Éditorial

Paul Chomedey de Maisonneuve, Jeanne Mance et la fondation de Montréal

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Un soleil radieux inonde l'île de Montréal en cette matinée du 18 mai 1642. Les aubépines et les cerisiers sauvages sont en fleurs et le pré, où quelques colons français ont installé un autel, est parsemé de trilles et de violettes. Le père Vimont célèbre la messe et déclare que le nouveau village, baptisé Ville-Marie, n'est « qu'un grain de sénevé [...] », en ajoutant « mais je ne doute nullement que ce petit grain ne produise un grand arbre, qu'il ne fasse un jour des progrès merveilleux ».

Le récit de la fondation de Montréal est peut-être unique dans l'histoire, note l'historien Gustave Lanctôt, qui décrit « la naissance d'une ville consacrée à la Vierge, à la seule fin de la gloire de Dieu et de la conversion des indigènes ».

Les Européens du XVIIe n'ont qu'une idée en tête : convertir tous les « sauvages » du monde à leurs propres croyances. En France, la publication des Relations des Jésuites suscite un zèle apostolique et, à la suite d'une vision mystique dont il est l'objet, un modeste percepteur d'impôts du nom de Jérôme Le Royer de la Dauversière se met à rêver de la fondation d'une mission chrétienne sur l'île de Montréal.

Avec persévérance, Le Royer parvient à rassembler les fonds nécessaires à une expédition. Il sait que l'entreprise a besoin d'un chef reconnu pour ses sérieuses compétences militaires et ses solides convictions religieuses. Quand on lui présente Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, comme un « homme de prière, courageux et juste », il l'engage immédiatement. Peu de temps avant le départ des expéditions, un autre volontaire se présente. Jeanne Mance ressent aussi un besoin irrésistible de servir Dieu en Nouvelle-France. C'est une femme de 34 ans, aux yeux magnifiques, intelligente et impulsive. La nouvelle de sa décision d'aller en Nouvelle-France suscite l'intérêt dans les cours d'Europe. Elle inspire une riche veuve, la marquise de Bullion, qui fait don d'une somme suffisante pour fonder un hôpital, un Hôtel-Dieu, dans la nouvelle colonie.

Monument de Maisonneuve, Montréal.

Maisonneuve et Jeanne Mance quittent La Rochelle en mai 1641 avec 47 hommes, 2 femmes et quelques enfants. Ils passent l'hiver à Québec, se préparant à remonter le fleuve malgré les avertissements des autorités. Les Jésuites en particulier s'opposent à ce projet qu'il trouve dangereux, le qualifiant de « folle entreprise ». La réponse de Maisonneuve restera célèbre : « [...] Il est de mon honneur et vous trouverez bon que j'y monte pour y commencer une colonie, quand tous les arbres de cette île se devraient changer en autant d'Iroquois. »

Le 8 mai 1642, dès que le fleuve Saint-Laurent est enfin libéré de ses glaces, l'expédition se met en route. Habitués aux petites rivières de France, les colons sont ébahis devant la magnificence du Saint-Laurent. Le 17 mai, la légère embarcation longe la côte de l'île et, le lendemain matin, l'expédition débarque pour effectuer sa petite célébration.

Tous s'entendent pour dire que l'île de Montréal est extrêmement propice à l'implantation d'un village. Les cours d'eau qui y convergent font de l'île un magnifique carrefour géographique en Amérique du Nord. Avant l'arrivée des Français, l'île avait été occupée par une bande d'Iroquois qui ont mystérieusement délaissé leur grand village d'Hochelaga entre les deux visites qu'y avait effectuées Jacques Cartier en 1535 et en 1541.

En ce premier jour, les colons montent leur campement et déchargent leurs vivres. Le 28 août, les missionnaires enregistrent fièrement leur premier baptême, celui d'un bambin algonquin de quatre ans, qu'ils prénomment Joseph. Lorsque l'hiver s'installe, les colons ont déjà construit un mur de solides pieux, une vaste résidence temporaire pour le gouverneur de Maisonneuve et Jeanne Mance ainsi que quatre petites maisons pour les autres personnes.

Les Iroquois apprennent l'existence de Ville-Marie de bouche à oreille. Le village représente une menace pour leurs voies de commerce. Ils y viennent en reconnaissance le 9 juin 1643, tuant trois hommes et faisant trois prisonniers. Rapidement, la colonie est constamment assiégée par des expéditions guerrières iroquoises. Un jour, le gouverneur se retrouve seul face à une de ces expéditions. Il parvient à en tuer le chef et s'enfuit pendant que les Indiens mettent leur mort à l'abri.

En 1653, Maisonneuve revient de France avec 105 soldats, triplant ainsi la défense du village. Grâce à quelques années de paix, Ville-Marie s'enracine plus profondément.

Après des années d'indifférence, en 1663, Louis XIV se décide finalement à apporter son aide. Il place le village sous la protection royale et envoie des renforts. Cependant, alors que la survie de la colonie est enfin assurée, une triste nouvelle jette dans l'abattement les habitants de Ville-Marie. Le gouverneur et l'évêque de Québec, qui n'ont jamais cessé de regarder avec méfiance toute cette entreprise, trouvent une excuse pour faire en sorte que son chef soit rappelé. Maisonneuve repart vivre à Paris, où il mourra dans la solitude. Même si la ville aura finalement adoré le « veau d'or » autant que Dieu, son fondateur a laissé sa marque pour toujours sur une des grandes villes d'Amérique.