans les principales villes industrielles. Presque le tiers des immigrants sont originaires de pays européens non anglophones. Ukrainiens, Juifsrusses, Polonais, Allemands, Italiens, Hollandais et Scandinaves constituent les groupes les plus importants. En Colombie-Britannique, de petites communautés chinoises, japonaises et indiennes orientales croissent. Les Canadiens anglais comme les Canadiens français éprouvent un certain malaise face à la présence de tant d’« étrangers », mais l’ancien modèle social du Canada se trouve à jamais modifié.

Résistance dans l’Ouest

Autochtones est réduite et leur degré d’autonomie amoindri. Si les Inuits de l’Arctique ne sont guère touchés par ces changements, la plupart des Premières Nations et des Métis de l’Ouest doivent abandonner leur mode de vie lorsque les colons blancs, l’agriculture et le transport ferroviaire empiètent sur leurs territoires de chasse. En 1869 et en 1870, dans la région de la rivière Rouge, puis en 1885 à Batoche (Saskatchewan), des Métis menés par Louis Riel se rebellent, mais en vain (voir Résistance de la rivière Rouge; Résistance du Nord-Ouest). Un certain nombre de Premières Nations participent directement au deuxième soulèvement. Ailleurs, la colonisation de l’Ouest se déroule sans incident, par l’achat de terres en échange de traités et de droits de réserves pour les Premières Nations, et par des concessions territoriales pour les Métis. La nouvelle police à cheval du Nord-Ouest s’occupe d’y maintenir l’ordre.

Sir Wilfrid Laurier

En 1896, sir Wilfrid Laurier, un Québécois catholique libéral, prend la tête d’un pays qui connaît une prospérité sans précédent. Ses 15 années de pouvoir seront toutefois marquées par le tumulte et se termineront par la détérioration des relations avec la Grande-Bretagne et les États-Unis. À l’époque, la Grande-Bretagne s’emploie à unifier et à renforcer son Empire. Bon nombre de Canadiens anglais endossent ce sentiment impérial tout en favorisant les ambitions nationalistes canadiennes, et réclament l’accroissement du rôle du Canada dans l’Empire. Ils pressent le gouvernement Laurier de soutenir les Britanniques dans la guerre des Boers (1899-1902) et de constituer une marine canadienne en 1910. C’est dans cet esprit que le Canada contribue massivement en effectifs et en dollars à la cause britannique durant le cataclysme de la Première Guerre mondiale.

Le gouvernement Laurier subit la défaite aux élections générales de 1911 : les impérialistes canadiens-anglais ne le trouvent « pas assez britannique », alors que le mouvement nationaliste québécois, mené par Henri Bourassa, le considère « trop britannique » et craint qu’il n’engage les jeunes Québécois dans des guerres qui ne concernent pas vraiment le Canada. Mais la cause principale de la défaite de Laurier demeure sa proposition d’accord de réciprocité commerciale ou son accord de libre-échange avec les États-Unis, qui aurait mené à l’abolition ou à la réduction réciproque des droits de douane sur les produits « naturels » de la ferme, des forêts et des pêches.

Les magnats de la finance, de l’industrie et du transport canadiens ont éveillé la forte méfiance des Canadiens à l’égard des intentions économiques des États-Unis, et, grâce à leur soutien, l’opposition conservatrice de Robert Borden réussit à convaincre l’électorat que l’autonomie de l’économie canadienne et les possibilités de commerce avec l’Empire sont sur le point d’être abandonnées au profit d’une absorption économique, peut-être même politique, par les États-Unis.

(1914-1918) Guerre, victoire et autonomie

Bien que les craintes économiques aient aidé Borden à se propulser au pouvoir, c’est la guerre outre-mer qui devient vite une préoccupation pour son gouvernement plutôt que les questions du commerce et de l’économie. Les grandes puissances de l’Europe s’étaient lancées dans un conflit comme on n’en avait jamais connu et l’Angleterre était entraînée dans la Première Guerre mondiale, y attirant par le fait même le Canada. La participation volontaire des Canadiens aux forces aériennes, terrestres et navales est substantielle (voir Effort de guerre au Canada). Mais en 1917, la conscription, ou le service militaire obligatoire, déchire le pays. La question est soulevée à la suite d’un manque d’effectifs militaires sur le front occidental de l’Europe. La victoire subséquente du gouvernement d’union de Borden, formé de libéraux et de conservateurs canadiens-anglais partisans de la conscription, sur les libéraux de Laurier appuyés en majeure partie par les Canadiens français, les immigrants non britanniques et les éléments syndicaux radicaux contre la conscription, accentue la division nationale.

Le Canada se démarque sur la scène mondiale

La guerre a malgré tout des effets bénéfiques sur le développement du pays. La productivité et le rendement industriels augmentent. En tant que signataire du traité de Versailles et membre fondateur de la nouvelle Société des Nations, le Canada est reconnu à l’échelle internationale. Par ailleurs, le rôle des femmes dans la société canadienne change de façon significative. Elles obtiennent le droit de vote au fédéral, surtout pour des motifs politiques partisans, et leur remarquable contribution à l’effort de guerre, dans des emplois souvent salissants et difficiles, et donc considérés comme « non féminins », inspire le respect. Leur participation au marché du travail leur donne aussi envie d’y occuper une plus grande place. Collectivement, tous les Canadiens, hommes et femmes, entrent alors de plain-pied dans la société de consommation occidentale.

La guerre elle-même provoque un véritable carnage à une échelle industrielle et le Canada en paye le prix fort. Parmi les quelque 630 000 hommes qui servent dans le Corps expéditionnaire canadien, 425 000 sont envoyés outre-mer et sont témoins des horreurs des champs de bataille d’Ypres, de Vimy, de Passchendaele et d’ailleurs. D’ici la fin, plus de 234 000 Canadiens sont tués ou blessés durant la guerre.

