La Loi sur l’enrôlement à l’étranger de la Grande-Bretagne et, plus tard, du Canada interdisait le service dans des forces armées étrangères et le recrutement pour ces armées. Malgré cette interdiction prévue par la loi, les Canadiens ont souvent servi en grand nombre dans les forces étrangères. C’est le cas de 35 000 à 50 000 volontaires lors de la guerre de Sécession, de 1 700 volontaires lors de la guerre civile espagnole et de plus de 30 000 volontaires lors de la guerre du Viêt Nam. Peu de Canadiens ont fait l’objet de poursuites judiciaires pour avoir servi dans des forces étrangères ou pour avoir recruté des militaires. Tous les exemples recensés se sont produits pendant la guerre de Sécession.

Loi sur l’enrôlement à l’étranger de 1819 et de 1870 en Grande-Bretagne
En 1819, le Parlement britannique promulgue la Loi sur l’enrôlement à l’étranger en réaction au départ de plus de 5 000 Britanniques. Il s’agit principalement d’anciens combattants démobilisés des guerres napoléoniennes, vers l’Amérique du Sud pour rejoindre les forces de Simon Bolívar. (Simon Bolívar est un soldat vénézuélien ayant mené des insurrections contre la tutelle espagnole dans ce qui constitue aujourd’hui la Colombie, le Venezuela, l’Équateur, le Pérou et la Bolivie.) La loi interdit aux sujets britanniques de servir dans des forces armées étrangères et à quiconque de recruter pour celles-ci sur le territoire britannique. Elle interdit en outre la construction ou l’équipement de bâtiments de guerre pour des puissances étrangères. La loi s’applique au Royaume-Uni ainsi qu’à ses colonies d’outre-mer.
Les autorités britanniques continuent cependant de recruter des étrangers pour servir dans leur armée. Pendant la guerre de Crimée, par exemple, elles recrutent massivement aux États-Unis. L’officier de milice franco-canadien Louis-Adolphe Casault sert dans la Légion étrangère pendant la guerre de Crimée, puis dans le 100e régiment britannique d’infanterie. Après la confédération, il devient une figure emblématique de la milice. Il commande les troupes à Montréal et dans ses environs, en plus de celles de Québec (Rifles), lors de l’expédition de la rivière Rouge de 1870.
La Loi sur l’enrôlement à l’étranger s’avère particulièrement utile en Amérique du Nord britannique après le déclenchement de la guerre de Sécession. En effet, entre 35 000 et 50 000 Nord-Américains britanniques s’engagent dans les forces armées américaines. Les premiers volontaires s’enrôlent probablement par goût de l’aventure ou pour la cause de l’émancipation. Cependant, après l’adoption par les États-Unis d’un système de service militaire obligatoire en 1862, ils ont aussi une forte motivation financière. En cas de service militaire obligatoire, les Américains ont la possibilité de trouver un substitut et d’éviter ainsi le service. C’est pourquoi des recruteurs se rendent en Amérique du Nord britannique et offrent des primes à ces volontaires. Les Nord-Américains britanniques participent également à ce réseau de recrutement lucratif. Les recruteurs, peu importe leur nationalité, font régulièrement face à des arrestations et des poursuites judiciaires en vertu de la Loi sur l’enrôlement à l’étranger.
Peu de personnes sont accusées de s’être enrôlées dans l’armée pendant la guerre de Sécession. Les dossiers du pénitencier de Kingston mentionnent un homme condamné pour avoir servi dans l’armée américaine, et il est probable qu’il y ait d’autres cas où des personnes ont été reconnues coupables et ont dû payer une amende ou purger une courte peine dans une prison locale. Autre exemple notable, un marchand de Toronto, ayant des liens avec le rédacteur en chef d’un journal favorable à la Confédération, poursuit en justice Arthur Rankin, député provincial et officier de la milice canadienne. Ce dernier s’est enrôlé dans l’armée américaine et a levé un régiment de Canadiens dans le Michigan. Plus tard, le député Rankin quitte son poste au sein de sa commission américaine en raison de l’aggravation des tensions entre la Grande-Bretagne et les États-Unis à la suite de l’affaire du Trent en 1861. Les accusations portées contre Arthur Rankin sont abandonnées.
