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Lionel Kearns

Lionel Kearns, poète et professeur (né le 6 février 1937 à Nelson en Colombie‑Britannique).

Lionel Kearns
Photo prise le 1er décembre 2012

Lionel Kearns

Lionel Kearns, poète et professeur (né le 6 février 1937 à Nelson en Colombie‑Britannique). En 1955, Lionel Kearns s’inscrit à l’Université de la Colombie‑Britannique, où il rédige une thèse sur la prosodie et la notation poétique sous la direction d’Earle Birney. Avec plusieurs de ses condisciples, notamment George Bowering, Frank Davey et Fred Wah, il contribue à TISH: a poetry newsletter, une revue de poésie qui reflète leur enthousiasme pour des poètes américains comme Charles Olson et Robert Duncan. Il termine ensuite une maîtrise en linguistique structurale à l’Université de London et effectue des recherches sur la variante d’anglais parlée aux Antilles, en se rendant sur l’île de Trinidad. De 1966 à 1986, il est professeur à l’Université Simon Fraser. En 1988, il devient le premier instructeur pour Writer‑in‑Electronic Residence (WIER), un programme interactif en ligne d’écriture créative. Personnalité clé de l’avant‑garde poétique des années 1960, Lionel Kearns a joué un rôle de pionnier dans l’utilisation des technologies des communications pour l’enseignement de la poésie et a été l’un des premiers promoteurs de la poésie numérique.

En 1962, il publie Songs of Circumstance, une ramification de sa thèse de maîtrise. Les poèmes de cette brochure sont présentés de façon extrêmement frappante et rédigés sous la forme de « vers empilés », un système où les rythmes sont notés pour souligner la musicalité des poèmes. La syllabe la plus fortement accentuée de chaque vers est positionnée au centre de la page et une ligne verticale descend tout au long de cet empilement de syllabes, constituant une véritable colonne vertébrale métrique du poème.

Dès la publication, en 1967, de Pointing, le premier recueil véritable de Lionel Kearns, on retrouve des thèmes majeurs qui marqueront son œuvre de façon récurrente comme la pauvretéet l’itinérance, ainsi que le reflet d’une ironie caractéristique, notamment lorsqu’il traite des représentations des Premières Nations dans les westerns hollywoodiens. Plusieurs de ses écrits sont métapoétiques (c’est‑à‑dire qu’ils font référence à l’acte d’écrire de la poésie), comme le poème « Poetic » dans lequel il analyse les dangers d’une réflexion excessive en matière de la poésie et conclut : « la vie de l’homme / qui vibre et vacille / voici l’authentique dance » [traduction libre].

By the Light of the Silvery McLune: Media Parables, Poems, Signs, Gestures, and Other Assaults on the Interface, paru en 1969, joue un rôle central dans l'œuvre de Lionel Kearns. Le recours au jeu de mots homophonique dans le titre révèle la fascination du poète pour les idées de Marshall McLuhan sur les effets des communications de masse sur la société et sur les possibilités des nouveaux médias électroniques. Le poème « A Collage Education », présentant la juxtaposition ironique à la télévision de la pauvreté chez les Afro‑Américains et des produits antidouleur mis sur le marché par les compagnies pharmaceutiques, incarne parfaitement cette préoccupation. Un poème visuel repris dans de nombreuses anthologies, « The Birth of God », sera ultérieurement adapté en film, sous la forme d’un « cinépoème », par Lionel Kearns, Gordon Payne et Peter Huse. Le poème et le film sont reconnus comme des œuvres révolutionnaires anticipant l’attention considérable qu’allait susciter la poésie numérique. La fascination du poète pour la culture médiatique infuse également nombre de ses poèmes empreints d’une profonde ironie postcoloniale, comme « Bleeding » dans lequel les cérémonies mexicaines du Jour des Morts sont gâchées par des touristes arrogants et voyeuristes et par l’intrusion de cinéastes en mal de sujets pour réaliser des documentaires exotiques.

Lionel Kearns poursuit son exploration des représentations des cultures autochtones dans son œuvre expérimentale de 1984, Convergences. Il y entremêle deux de ses thématiques majeures : la métapoésie et l’histoire de l’impérialisme. Il s’agit d’une œuvre en prose intégrant des documents et des illustrations historiques dans laquelle il narre le dernier voyage d’exploration du capitaine James Cook au cours duquel il rencontre les Mowachahtde la Colombie‑Britannique et les populations des îles hawaïennes. Le poète fait alterner le récit historique à proprement parler et des références à sa propre vie, à l’écriture du livre et aux réactions des lecteurs qu’il imagine. En mêlant ces différents types et niveaux de discours, il analyse les correspondances et les tensions entre l’histoire telle qu’on la représente et telle qu’elle s’écrit au présent.

Lionel Kearns publie également deux recueils d’œuvres choisies, Ignoring the bomb: new and selected poems et A few words will do, datant respectivement de 1982 et de 2007, particulièrement dignes d’intérêt. Il y entrelace de façon complexe les thèmes de la métapoésie, des médias, du consumérisme, du postcolonialisme et de l’autobiographie. Dans ces œuvres, le poète nous invite à regarder au‑delà du thème d’un poème, à remettre en question les rôles traditionnels de l’auteur et du lecteur, à interroger la place de chacun dans un monde postcolonial et à prendre conscience des effets des médias et du consumérisme. Au terme d’une carrière qui a vu le jour aux confluences des tendances les plus originales et novatrices en matière de poésie et d’une réflexion révolutionnaire sur des enjeux culturels et historiques, Lionel Kearns est aujourd’hui reconnu comme un auteur marquant et l’un des premiers poètes à s’inscrire dans l’histoire de l’avant‑garde littéraire canadienne.