En 1919, la tentative de retour à une économie de paix est vite assombrie par l’inflation et le chômage, de même que par la chute désastreuse du prix des céréales sur les marchés mondiaux. Les conflits ouvriers s’intensifient de façon dramatique, le mécontentement des fermiers entraîne le renversement des gouvernements de l’Ouest et de l’Ontario, et l’économie des Maritimes s’effondre. Au Québec, le ressentiment provoqué par la conscription reste intense. La période d’innocence du Canada est dorénavant chose du passé.

(1919-1938) Conflits de travail et la Crise des années 1930

Entre les deux guerres mondiales, la population canadienne passe de 8 à 11 millions d’habitants; la population urbaine s’accroît encore plus rapidement, passant de 4 à 6 millions d’habitants. La Première Guerre mondiale fait naître l’espoir d’un Canada prospère, mais la paix n’offre que désillusion et désordre social. L’engagement dans les forces armées et l’essor des usines de munitions créent une pénurie de main-d’œuvre pendant la guerre, ce qui, en retour, facilite les négociations collectives avec les ouvriers. Les griefs relatifs aux salaires et aux conditions de travail ne manquent certes pas, mais l’appel au patriotisme suffit généralement à contenir le militantisme. Le nombre de syndiqués passe de 143 000 en 1915 à 379 000 en 1919 et, une fois la guerre terminée, il n’est plus question pour eux de taire leurs revendications. Même les travailleurs non syndiqués s’attendent à ce que la paix leur procure des avantages économiques substantiels.

Conflits de travail

Les employeurs partagent un tout autre point de vue. Les contrats de munitions ont pris fin de façon abrupte et les manufactures se sont reconverties à la production locale. Les anciens combattants envahissent le marché du travail, ajoutant à la confusion. Certains chefs d’entreprise et dirigeants politiques, inquiets des répercussions possibles de la révolution russe de 1917, interprètent aussitôt les demandes des ouvriers, surtout lorsqu’elles sont exprimées avec une ardeur militante, comme une menace à l’ordre établi. Il en résulte le conflit de travail le plus violent de l’histoire du Canada. En 1919, avec une force ouvrière de 3 millions de personnes, les grèves et les lock-out font perdre presque 4 millions de jours ouvrables. La grève la plus notoire cette année-là, la grève générale de Winnipeg, revêt une importance symbolique. Le conflit débute par le débrayage des syndicats de la construction, désireux d’obtenir une reconnaissance syndicale et de meilleurs salaires, mais il prend énormément d’ampleur lorsque les travailleurs syndiqués et non syndiqués de la ville déclenchent une grève de solidarité. Les hommes d’affaires et les politiciens des trois ordres de gouvernement craignent une révolution. On arrête dix meneurs de grève et la police à cheval réprime une manifestation. Au bout de cinq semaines, les grévistes acceptent un règlement symbolique, mais la grève est bel et bien matée.

Les conflits de travail se poursuivent néanmoins, causant des pertes annuelles moyennes d’un million de jours ouvrables jusqu’au milieu des années 20. Dès lors, la récession d’après-guerre se résorbe, et le niveau d’emploi et de salaires atteint des sommets records jusqu’à la fin de la décennie. Entre-temps, des militants syndicaux se sont détournés des milieux économiques pour entrer en politique. Au début de la décennie, certains d’entre eux se présentent avec succès aux élections provinciales de la Nouvelle-Écosse, de l’Ontario et des quatre provinces de l’Ouest, et J.S. Woodsworth, un politicien, prédicateur pionnier du mouvement socialiste devient le député de la circonscription de Winnipeg-Nord à l’issue des élections fédérales de 1921.

Mackenzie King et la nouvelle politique

La guerre laisse également en héritage les doléances de la société rurale (voir Société rurale au Canada anglais et Société rurale au Québec). L’exode rural s’est accéléré pendant la guerre, mais l’insatisfaction des fermiers a surtout trait au gouvernement d’union de sir Robert Borden, qui avait promis aux travailleurs agricoles une exemption à la conscription, pour ensuite les enrôler. La chute soudaine des prix des produits agricoles ne fait qu’intensifier leur amertume. Aux élections provinciales d’après-guerre, des partis de fermiers forment les gouvernements de l’Ontario, du Manitoba et de l’Alberta, et, aux élections fédérales de 1921, remportées par les libéraux de William Lyon Mackenzie King, le nouveau Parti progressiste obtient le nombre étonnant de 65 sièges avec la promesse d’abaisser les tarifs douaniers, le taux du transport des marchandises et d’engager le gouvernement dans la commercialisation des produits agricoles.

Vers la fin des années 20, les protestations sociales perdent de leur vigueur. L’expansion industrielle, financée en grande partie par les Américains, fournit de l’emploi dans les secteurs de l’industrie de l’automobile, des pâtes et papiers et de l’exploitation minière. Le revenu agricole se remet de la récession d’après-guerre, atteignant un sommet de plus d’un milliard de dollars en 1927. Le système politique va aussi s’adapter au nouveau contexte social. La plupart des gouvernements des provinces établissent le salaire minimum peu après la guerre, le gouvernement fédéral réduit les tarifs douaniers et de transport et institue les pensions de vieillesse. Vers la fin de la décennie, le rêve de changement social s’est dissipé. Même les mesures de prohibition qui sévissaient pendant la guerre ont fait place à la vente lucrative d’alcool par les régies provinciales.

