Littérature juive au Canada
Au Canada, la littérature juive est influencée par les vagues d'immigration successives et les différents contacts linguistiques. Cela se manifeste surtout dans les textes rédigés en yiddish, en hébreu, en anglais et en français. Certains écrivains témoignent de leurs origines en choisissant de travailler dans leur langue maternelle, comme l'allemand ou le hongrois. Certains auteurs, sans être juifs, s'intéressent aux préoccupations de cette communauté. Ainsi, Earth and High Heaven (1944) (trad. Entre ciel et terre, 1946) de Gwethalyn Graham traite des mariages interraciaux et de l'antisémitisme. De même, Day of Wrath (1945) de Philip Child se préoccupe de la persécution dont les juifs ont été victime dans l'Allemagne nazie, enfin Aaron (1954) d'Yvestraite du rejet de l'orthodoxie et du problème de l'assimilation.Des écrits en yiddish et en hébreu paraissent au Canada avant la Première Guerre mondiale avec l'arrivée de nombreux juifs fuyant les pogroms de la Russie tsariste. En 1851, on compte à peine 450 JUIFS au Canada; en 1901, ils sont près de 17 000, créant ainsi un lectorat pour la littérature en yiddish. En 1931, il y a environ 156 000 Juifs au Canada, surtout à Montréal, Toronto et Winnipeg, et 95 p. 100 d'entre eux reconnaissent le yiddish comme leur langue maternelle. La popularité du yiddish connaît son apogée entre 1930 et 1945. À l'époque, il est utilisé par les institutions communautaires juives, par trois quotidiens et de nombreuses revues. Au cours des dix années suivantes, le yiddish profite de l'arrivée des survivants de l'Holocauste. Parmi eux se trouvent certains écrivains renommés, comme Melech Ravitch (1893-1976) et Rochl Korn (1898-1982), qui perpétuent la tradition « internationaliste » de la littérature yiddish au Canada, tradition inaugurée en 1912 par le grand auteur yiddish et hébreu Reuben Brainin (1862-1939), alors rédacteur en chef du quotidien yiddish de Montréal, Kanader Adler.
Contrairement aux autres groupes d'immigrants, les écrivains de la communauté juive ont tendance à adopter une perspective « étrangère » et à s'adresser à un public international. Au début des années 20, J.I. Segal (1896-1954) dirige un groupe de poètes qui ont grandi ou qui ont commencé à écrire au Canada. Parmi eux se trouvent A.S. Shkolnikov (1896-1962), A. Almi (1892-1963), Ida Maze (pseudonyme d'Ida Massey, 1893-1963) et Sholem Shtern (1907). Ensemble, ils font de Montréal le centre de la culture yiddish. Parmi eux, Shtern est le plus « canadien ». Son épopée en deux volumes, ln Kanade (1960; 1963), décrit les expériences de l'immigrant juif au Canada. Avec Shabtai Perl (1906-1976) et trois autres remarquables poètes nés à Toronto - Abraham Nisnevitch (1886-1955), Shimon Nepom (1882-1939) et Judica (Yehudit Zik, 1898-1979) - Shtern appartient à un groupe d'écrivains qualifiés, plus ou moins justement, de « prolétariens », à cause du caractère fortement marxiste de leurs écrits.
Les écrivains arrivés après la Deuxième Guerre mondiale poussent plus loin la tendance « internationaliste ». Leur influence, de même que celle de l'Holocauste, est prépondérante. La poésie sombre, mais étrangement optimiste de Korn est traduite, entre autres, par Seymour Mayne dans Generations (1982). De même, les poèmes de Joseph Rogel (né en 1911) sur Auschwitz, paraissent en anglais, en français et en yiddish. Les romanciers Yehuda Elberg (né en 1912) et Chava Rosenfarb (né en 1923) sont connus dans le monde entier pour leurs descriptions de la vie des juifs polonais avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale. À Toronto, le fabuliste Peretz Miransky (né en 1908), le poète lyrique Simcha Simchovitch (né en 1921) et le poète et critique Itzchak Goldkorn (né en 1911) sont eux aussi connus pour leurs descriptions de l'Holocauste. Deux écrivains plus jeunes qui ont survécu à l'Holocauste, Jack Kuper (né en 1932) et Abraham Boyarsky (né en 1942), publient en anglais des textes sur la guerre avec, respectivement, Child of the Holocaust (1973) et Shreiber (1982). La plupart des écrivains juifs appartenant au courant dominant de la 1ittérature anglophone, comme Eli MANDEL, Irving LAYTON et Phyllis GOTLIEB, tentent également de présenter cette tragédie de façon artistique.