Entre 1868 et 1870, plus de 500 Canadiens français quittent le Canada pour défendre le pape Pie IX. Ces zouaves pontificaux échappent à toute poursuite à leur retour, et on n’intente aucune action en justice contre les éminents membres du comité de recrutement. Cette inaction est probablement due à la crainte que des poursuites ne creusent un fossé entre le Canada anglais et le Canada français peu après la Confédération. Il est peu probable que le Canada ou la Grande-Bretagne soient contraints de se lancer dans une guerre contre un État italien à cause des zouaves pontificaux. En revanche, la Confédération court un danger réel si les Canadiens français croient qu’une menace pèse sur leur liberté de pratiquer leur foi catholique.
En 1870, le Parlement britannique adopte une nouvelle Loi sur l’enrôlement à l’étranger quelques semaines à peine après le début de la guerre franco-prussienne. Cette nouvelle loi clarifie l’objectif de la loi, qui consiste à tenir les simples citoyens à l’écart des conflits dans lesquels la Grande-Bretagne adopte une position de neutralité. La loi s’applique désormais strictement à l’enrôlement ou au recrutement dans des forces armées engagées dans un conflit et avec lesquelles la Grande-Bretagne maintient la paix. Autrement dit, la participation d’un Britannique à la guerre franco-prussienne, peu importe son camp, constitue un acte personnel accompli à ses propres risques. La loi vise à limiter les risques que de telles initiatives privées entraînent la Grande-Bretagne dans de tels conflits. La loi de 1870 interdit également la préparation et le lancement d’expéditions militaires depuis le territoire britannique. (Cette disposition aurait pu simplifier les poursuites contre les Confédérés opérant depuis le Canada au moment du raid de St. Albans, en 1864.) Des accusations sont portées contre des officiers de la milice canadienne ayant prétendument planifié une expédition à Cuba en 1871, mais elles sont finalement abandonnées.
Loi sur l’enrôlement à l’étranger de 1937 au Canada
À la suite du Statut de Westminster en 1931, le Canada peut poursuivre une politique étrangère indépendante de celle du Royaume-Uni. Toutefois, la plupart des lois concernant la politique étrangère, comme la Loi sur l’enrôlement à l’étranger, restent en vigueur et sans changement. Le déclenchement de la guerre civile espagnole au cours de l’été 1936 relance l’intérêt pour la loi, car un grand nombre de Britanniques et de Canadiens se rendent en Grande-Bretagne pour combattre pour la République espagnole. Au Royaume-Uni, le ministère britannique des Affaires étrangères déclare que la Loi sur l’enrôlement à l’étranger interdit de s’engager dans l’armée espagnole. La nouvelle loi met fin à certains projets de recrutement, mais pousse la plupart d’entre eux à la clandestinité. Les autorités canadiennes ne sont pas entièrement convaincues. La loi ne semble pas s’appliquer pleinement à la guerre civile espagnole, à moins que les autorités reconnaissent les rebelles comme belligérants, comme ce fut le cas pour la Confédération pendant la guerre de Sécession.

Motivé par le rôle de premier plan joué par le Parti communiste du Canada dans le recrutement, ainsi que par l’inquiétude que cela suscite au Québec, le ministre de la Justice, Ernest Lapointe, cherche à améliorer la loi pour qu’elle s’applique aux circonstances en Espagne. La première loi canadienne sur l’enrôlement à l’étranger reçoit la sanction royale en avril 1937 et le gouvernement l’applique à la guerre civile espagnole par décret en juillet 1937. Le recrutement est autorisé seulement lorsque des bureaux consulaires reconnus s’en chargent, ce qui exclut les agents du parti communiste. Comme au Royaume-Uni, ces mesures ont pour effet de rendre le recrutement clandestin plutôt que d’y mettre fin.
La Gendarmerie royale du Canada (GRC) mène une enquête approfondie sur les recruteurs. Le ministère de la Justice rédige et diffuse des mandats d’arrêt et embauche des procureurs. Tout est prêt pour procéder à des arrestations simultanées à travers le Canada afin de mettre un terme aux efforts de recrutement. Cependant, au cours de l’été 1938, la GRC informe le ministre Lapointe que l’application de la loi pourrait susciter une réaction négative au sein public. L’effort de recrutement est interrompu en raison de la situation militaire défaillante de la République espagnole, et les volontaires devenant des héros populaires. La GRC enquête sur plusieurs volontaires pendant des décennies après leur retour d’Espagne, mais ces enquêtes semblent viser à surveiller des personnes ayant des sympathies pour le Parti communiste et une expérience militaire. Cependant, aucun d’entre eux n’est inculpé.
La Loi sur l’enrôlement à l’étranger du Canada s’applique encore aujourd’hui. Bien que le Parlement l’ait parfois modifiée pour changer certaines de ses définitions et dispositions de procédure, cette loi reste essentiellement la même que celle adoptée en 1937.