La Crise des années 1930

Toutefois, la période prospère de la fin des années 1920 ne dure pas. En fait, celle-ci dissimule des problèmes dans les marchés financiers et la venue du traumatisme de la Crise des années 30. Pour les fermiers, elle commence en 1930 avec la chute du prix du blé à moins d’un dollar le boisseau. À peine 3 ans plus tard, ce dernier ne vaut que 40 cents. Le prix des autres produits agricoles s’est aussi brusquement affaissé. Les fermiers des Prairies sont les plus touchés parce qu’ils dépendent des revenus de leurs récoltes et que la chute des prix coïncide avec une période cyclique de sécheresse qui entraîne de mauvaises récoltes et un manque de nourriture pour le bétail. Les revenus en espèces des fermiers passent de 620 millions de dollars en 1928 à 177 millions en 1931; la barre des 300 millions ne sera franchie qu’en 1939.

La crise frappe aussi plusieurs ouvriers des usines qui ont perdu leur emploi. À l’époque, les statistiques sur le chômage ne sont pas vraiment fiables, car l’assurance-chômage n’existe pas. Nous n’avons donc pas de données compilées, mais on estime que le chômage, qui affecte 3 % de la main-d’œuvre ouvrière en 1929, atteint 20 % en 1933. Vers la fin de la décennie, son taux se fixe à 11 %. Même ces chiffres restent trompeurs : la main-d’œuvre ne comprend que ceux qui ont un emploi rémunéré et ceux qui cherchent un emploi, ce qui exclut la plupart des femmes. Ceux qu’on identifie comme étant sans emploi sont souvent le seul soutien de famille.

Le rôle du gouvernement évolue

Les électeurs se tournent vers les gouvernements afin d’obtenir une sécurité financière que le système ne peut leur procurer. Plusieurs gouvernements, incapables de réagir ou trop lents à le faire, sont remplacés par d’autres dès que l’occasion se présente. Les libéraux de Mackenzie King, élus en 1926 après un bref règne conservateur, sont battus à nouveau en 1930, cette fois en faveur d’un gouvernement conservateur dirigé par R.B. Bennett. De nouveaux partis dans toute la gamme des idéologies prennent part aux élections fédérales de 1935 — la Co-operative Commonwealth Federation (CCF), le crédit social et l’éphémère Parti de la reconstruction — et promettent de réglementer le crédit et le commerce.

Même les conservateurs de R.B. Bennett promettent des améliorations (voir New Deal de R.B. Bennett), tandis que Mackenzie King et ses libéraux, qui remportent les élections de 1935, parlent vaguement de réforme. Du côté des provinces, l’Union nationale, menée par Maurice Duplessis, prend le pouvoir au Québec, et le Crédit social de William Aberhart est élu en Alberta. Ailleurs au pays, les partis traditionnels se tournent vers de nouveaux chefs politiques plus dynamiques qui promettent plus de mesures en faveur des démunis.

Les gouvernements tentent d’établir des secours d’urgence, mais eux aussi ont bientôt besoin d’aide. Les fermiers des Prairies réclament de l’aide sous forme de nourriture, de carburant et de vêtements, et aussi de l’argent pour se procurer semences, fourrage à bétail et réparer le matériel agricole. Les gouvernements locaux et provinciaux ne peuvent toutefois répondre à ces demandes. En effet, pendant la sécheresse de 1937, près des deux tiers de la population de la Saskatchewan se trouvent dans le besoin. Le revenu des autres provinces décline, bien qu’elles ne soient pas encore au bord de la faillite, sauf peut-être l’Alberta. Inévitablement, comme la crise se poursuit, le gouvernement fédéral doit contribuer aux fonds de secours.

Le rôle des gouvernements se modifie, mais non pas de façon radicale. Souvent, ils auraient préféré entreprendre de grands projets de travaux publics pour créer des emplois, mais, avec des revenus à la baisse et un crédit limité, le coût des matériaux reste prohibitif; à court terme, l’aide directe revient à meilleur compte. Les gouvernements commencent à s’engager davantage dans la gestion des affaires : les taux hypothécaires et les taux d’intérêt sont réduits en vertu de mesures législatives, et de nouveaux organismes investis d’un pouvoir de réglementation sont mis sur pied, entre autres, la Banque du Canada et la Commission canadienne du blé. L’extension de la bureaucratie, toutefois, ne survient qu’après le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale en 1939.

Les activités des syndicats ouvriers recommencent dès le début de la reprise industrielle : en 1937, le nombre de syndiqués était revenu à celui de 1919. Les travailleurs de l’automobile et les mineurs canadiens suivent l’exemple américain et créent des syndicats industriels (voir Syndicalisme industriel). Mais leur pouvoir est limité par l’opposition du premier ministre de l’Ontario, Mitchell Hepburn, en Ontario et de Duplessis au Québec. Une fois de plus, ce n’est qu’avec la guerre qu’ils feront des gains appréciables.

Une nouvelle culture : l’automobile et la radio

Durant les années 1920 et 1930, l’automobile et la radio modifient davantage le mode de vie des Canadiens que les cycles économiques. Les années 20 sont celles de l’automobile; en 1919, on en compte une pour 40 habitants, comparativement à une pour 10 en 1929. L’automobile entraîne la création des banlieues et transforme le mode d’organisation sociale des jeunes.

Dans les années 1930, c’est au tour de la radio : un demi-million de postes récepteurs en 1930 et plus d’un million en 1939 informent et divertissent les foyers canadiens. Les changements apportés par la production en série et les divertissements populaires soulèvent la question de l’identité canadienne. Les tarifs douaniers (voir Protectionnisme) font en sorte que les automobiles et les postes de radio sont assemblés au Canada, ce qui crée des emplois au pays. À l’époque, une répercussion économique secondaire : l’expansion du réseau de succursales industrielles américaines inquiète peu, mais ce n’est pas le cas de la diffusion (voir Radiodiffusion et télédiffusion) d’émissions américaines par les stations radiophoniques canadiennes. C’est ce qui provoque la création des réseaux anglais et français de la Société Radio-Canada, qui diffusent un mélange d’émissions canadiennes et d’émissions populaires américaines. D’une façon ou d’une autre, les Canadiens s’attendent à ce que le gouvernement fasse sa part pour les aider à conserver une identité qui soit proprement canadienne.

