Littérature orale de langue française
Qu'elle prenne la forme de conte, de chanson, de dicton, de légende, de superstition, de proverbe ou autres, la littérature orale fait partie de l'héritage légué par les premiers Français venus s'établir en Amérique du Nord. Transmises depuis des siècles par la seule voie orale, ces formes traditionnelles anonymes ont joui de ce côté-ci de l'océan d'un milieu privilégié de conservation et de transmission, étant donné l'immensité du pays et sa vocation rurale. Déjà, au XIXe siècle, des gens comme Ernest Gagnon ont senti le besoin de les préserver de l'oubli en les transcrivant, mais elles circulent encore sous forme orale de nos jours malgré l'omniprésence des médias. Au Canada français, la littérature orale demeure fidèle à ses origines, même si trois siècles de diffusion sur cette terre adoptive lui ont permis d'évoluer, de s'adapter et d'acquérir à la fois son autonomie et son originalité. N'étant pas fixé par l'écriture, le folklore oral est en perpétuel devenir. Les contes populaires se sont transmis jusqu'à nous dès les premiers balbutiements de la civilisation française. Si les légendes développent des thèmes universels, certaines, basées sur des événements ou des personnages historiques, naissent au Québec. Les innombrables variantes de chansons résultent des échanges entre immigrants des différentes provinces de France et, comme pour la légende, le répertoire de chansons folkloriques s'est enrichi, sur le nouveau continent, de chansons sur les coureurs des bois, les voyageurs des Pays d'en haut et la vie en forêt.
Le XIXe siècle reste l'âge d'or du conte traditionnel, et les conteurs y étaient populaires. Autour des quêteux, des marchands ambulants, les gens s'assemblaient spontanément pour entendre des histoires de La Grand'Margaude, de La bête à sept-têtes, de La Canarde, de L'eau de la fontaine de Paris ou encore les incroyables aventures de Ti-Jean. Dans les milieux ruraux, les gens aiment organiser des veillées de contes. La vie en forêt est un foyer important de conservation et de propagation des contes. Dans les chantiers, bûcherons et draveurs de toutes provenances, contraints à des longs mois d'isolement, se racontent des histoires pour lutter contre l'ennui.
Même si l'étude systémique du folklore en Amérique est plutôt récente, chacun des principaux genres oraux (conte, légende et chanson) a fait l'objet d'études et de recherches. Jusqu'au début du XXe siècle, les contes populaires jouissaient d'une telle vitalité qu'on ne sentait pas un besoin pressant de les recueillir. La collecte et l'étude en cette matière débutent en 1914 avec Marius Barbeau, anthropologue aux Musées nationaux du Canada. Si son champ d'étude était les Amérindiens, son intérêt pour le folklore francophone s'est éveillé grâce à Franz Boas, un de ses collègues des États-Unis qui étudiait les influences européennes chez les autochtones au Canada. Les recherches de Barbeau s'étendent très rapidement à la grandeur du Québec.
Barbeau et ses collaborateurs, Adélard Lambert, Gustave Lanctôt, Édouard-Zotique Massicotte et bien d'autres, ont fait connaître aux lecteurs la richesse de cette culture. Depuis, l'intérêt pour ce genre de récits n'a cessé de croître. Parmi les publications importantes sur le sujet, signalons le Journal of American Folklore, qui rassemble plus de 200 contes du répertoire francophone. Les collections les plus importantes sont celles du père Germain Lemieux de Sudbury, publiées sous le titre « Les vieux m'ont conté » (18 vol., 1973 ss.), les « Contes populaires gaspésiens » de Carmen Roy (1952), et les autres recueils de la collection « Mémoires d'homme », les Contes de bûcherons de Jean-Claude Dupont (1976) et les Menteries drôles et merveilleuses de Conrad Laforte (1978).