L'utilisation du yiddish diminue au Canada après que plusieurs générations d'immigrants aient adopté l'anglais. Les juifs récemment émigrés des pays arabes, d'Israël et de Russie ne connaissent pas le yiddish. Naïm KATTAN, né en Irak, écrit en français des ouvrages traitant de l'acculturation, entre autres, ses romans Adieu, Babylone (1975), Les Fruits arrachés (1977) et son recueil intitulé The Neighbour and Other Stories (1982). Il est probablement l'écrivain juif le plus important au Canada français. Michel Solomon, né en Roumanie en 1919, est lui aussi très connu au Québec pour ses mémoires Magadan (1971), Mon Calvaire roumain (1976) et son roman Éden retrouvé (1980).
La plupart des écrivains qui utilisent l'hébreu écrivent aussi en yiddish, à l'exception des auteurs d'ouvrages religieux. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, le yiddish est généralement considéré comme une langue trop vulgaire pour une littérature sérieuse. Plus tard, il doit faire face au renouveau de l'hébreu, mis de l'avant par le sionisme. Ainsi, la plupart des rabbins qui s'établissent au Canada, comme le rabbin mondialement connu Judah Rosenberg, grand-père de Mordecai RICHLER, écrivent surtout en hébreu, quoique le rabbin Rosenberg ait aussi publié plusieurs livres de légendes en yiddish. Le seul poète écrivant uniquement en hébreu est Miriam Schneid (né en 1924), mais le poète et éducateur Isaiah Rabinovitch (1904-1972), ainsi que le romancier Joshua Altman (1898-1980) utilisent l'anglais et l'hébreu comme langue de travail.
Les écrivains juifs qui publient en anglais au Canada partagent certaines des préoccupations des premiers immigrants : l'acculturation des immigrants, l'Holocauste, le sionisme et la naissance de l'État d'Israël, enfin la crainte de l'assimilation. Ainsi, la nostalgie des traditions disparues de la vie des juifs en Europe, prépondérante dans l'oeuvre de Segal et des premiers écrivains yiddish, réapparaît dans les écrits d'A.M. KLEIN qui tente d'établir un lien entre la culture juive et la langue anglaise. Le choc qu'il a éprouvé devant l'effondrement de la communauté juive en Europe avec l'ascension des nazis est à l'origine des premiers poèmes sur l'Holocauste publiés au Canada dans Hath Not A Jew (1940) et dans The Hitleriad (1944), satire amère et hyperbolique, et de son puissant roman symbolique The Second Scroll (1951; trad. Le second rouleau, 1990), qui traite des souffrances endurées par les juifs durant la guerre.
Klein est donc une figure de proue de ce courant et d'autres suivent son exemple. Même si Mandel, Layton, Miriam WADDINGTON, Joseph ROSENBLATT et Leonard COHEN comptent parmi les auteurs les plus importants du courant dominant de la poésie canadienne, leurs oeuvres reflètent néanmoins leur héritage culturel. Ainsi dans Flowers for Hitler (1964; trad. Poèmes et chansons II, 1976), recueil satirique au style sombre, et dans Death of a Lady's Man (1978; trad. Mort d'un séducteur, 1981), Leonard Cohen tente d'unir des images romantiques à des images de l'Holocauste. La poésie de Layton, surtout après le conflit israélo-arabe de 1967, se préoccupe de plus en plus de l'aliénation des juifs plutôt que de celle de l'art, et traduit l'anxiété de l'auteur au sujet de la survie d'Israël. Chez les romanciers, ces préoccupations se manifestent dans The Sacrifice (1956) d'Adele WISEMAN, dans The Rich Man (1948) et The Betrayal (1964) d'Henry KREISEL et dans l'oeuvre littéraire de Mordecai Richler, surtout dans The Apprenticeship of Duddy Kravitz 1959; trad. L'APPRENTISSAGE DE DUDDY KRAVITZ, 1976) et St Urbain's Horseman (1971, trad. Le Cavalier de Saint-Urbain, 1976). Les nouvelles de Jack Ludwig et de Norman LEVINE font aussi état de certains aspects de la vie juive au Canada, de même que les pièces de Leonard Angel, Sharon POLLOCK, Ted Allan et Beverley SIMONS.
La population juive au Canada se concentre essentiellement dans les villes. Cette concentration dans quelques grands centres urbains n'a pas donné naissance à un régionalisme notable dans la littérature juive. Les romans de Matt COHEN, dont l'action se déroule dans l'Est de l'Ontario, restent une exception, et la rue Saint-Urbain décrite par Mordecai Richler doit être vue comme une sorte de « région » urbaine, semblable au « Cabbagetown » de Hugh GARNER ou au Vancouver d'Ethel Wilson. Même le radicalisme des dramaturges Rick SALUTIN et Janis Rapoport, qui affiche une forme bien particulière de régionalisme, s'inscrit dans la tradition de la littérature socialiste yiddish. Par leur préoccupation à propos de leur identité, les écrivains juifs canadiens se rapprochent de leurs homologues américains et reflètent l'orientation internationaliste de leurs prédécesseurs. Grâce à l'expérience linguistique et culturelle unique de ses auteurs, la littérature juive continue d'enrichir le patrimoine culturel canadien.
Voir aussiETHNIES, LITTÉRATURE DES.