(1939-1945) Deuxième Guerre mondiale

Avant l’éclatement d’une autre guerre mondiale, le Canada est l’hôte de la première visite outre-mer d’un souverain britannique (et canadien) régnant. Le roi George VI et la reine Elizabeth (ensuite appelée la Reine-Mère) passent un mois à traverser le pays en train. À une époque avant la télévision, cela représente un événement éblouissant, un des plus grands spectacles publics de l’histoire du Canada. Partout où il va au Canada français et anglais, le couple royal est accueilli par une immense foule et la visite permet d’assister au premier bain de foule royal. Au cours de celui-ci, le couple plonge dans la foule pour serrer des mains au Monument commémoratif de la guerre à Ottawa. L’objectif sous-jacent de la visite est de rallier le soutien de l’Amérique du Nord pour la guerre à venir des Alliés contre l’Allemagne nazie et peu de temps après, le Canada s’est de nouveau transformé en nation guerrière.

Sacrifice et changements sociaux

Tout comme la Première Guerre mondiale, la Deuxième Guerre mondiale a revigoré la base industrielle du Canada et a contribué à augmenter le rôle des femmes dans l’économie. Les femmes gagnent un bon salaire pour des emplois créés par la grande demande de matériel militaire, lesquels sont laissés vacants par le départ des hommes pour la guerre. Plus d’un million de Canadiens servent à temps plein dans les forces armées entre 1939-1945, ce qui permet au Canada de jouer un rôle crucial dans la bataille de l’Atlantique, les campagnes de bombardement sur l’Europe, les invasions de l’Italie et de la Normandie et la campagne de libération subséquente dans l’Europe occidentale. Plus de 45 000 Canadiens meurent au combat à Hong Kong, Dieppe, sur l’Atlantique et dans toute l’Europe.

La Première Guerre mondiale a bouleversé la scène politique canadienne. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs anticipent une autre transformation. En 1943, le parti de la Fédération du commonwealth coopératif ou CCF, issue du mécontentement politique des années 30, a la faveur de l’opinion publique. Elle devient l’opposition officielle en Ontario et remporte une victoire décisive en Saskatchewan en 1944. Au Québec, l’Union nationale de Maurice Duplessis reprend le pouvoir. Au fédéral, le Bloc populaire du Québec se forme en 1944 pour faire échec à la conscription. Une fois encore, il semble que le système traditionnel canadien des partis ne survivra pas à une guerre européenne.

Nouvelle ère libérale à Ottawa

Aux élections fédérales du 11 juin 1945, alors que des milliers d’anciens combattants rentrent au pays, les Canadiens reportent le Parti libéral au pouvoir. Si elle est infime, la majorité de Mackenzie King reste néanmoins remarquable : de tous les dirigeants alliés, seul Staline et King ont réussi à faire en sorte que leur pays traverse tant la guerre que le retour à la paix. En 1945, les libéraux prennent de nouveaux engagements dans les domaines de l’aide publique et de la gestion keynésienne de l’économie (voir Économie keynésienne). Les politiques sociales libérales (les allocations familiales créées en 1944, l’assurance-chômage en 1940) plaisent aux ouvriers et aux fermiers et viennent contrecarrer les actions de la CCF à gauche et celles du Parti conservateur à droite. Bien que les libéraux fédéraux continuent à recevoir des appuis dans toutes les régions et de la part de tous les groupes économiques, la CCF et le Crédit social sont au pouvoir respectivement en Saskatchewan et en Alberta durant toutes les années 50 et au début des années 60, et le Crédit social dirige la Colombie-Britannique de 1952 à 1972.

(1945-1971) La guerre froide et le programme du Québec

Des historiens attribuent le succès politique des libéraux à la prospérité sans précédent de cette période de l’après-guerre au consensus en matière de politique extérieure, né des craintes suscitées par la guerre froide (peu de Canadiens se sont opposés à l’entrée du Canada à l’Organisation des Nations Unies [ONU] en 1945 et à la signature du traité de l’Atlantique Nord [OTAN] quatre ans plus tard, puis à l’envoi de troupes dans les bases de l’OTAN en Europe en 1951). Les Canadiens ont compris le besoin de stabilité politique de la population et de grande compétence du Cabinet et de la bureaucratie après la crise économique et la guerre.

Louis St-Laurent et la Corée

La guerre de Corée

Encore une fois, la guerre de Corée entraîne les troupes canadiennes dans des combats outre-mer. Cette fois, dans le cadre d’une coalition, menée par les Nations Unies, de 16 pays luttant contre les forces communistes de la Chine et de la Corée du Nord. Près de 27 000 militaires canadiens servent en Corée entre 1950 et 1953, 516 Canadiens y perdent la vie et environ 1 200 y sont blessés.

En 1954, la prospérité du Canada et le consensus national sur les questions touchant à la guerre froide et d’autres questions de politique étrangère vont peu à peu s’évanouir. L’économie connaît un fort ralentissement en 1954 et on craint que la prospérité canadienne d’après-guerre ne dépende trop des investissements étrangers (surtout américains). En 1954, l’efficacité du Cabinet décroît avec la démission de trois ministres importants du gouvernement du premier ministre Louis Saint-Laurent : Douglas Abbott, Lionel Chevrier et Brooke Claxton. En 1956, le débat sur le pipeline révèle l’arrogance et la maladresse des libéraux. Pendant la crise du canal de Suez, les alliés occidentaux sont aussi divisés à la suite de l’attaque de l’Égypte par la France, la Grande-Bretagne et Israël, sans le soutien des États-Unis et du Canada. La Crise met le diplomate canadien Lester Pearson en avant sur la scène mondiale en tant que pionnier dans le maintien de la paix de l’ONU comme moyen de désamorcer le conflit.

