L’enquête Marshall était une commission royale d’enquête mise en place par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse. Elle avait pour mission d’enquêter sur la condamnation d’un Mi’kmaq de Nouvelle‑Écosse, Donald Marshall fils, accusé à tort d’avoir commis un meurtre. Il s’agissait alors de la première enquête de ce type au Canada. La commission a rendu son rapport public le 26 janvier 1990. Elle y formulait des recommandations ayant profondément modifié le système de justice pénale en Nouvelle‑Écosse, en particulier dans le traitement des Autochtones.
Arrestation, condamnation et emprisonnement
Le 4 juin 1971, Donald Marshall fils, alors âgé de 17 ans, est arrêté et accusé du meurtre de Sandy Seale, un Canadien noir du même âge que lui. Le 28 mai 1971, les deux jeunes gens rencontrent deux hommes, Roy Ebsary et Jimmy MacNeil, dans un parc à Sydney, en Nouvelle‑Écosse. Une bagarre éclate et Sandy Seale est poignardé à mort.
Donald Marshall parle à la police de Roy Ebsary et de Jimmy MacNeil, et explique que l’un d’eux avait fait des remarques racistes sur les Autochtones et sur les Canadiens noirs avant de tirer un couteau. Toutefois, la police ne recherche pas les deux hommes évoqués par le jeune Autochtone, mais conclut plutôt que c’est lui qui a poignardé Sandy Seale.
Moins de six mois après son arrestation, le 2 novembre 1971, Donald Marshall comparait devant un tribunal au palais de justice du comté de Cap‑Breton, à Sydney. À l’issue d’un procès de trois jours, le jeune homme est reconnu coupable de meurtre non qualifié et condamné à la prison à vie.
Acquittement de Marshall
Donald Marshall fils est libéré de prison le 28 juillet 1982. Après avoir examiné des éléments de preuve non présentés lors du procès de 1971, la division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse l’acquitte officiellement en mai 1983. Cependant, le juge exonère la police de ses responsabilités, affirmant que l’accusé avait contribué à sa propre condamnation et qu’une éventuelle erreur judiciaire était « plus apparente que réelle ».
En 1986, le gouvernement met en place une Commission royale d’enquête sur l’affaire criminelle Marshall. Connue sous le nom d’enquête Marshall, elle a pour mission d’enquêter sur la condamnation injustifiée du jeune homme, avec pour objectif de contribuer à prévenir de futures « tragédies » similaires.
Enquête Marshall
La Commission royale est nommée par un décret de la Nouvelle‑Écosse le 28 octobre 1986. Ses commissaires sont le juge en chef T. Alexander Hickman de la Cour suprême de Terre‑Neuve, qui en est le président, le juge en chef adjoint Lawrence A. Poitras du Québec et l’honorable Gregory T. Evans, C.R., de l’Ontario.
Les audiences publiques, au cours desquelles la commission entend 113 témoins et examine 176 pièces comme éléments de preuve, se déroulent pendant 93 jours à Halifax et à Sydney, en 1987 et en 1988.
La commission examine la façon dont la justice est administrée en Nouvelle‑Écosse, ainsi que le rôle politique du procureur général. Elle se penche également sur la relation entre les procureurs de la Couronne, d’une part, et la police et les avocats de la défense, d’autre part. Elle analyse aussi les allégations selon lesquelles le système judiciaire provincial ne traite pas équitablement les minorités.
Les avocats Anne Derrick, Marlys Edwardh et Clayton Ruby, qui avaient représenté Donald Marshall fils témoignent en mi’kmaq. La commission assiste à des présentations d’experts sur la façon dont le système de justice pénale de la province traite les Canadiens noirs et les Autochtones. Le Black United Front et la Union of Nova
Scotia Indians (voir également Indien) bénéficient d’un statut de participant à part entière à l’enquête et présentent des observations
à la commission.
Rapport et constatations
Le rapport, en sept volumes, publié le 26 janvier 1990, conclut que « le système de justice criminelle a failli à son devoir envers Donald Marshall fils, et ce, à pratiquement toutes les étapes du processus. Il estime que le racisme et l’incompétence de la police, des juges, des avocats, des bureaucrates et du procureur général ont conduit à une condamnation injustifiée.
Il précise qu’aussi bien le procureur de la Couronne que l’avocat de la défense « ne se sont pas acquittés de leurs obligations » lors du procès Marshall de 1971. Il poursuit en expliquant qu’en outre, la Cour d’appel a utilisé les éléments de preuve de manière sélective. Le rapport indique que, par exemple, la Couronne n’a pas divulgué à l’avocat de la défense des déclarations contradictoires de certains témoins. Selon le rapport, les erreurs commises par le juge étaient « si fondamentales » qu’elles auraient dû déboucher sur un nouveau procès.
Il conclut que les commentaires injustes de la Cour d’appel concernant la responsabilité de Donald Marshall dans sa propre condamnation avaient conduit à une indemnisation d’un montant limité et avaient également empêché le public de pleinement accepter son acquittement.
Recommandations
La Commission royale d’enquête de 1990 produit 82 recommandations, traitant notamment des procédures judiciaires de redressement des condamnations injustes, ainsi que de nouvelles politiques concernant les minorités visibles et la police en matière de système de justice pénale. Le rapport recommande, par exemple, que la Couronne divulgue intégralement et rapidement à la défense l’ensemble des renseignements pertinents. Elle recommande également une indépendance totale des procureurs publics provinciaux vis‑à‑vis de toute ingérence politique. Elle soutient qu’ils ne devraient être responsables que devant la législature provinciale, et non devant le procureur général. Les procureurs fédéraux rendent compte, de leur côté, au Parlement du Canada.
Suites
Les recommandations de la commission concernant la réévaluation de l’indemnisation de 270 000 $ octroyée à Donald Marshall fils conduisent, en 1990, à la mise en place d’une Commission royale d’enquête distincte. Dirigée par le juge Gregory T. Evans, elle conclut, en juin de la même année, à la nécessité de porter l’indemnisation à un montant de 1,5 million de dollars, sous la forme d’une pension à vie. Donald Marshall recevra ce montant jusqu’à son décès, en 2009.
Les recommandations de l’enquête Marshall conduisent à la création du premier service public de poursuites pénales indépendant au Canada. En outre, la Nova Scotia Barristers’ Society crée, dans la foulée de l’enquête, son premier comité des relations raciales. L’enquête et ses recommandations ont contribué à accroître l’inclusion et la diversité dans les facultés de droit et dans la fonction publique de la Nouvelle‑Écosse et du Canada.
En novembre 2016, la Schulich School of Law de l’Université Dalhousie dévoile officiellement un portrait de Donald Marshall fils en hommage à son combat pour la justice.