Après avoir travaillé avec Barbeau, Luc Lacourcière, professeur de littérature canadienne à l'U. Laval, fait du conte populaire son champ de prédilection. En 1944, il y fonde les Archives de folklore. Trente ans plus tard, l'inventaire et l'analyse de plusieurs milliers de contes de toutes provenances lui ont permis d'établir le premier Catalogue raisonné du conte populaire français en Amérique. Cet ouvrage exceptionnel vient compléter le catalogue international du conte établi par Stith Thompson, d'après les travaux d'Antti Aarne (Motif Index of Folk Literature, 6 vol., 1955-1958), et celui de la France élaboré par Paul Delarue et Marie-Louise Ténèze (Le Conte populaire français, 1957-1964).
Les contes populaires sont écrits dans un style bien particulier. D'abord, ce sont des récits merveilleux dont le seul but est de divertir. Souvent, ils commencent et se terminent par des formules consacrées. De plus, le lieu et l'époque de l'action ne sont pas déterminés et les personnages ne sont pas individualisés. Ce sont des animaux, des êtres merveilleux (rois, princes, princesses ou fées) ou des êtres fantastiques (ogres, monstres, géants) qui se métamorphosent, ont recours aux charmes, aux philtres, aux talismans, et subjuguent les éléments de la nature. Le conte n'a donc pas pour objet d'être crédible, mais, en étant pure fiction, d'être source de plaisir. Contrairement au conte, la légende se présente avec une apparence de fondement historique et engage la crédulité de l'auditeur. Dans la légende, le lieu est souvent indiqué avec précision et les personnages sont bien caractérisés dans l'espace et le temps. Au Canada français, les récits légendaires, contrairement aux contes de tradition orale, ont été souvent imprimés au XIXe siècle.
Dans Le conte littéraire québécois au XIXe siècle (1975), Aurélien Boivin les consigne d'une manière exhaustive. Il faut noter qu'à cette époque, les écrivains utilisaient le terme « conte » pour parler des légendes plutôt que des véritables contes traditionnels, bien que ces deux types de récits soient nettement distincts aux yeux des folkloristes modernes et du public illettré de l'époque. De par leur nature, les légendes se prêtent mieux à une présentation écrite, et les auteurs canadiens s'en sont abondamment inspirés. Philippe Aubert de Gaspé (père et fils), N.H.É. Faucher de Saint-Maurice, Honoré Beaugrand, Henri-Raymond Casgrain et de nombreux autres ont exploité les loups-garous, les sirènes, les revenants, la légende de La Corriveau et d'Alexis-le-Trotteur, et bien d'autres personnages. Comme le fait remarquer Lacourcière, parmi les nombreuses catégories de légendes, il y a celles qui ont trait au monde fantastique et surnaturel, celles qui prétendent expliquer l'origine et le pourquoi des phénomènes naturels, et celles qui sont plus directement rattachées à l'histoire et à des personnages réels. Mais ce classement est loin d'être exhaustif.
Le troisième genre qui prend beaucoup de place dans la littérature orale est la chanson (voir Musique folklorique canadienne-française). On a dit que c'est elle qui avait permis au génie français d'atteindre sa plus vive expression, ce qui en fait la plus riche, la plus vive et la plus plaisante de nos traditions. Cela s'explique sans doute parce qu'elle convient à toutes les circonstances et à tous les âges de la vie. Parfois emprunte de religiosité, parfois grivoise, elle aborde des thèmes qui recouvrent toute la gamme des sentiments humains. Si elle a pu être préservée du temps, c'est grâce à sa forme, à son rythme et à ses assonances. Classées de façon rigoureuse selon leur forme, plus de 3000 titres de chansons folkloriques inscrits au Catalogue de la chanson folklorique française de Conrad Laforte (1958) révèlent tous les thèmes de cette poésie populaire souvent marquée de variantes bien canadiennes.
Aujourd'hui, dans les différents milieux francophones canadiens, des folkloristes, des ethnomusicologues, des chercheurs de disciplines diverses et des amateurs de nos traditions orales continuent de recueillir cette part importante de notre patrimoine. Ces documents font l'objet d'études et de recherches et bénéficient d'une conservation et d'un traitement scientifique dans plusieurs grands centres d'archives à Québec, à Moncton, à Ottawa, à Sudbury et ailleurs.