John Diefenbaker

Le 10 juin 1957, le Parti conservateur met un terme au long règne des libéraux à Ottawa. La raison de cette victoire réside dans le choix de John Diefenbaker comme chef du parti. Il a du panache et un certain côté populiste, des qualités dont était dépourvu son prédécesseur George Drew. Ce Canadien de l’Ouest comprend et partage les doléances de ses concitoyens à l’égard d’Ottawa. Son premier et court mandat se traduit par des baisses d’impôts et une hausse des pensions. C’est sous ce nouveau gouvernement que le Canada signe les accords du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) avec les États-Unis et, deux ans plus tard, abandonne l’intercepteur Avro Arrow pour se porter acquéreur des missiles Bomarc, qui fonctionnent uniquement avec des ogives nucléaires. Cherchant à échapper aux limitations d’un gouvernement minoritaire, Diefenbaker annonce des élections pour le 31 mars 1958. Malgré la présence de Lester Pearson comme chef du Parti libéral, Diefenbaker emporte 208 des 265 sièges grâce à son charisme, à sa « vision » d’un nouveau Canada et à sa politique de développement du Nord. On l’appuie partout, sauf à Terre-Neuve (devenue la 10e province en 1949).

Personne n’avait prévu l’ampleur du triomphe des conservateurs, ce qui n’a pas empêché plusieurs observateurs de l’époque de prédire l’implantation d’une dynastie conservatrice et le retour du système bipartite. Aujourd’hui, les historiens et les politologues ont tendance à considérer les élections de 1958 comme une aberration qui n’a ni reflété ni affecté le caractère fondamental de la politique canadienne. Cependant, un examen plus poussé révèle une empreinte durable. Depuis 1958, les conservateurs ont dominé la scène politique fédérale dans l’Ouest, alors que les libéraux ont de plus en plus de difficultés à s’y faire élire. Par ailleurs, les conservateurs, qui obtiennent 50 sièges au Québec aux élections de 1958, ne se sont pas encore remis, au début des années 80, de l’échec de Diefenbaker de construire sur la base de ce résultat.

Changements politiques provinciaux

Peu de temps après la défaite, la CCF et les libéraux entreprennent une période de reconstruction : les libéraux cherchent à attirer la population urbaine et les francophones; la CCF consolide ses liens avec les milieux syndicaux. L’appui des provinces demeure important pour cette reconstruction. Le gouvernement créditiste de l’Alberta, et, dans une moindre mesure, celui de la Colombie-Britannique, aident les libéraux. En juin 1960, le Parti libéral est porté au pouvoir au Québec et au Nouveau-Brunswick à cinq jours d’intervalle. Au Québec, Jean Lesage donne un nouveau souffle au parti et jette les bases de la Révolution tranquille.

En Saskatchewan, la CCF se sacrifie pour son équivalent fédéral. Longtemps premier ministre de la Saskatchewan,Tommy Douglas, prend le chemin d’Ottawa pour diriger l’héritier de la CCF, le Nouveau Parti démocratique, formé dans l’intention de resserrer les liens avec le mouvement syndical. Sans Douglas, le NPD introduit courageusement l’assurance-maladie en Saskatchewan en 1962, et, sous les assauts d’une campagne alarmiste menée par ses opposants, perd les élections suivantes aux mains des libéraux. Néanmoins, l’assurance-maladie s’avère un immense succès et devient peu après un programme national fort populaire.

En 1962, la « vision » du Canada de Diefenbaker n’est plus qu’un cauchemar pour les uns et un sujet de moquerie pour les autres. Le chômage connaît son plus haut taux depuis la guerre, le déficit budgétaire bat des records et, en mai 1962, le dollar est dévalué. Mais ni Pearson, ni Douglas ne se distinguent comme chefs politiques nationaux avant les élections du 18 juin 1962, si bien que les conservateurs se maintiennent au pouvoir avec un gouvernement minoritaire. Au début de l’année 1963, la discorde divise le cabinet, des ministres démissionnent, alléguant la question de la politique de défense nationale et, finalement, le gouvernement s’effondre. Pendant la virulente campagne électorale de 1963, Diefenbaker accuse les États-Unis, qui ont ouvertement critiqué son refus des armes nucléaires en sol canadien, d’être de collusion avec les libéraux pour lui faire mordre la poussière. Les libéraux rejettent l’accusation et répliquent en traitant Diefenbaker d’incompétent. Le 8 mai 1963, les libéraux forment un gouvernement minoritaire.

Lester Pearson

Le gouvernement Pearson cherche à innover et y réussit d’une certaine façon (intégration des forces armées, aide sociale accrue et on dévoile un nouveau drapeau national distinctif en 1964. Le parti est aussi de plus en plus identifié à sa « politique d’unité nationale », vouée à contenir les aspirations souverainistes du Québec. En réalité, tous les partis partagent ce besoin de négocier avec le Québec, qui revendique des changements dans le système fédéral canadien.

Ces années sont marquées par des conflits de personnalités et par de nombreux scandales politiques en lien avec la guerre froide, dont l’affaire Munsinger. Elles donnent lieu aussi à l’établissement du régime de pensions du Canada et à la signature de l’Accord canado-américain sur les produits de l’industrie automobile, traité qui se propose d’accroître la part du Canada dans le marché automobile du continent. Voulant à tout prix échapper au carcan de la minorité, Pearson déclenche des élections le 8 novembre 1965. Il n’obtient que deux sièges de plus; il lui en manque deux autres pour obtenir la majorité absolue.

Centenaire et expo

En 1967, le Canada souligne son 100e anniversaire et les gens se rassemblent pour fêter à Montréal à l’Expo, une exposition universelle caractérisée par l’architecture spectaculaire de plusieurs de ses pavillons y compris la contribution des États-Unis : un immense dôme géodésique. Montréal, qui est à l’époque la plus grande ville du pays, s’est taillé une réputation enviable comme une métropole confiante, à la mode et multilingue.

La même année, les conservateurs remplacent Diefenbaker par le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Robert Stanfield. Pearson démissionne à la fin de la même année et cède la place à Pierre Trudeau, qui s’empresse de rétablir l’unité du parti. Le choix de Trudeau met en relief la détermination des libéraux à trouver une solution au « problème du Québec ». La vive opposition de Trudeau au nationalisme québécois (voir Nationalisme canadien-français) et à son « statut privilégié » trouve un écho au Canada anglais, tandis que sa promesse de favoriser la reconnaissance du fait français à Ottawa, grâce au bilinguisme officiel, par exemple, plaît à ses concitoyens francophones. Les conservateurs et le NPD trouvent difficile d’adopter un programme politique semblable, d’autant plus qu’ils manquent tous deux d’appuis au Québec. À partir de 1968, la place du Québec dans la Confédération et la personnalité de Trudeau vont dominer l’échiquier politique canadien presque sans interruption jusque dans les années 80.

Pierre Trudeau

En 1968, Trudeau prend le pays d’assaut et remporte la majorité, balayant classes sociales et barrières régionales avec son charisme personnel et son insouciance typique des années 60. Les Canadiens n’avaient jamais vu de politicien comme lui. Les libéraux ont plus de sièges à l’ouest de l’Ontario qu`en 1953. Au cours des prochaines années, l’intervention musclée de Trudeau au moment de la crise d’octobre de 1970, la montée de la gauche au sein du NPD et la lutte pour la direction du Parti conservateur raffermissent sa position. Pourtant, à l’annonce des élections du 30 octobre 1972, les libéraux sont considérablement affaiblis. Leur insistance sur le biculturalisme choque bon nombre de Canadiens anglais, qui craignent un changement radical dans leur vie et dans leur pays. Nombreux sont ceux qui n’apprécient guère les coupures gouvernementales du budget de la Défense, particulièrement celles qui touchent les effectifs militaires de l’OTAN. Les libéraux sont reportés au pouvoir, mais seulement avec un gouvernement minoritaire appuyé par le chef du NPD, David Lewis.

(1972-1980) Le cours de l’inflation et les clivages régionaux

Un mois avant les élections de 1972, les Canadiens sont rivés à l’écran de leur télévision pour assister au drame international qui se déroule, lequel est un mélange de politique et de hockey. Au milieu de tensions découlant de la guerre froide, les meilleurs joueurs de hockey du Canada et de l’Union soviétique s’opposent dans la Série du siècle, en 1972. Paul Henderson marque le plus célèbre but dans l’histoire du hockey, remportant la Série pour le Canada le 28 septembre à Moscou. C’était cependant, une victoire de justesse et les Soviétiques avaient ébranlé la confiance des Canadiens qui se croyaient les meilleurs joueurs de hockey au monde.

Le Parti québécois

Deux ans plus tard, les Canadiens retournent dans l’isoloir pour les élections fédérales de 1974. Les lois réformistes de Trudeau et son opposition à la politique conservatrice du contrôle des salaires et des prix, lui allient une bonne partie de la classe ouvrière, surtout en Colombie-Britannique et en Ontario. Les libéraux remportent une autre majorité et dépendent du Québec et de la population urbaine de l’Onatrio pour leur soutien. Après 1974, Trudeau montre des signes d’indécision. Ses problèmes personnels, la faiblesse de son Cabinet et d’insolubles problèmes économiques secouent son parti entre 1974 et 1979, dont les chocs pétroliers et d’autres pressions exercées par l’inflation. Il revient pourtant en force en 1976 et en 1977 après l’entrée au pouvoir du Parti québécois de René Lévesque au Québec, suscitant des craintes au sujet de la question de l’unité nationale au Canada anglais, sujet avec lequel plusieurs considéraient que Trudeau pouvait composer.

En 1976, Montréal devient à nouveau le centre de l’attention mondiale lorsque la ville est l’hôte de la XXIe édition des Jeux olympiques d’été. Innovatrices quoique coûteuses au bout du compte, de nouvelles installations sont construites y compris un stade de béton (surnommé « the Big O »). Pour la première fois dans l’histoire olympique, la nation hôte ne remporte pas de médaille d’or.

Joe Clark

Trois ans plus tard, en mai 1979, le chef de l’opposition, Joe Clark, l’emporte sur Trudeau, appuyé par tout le Canada anglais, mais ayant perdu le Québec pour un gouvernement conservateur minoritaire. En décembre, le gouvernement présente un budget d’austérité, perd un vote de confiance et doit organiser des élections pour février 1980. Tirant habilement profit des difficultés internes des conservateurs, les libéraux conduits par Pierre Trudeau (qui avait démissionné pour ensuite revenir) retrouvent leur majorité lorsque l’Ontario se range en masse derrière eux. L’Ontario appuie la politique libérale sur les prix des ressources énergétiques, contrairement à l’Ouest qui lui est hostile. Les libéraux n’obtiennent aucun siège à l’ouest du Manitoba et seulement deux dans cette province. Les profondes divisions régionales au sujet de la politique canadienne, résultat des stratégies économiques, marquent la fragmentation du système bipartite et, par le fait même, la fragmentation du pays.

Terry Fox

Pendant l’été 1980, un jeune homme unijambiste suscite l’intérêt des Canadiens d’une façon que nul politicien ne l’avait jamais fait auparavant. Le départ du Marathon de l’Espoir de Terry Fox se fait à Terre-Neuve et se termine sur la route transcanadienne à Thunder Bay, en Ontario, tout juste à la moitié de l’objectif que Terry Fox s’était fixé au Pacifique. Terry Fox décède l’été suivant, mais à ce moment, il est déjà une icône au pays et la course annuelle Terry Fox qu’il a inspirée se poursuit et continuer de lever des fonds pour la recherche sur le cancer dans les pays autour du globe.

(1981-1992) La décennie de la Constitution

Après 1980, le gouvernement Trudeau s’engage sur la voie du nationalisme pour un certain temps. Le Programme énergétique national favorise une mainmise canadienne sur l’industrie pétrolière, mais on le perçoit dans l’Ouest, et surtout en Alberta, comme faisant plusieurs entorses aux droits des ressources provinciales. Trudeau, joue aussi un rôle déterminant dans le maintien de l’unité du pays en faisant campagne avec d’autres camps du « Non » au moment du référendum de 1980 sur la souveraineté-association.

Trudeau fait ensuite « rapatrier » la Constitution canadienne de l’Angleterre, dans laquelle est insérée la Charte canadienne des droits et libertés. Après de longues négociations avec les dirigeants provinciaux, la Constitution rapatriée est signée à Ottawa par la reine Elizabeth en 1982. Elle crée toutefois un problème politique permanent puisque le Québec de René Lévesque, le seul parmi les premiers ministres, avait refusé d’adopter le document.

Brian Mulroney

Trudeau perd encore davantage de sa popularité à mesure que grimpent l’inflation, les taux d’intérêt et le chômage et en 1984, les libéraux en paient le prix fort. En 1983, Brian Mulroney, un homme d’affaires bilingue, succède à Clark à la tête du Parti conservateur. Un an plus tard, les libéraux choisissent John Turner comme successeur de Trudeau. Turner déclenche rapidement des élections. Résultat : les conservateurs remportent une victoire écrasante.

Pendant ce temps, à Ottawa, Mulroney tentait en vain de faire adopter la Constitution par le gouvernement du Québec avec l’Accord constitutionnel du lac Meech qui est devenu le drame politique central de son premier mandat. Son gouvernement a aussi négocié un accord de libre-échange controversé avec États-Unis qui fait l’objet d’un important débat électoral en 1988. Le Parti conservateur de Mulroney remporte une autre victoire et obtient un vote majoritaire quoique moindre. En 1989, le Canada et les États-Unis commencent un nouveau régime commercial qui sera élargi plus tard pour comprendre le Mexique. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) contribue à accroître davantage l’intégration de l’économie nord-américaine et, selon ses détracteurs, à l’harmonisation et à l’affaiblissement des protections culturelles du Canada.

À cette époque, en dehors de l’arène politique, deux drames différents retiennent l’attention au Canada. Le 23 juin 1985, un Boeing 747 d’Air India allant de Toronto et Montréal à Londres explose au-dessus de l’Atlantique, tuant tous les passagers à bord, soit 331 personnes dont 268 Canadiens, pour la plupart de descendance indienne. Cela constitue la pire attaque terroriste dans l’histoire canadienne et celle-ci permet de mettre à jour des failles majeures dans les services de police et de sécurité au Canada. Cet événement conduit aussi à une enquête et une poursuite de 20 ans qui ont mené à la condamnation d’un seul conspirateur, Sikh-Canadian Inderjit Singh Reyat.

En 1988, Calgary est l’hôte des Jeux olympiques d’hiver. La ville organise une fête comme il n’y en a jamais eu auparavant. Cependant, tout comme pour Montréal, la nation hôte ne réussit pas à remporter une médaille d’or.

L’échec de deux accords

En 1990, l’accord du Lac Meech n’est pas ratifié et meurt de façon officielle après plusieurs années d’efforts vains afin de gagner l’approbation des gouvernements provinciaux. Le Québec réagit avec colère, tout comme une poignée de députés du gouvernement de Mulroney qui quittent alors le caucus conservateur pour former le Bloc québécois séparatiste au Parlement sous la direction de l’ancien ministre Lucien Bouchard. Blessé, mais insistant toujours pour trouver une solution constitutionnelle, le gouvernement Mulroney, avec l’aide des provinces, élabore une nouvelle entente, l’Accord de Charlottetown (voir aussi Accord de Charlottetown : document). En octobre 1992, malgré l’appui de tous les principaux partis et des gouvernements provinciaux, l’accord est rejeté, cette fois, à l’issue d’un référendum national. On explique ce rejet autant par le mécontentement de la population engendré par la pire récession de l’après-guerre que par le contenu même de l’accord. La population canadienne est aussi épuisée après que des disputes constitutionnelles aient dominé le programme national pendant plus d’une décennie.

(1993-2005) Hégémonie libérale et effondrement

En octobre 1993, les libéraux menés par Jean Chrétien forment un gouvernement majoritaire. Les conservateurs n’ont plus que deux sièges, et le Bloc québécois représente l’opposition officielle. Un autre Référendum du Québec en 1995 concède une mince victoire aux tenants du « non ».

Malgré ces problèmes d’unité nationale, une économie dynamique et une opposition fragmentée conduisent à la réélection des libéraux avec une deuxième majorité en 1997. Le Parti progressiste-conservateur est toujours dans les limbes. Cependant, le Parti réformiste, un mouvement de la droite populiste de l’Ouest dirigé par son fondateur, Preston Manning, connaît une belle percée en 1997 et devient l’opposition officielle. En dépit de son succès, la réforme avait divisé les votes des conservateurs partout au Canada. Déloger le maintien au pouvoir des libéraux semblait peu probable sans une certaine entente avec les progressistes-conservateurs. Alors que Jean Chrétien gouvernait, ses opposants se chamaillaient entre eux, avec les conservateurs dont les appels se font plus en plus pressants pour démontrer un sérieux effort pour « unir la droite. »

Équilibrer le budget

Le budget déficitaire du gouvernement fédéral atteint des niveaux alarmants en 1990 et Jean Chrétien et son ministre des finances, Paul Martin, mettent en œuvre un ambitieux programme pour réduire les dépenses et équilibrer le budget, ce qu’ils ont fait en 1998. Les libéraux ont reçu de l’aide dans cette initiative sous la forme de revenus de la taxe sur les produits et services (TPS), laquelle avait été introduite par Mulroney, et en se déchargeant de certains coûts sur le gouvernement provincial. Néanmoins, ils ont produit le premier budget équilibré du Canada en 30 ans.

L’année suivante, le territoire des Inuits, le Nunavut, dont la majorité est autogérée, est officiellement créé. Celui-ci couvre deux millions de km2 de la région est de l’Arctique et devient le troisième territoire du Canada.

Guerre en Afghanistan

La population canadienne accueille le nouveau millénaire en 2000 avec la réélection des libéraux de Jean Chrétien pour un troisième gouvernement majoritaire. Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont tôt fait de modifier les programmes gouvernementaux partout dans le monde occidental, mais surtout au Canada, qui est maintenant confronté aux préoccupations américaines endémiques concernant leur longue frontière non défendue. Les Canadiens jouent un rôle crucial le 11 septembre 2011, surtout sur la côte est, offrant refuge et hospitalité aux passagers des lignes aériennes provenant des centaines d’avions transatlantiques redirigés vers des aéroports canadiens.

En 2002, Jean Chrétien envoie un petit nombre de soldats pour soutenir l’effort de contre-terrorisme des États-Unis en Afghanistan. Cet engagement militaire s’est accru de façon considérable en 2006 lorsque le Canada envoie un groupe tactique pour se battre contre les insurgés talibans aux alentours de la ville afghane de Kandahar, dans le sud du pays. Durant les huit prochaines années, 158 soldats canadiens perdent la vie en Afghanistan et des centaines d’autres sont blessés.

Paul Martin prend les rênes

En 2003, après une période de querelles internes chez les libéraux, Jean Chrétien est remplacé par Paul Martin en tant que chef de parti et premier ministre. Paul Martin entrait dans un parti dont le pouvoir s’était quelque peu assoupi et qui était marqué par des scandales croissants d’abus des finances publiques par les agences proches des libéraux au Québec. Paul Martin a tenté de gérer le « scandale des commandites », comme on l’appelait, en tenant une enquête publique qui a mis à jour l’existence illégale de pots-de-vin faits aux libéraux par des hommes d’affaires québécois qui avaient reçu des contrats gouvernementaux.

Quoique Paul Martin soit exonéré par l’enquête, la marque libérale encaisse le coup. Sous la direction de Paul Martin, les libéraux sont réduits à un gouvernement minoritaire aux élections de 2004 et, deux ans plus tard, ils sont défaits par la droite politique nouvellement unifiée sous une nouvelle bannière conservatrice.

(2006-2014) L’essor de l’Occident

En 2006, en remportant l’élection avec un gouvernement minoritaire, Stephen Harper met fin au règne des libéraux, eux qui ont été au pouvoir pendant 13 ans. Ses conservateurs se voient confier une seconde minorité en 2008, mais atteignent leur majorité au Parlement qu’ils attendaient depuis longtemps en 2011, une élection dans laquelle le NPD a constitué l’opposition officielle, une première dans l’histoire du parti.

Le poids lourd de matières premières

L’ascension politique de Stephen Harper, un Albertain, coïncide avec un déplacement du pouvoir économique enclenché au Canada. Depuis la Confédération, le cœur du secteur manufacturier du sud de l’Ontario et du Québec ont fourni la majeure partie de la richesse du pays et ont déterminé beaucoup de ses politiques. Mais, au XXIe siècle, l’importance croissante des échanges commerciaux entre la côte du Pacifique et l’Asie et les importantes ressources pétrolières et minières (voir Sables bitumineux) de la C.‑B., l’Alberta et la Saskatchewan ont fait de l’Ouest le moteur économique du pays. Sur la côte est, une plus petite renaissance se déroule à Terre-Neuve-et-Labrador où le pétrole et d’autres ressources naturelles font de provinces, jadis pauvres comme la Saskatchewan, des créatrices d’emplois et des exportatrices de richesses.

Comme pour renforcer cette nouvelle orientation vers l’ouest du Canada, Vancouver est l’hôte des Jeux olympiques d’hiver de 2010 et les athlètes canadiens remportent le plus grand nombre de médailles à ce jour dans l’histoire des Olympiques au pays.

Incertitude économique

Malgré l’essor que connaît le secteur des ressources, l’économie au pays est frappée par la crise financière mondiale de 2008 et par la récession qui s’ensuit, et ce, quoique les banques canadiennes aient résisté à la tempête mieux que beaucoup d’autres pays occidentaux. Mais les pertes d’emplois et la nouvelle érosion du secteur manufacturier ont un effet négatif sur les finances du gouvernement et le Canada se retrouve encore une fois avec un budget déficitaire. Toutefois, Stephen Harper est jugé par les Canadiens comme étant le chef le mieux à même de gérer l’économie.

Un des principaux objectifs politiques de Stephen Harper depuis qu’il est au pouvoir est de repenser le pays selon des plans conservateurs pour les aspects social et économique et de porter un coup au Parti libéral qui a gouverné le pays au cours de presque toute son histoire. En 2011, il réussit à mettre les libéraux en troisième place au Parlement. Mais les conservateurs n’ont pas réussi à faire des progrès dans l’importante arène politique du Québec et en 2013, les libéraux ont un nouveau jeune chef de cette province, Justin Trudeau, le fils de l’ancien premier ministre, représentant une menace pour la vision de Stephen Harper et le maintien au pouvoir des conservateurs.