Éditorial

Massacre de Cypress Hills

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Bien que ce soit un endroit paisible à visiter de nos jours, les collines du Cyprès de la Saskatchewan et de l'Alberta connurent une histoire mouvementée immédiatement après la Confédération. Il n'était pas facile d'atteindre les collines à partir des camps de la Compagnie de la Baie d'Hudson le long des rivières Rouge et Saskatchewan ; mais des marchands de la ville riveraine de Fort Benton, sur la rivière Missouri, réussirent éventuellement à s'y infiltrer. En 1870, la présence des marchands ainsi que le trafic en contrebande de grandes quantités de whisky soulignèrent la faiblesse des autorités canadiennes à l'ouest de Winnipeg.

La violence atteignit son paroxysme le matin du 1er juin 1873 lorsque des marchands et des chasseurs de loups provenant de Fort Benton dispersèrent un campement Assiniboine de 50 tipis, tuant au moins 20 hommes, femmes et enfants sur les bords de ce qui est maintenant appelé Battle Creek, un tributaire de la rivière Missouri dans le sud-ouest de la Saskatchewan.

La région des collines du Cyprès est boisée et bien approvisionnée en eau; elle est utilisée depuis des millénaires par les peuples autochtones. En mai 1873, 50 tipis d'Assiniboines étaient établis à deux pas de deux postes de traite gérés par des marchands du Montana - Abel Farwell sur la rive ouest de Battle Creek et Moses Solomon à l'est. Partout dans les collines, des centaines de Métis qui y avaient suivi les troupeaux diminués de bisons, s'y étaient installés pour y passer l'hiver, loin de leurs campements de la rivière Rouge.

Vers la fin mai, les relations entre les forts et les campements étaient acrimonieuses, et les Assiniboines en voulaient particulièrement à Solomon. Ne leur restant que d'approvisionnements, les marchands étaient sur le point d'embaucher des Métis pour transporter leurs fourrures et leurs peaux vers le sud, en direction du Montana. Pour comble de malheur, et par une étrange coïncidence, une douzaine de chasseurs de loups, en colère, arrivèrent sur les lieux en provenance de Fort Benton. Quelques semaines auparavant, ils avaient perdu plusieurs chevaux que les Cris leur avaient probablement volés. Les chasseurs avaient suivi les pistes de leurs chevaux en direction nord, jusqu'au Canada, puis avaient perdu leurs traces ; ils arrivèrent au poste de Farwell de très mauvaise humeur.

Le récit de ce qui se produit ensuite est un amalgame de plusieurs témoignages contradictoires. Un marchand perdit un cheval. Il blâma les Assiniboines et obtint que le groupe de Benton s'infiltre de force dans leur campement et prenne un de leurs chevaux. Plusieurs hommes, de deux côtés, étaient ivres. Alors que Farwell essayait de mener des négociations, les femmes et les enfants s'enfuirent. Certains Assiniboines défièrent les marchands et les chasseurs de loups bien armés, les enjoignant de se battre.

On ne sait pas qui tira le premier coup, mais le résultat fut épouvantable. Les Blancs, armés de carabines, tiraient à partir d'une coulée qui les protégeait. Ils dominaient ainsi les Assiniboines, dont les mousquets et les flèches ne réussirent à tuer qu'un seul chasseur de loup, un Canadien français dénommé Ed Legrace. Il gît toujours dans un cercueil en bois grossier sous l'emplacement du poste de Solomon. Il n'y eut aucun enterrement pour les Assiniboines dont les ossements demeurèrent sur les lieux pendant de nombreuses années. Toutefois, quelques kilomètres plus loin, les survivants se mirent à l'abri avec des Métis. Les marchands du Montana firent leurs bagages et retournèrent en direction sud, accompagnés par les chasseurs de loups.

La nouvelle du massacre prit un certain temps à se répandre. Abel Farwell rapporta l'événement aux autorités du Montana, qui relayèrent les renseignements à Washington. Entre temps, les Métis transmirent les mêmes nouvelles à Winnipeg. Les deux rapports de l'incident atteignirent Ottawa à peu près au même moment, à la fin du mois d'août 1873.

Pendant trois ans, le gouvernement fédéral tenta de traduire les meurtriers en justice. En juillet 1875, des officiers de la Police à cheval du Nord-Ouest (alors P.C.N.-O., maintenant la Gendarmerie royale du Canada ou GRC) se rendirent au Montana, mais ne réussirent pas à extrader les sept hommes. En juin 1876, trois autres, faits prisonniers au Canada, furent traduits en justice et acquittés à Winnipeg. La bagarre ayant été plutôt confuse, aucun témoin n'était prêt, sous serment, à incriminer un prisonnier en particulier. Toutes les accusations furent retirées en 1882. Bien que le gouvernement américain coopérât à l'enquête, l'opinion publique au Montana appuyait les accusés ; à Winnipeg, les avis étaient partagés.

Il est difficile de mesurer la portée du massacre. L'événement confirmait que l'Ouest avait besoin d'une force policière, force que le gouvernement avait déjà commencé à mettre sur pied. Le Parlement avait même entériné une loi à cet effet avant que le massacre n'eût lieu. Le Cabinet discuta du commerce du whisky au début août, et, le 28 du mois, l'Ottawa Citizen annonçait que la Police à cheval du Nord-Ouest serait immédiatement établie. Le lendemain, le premier rapport sur le massacre fut publié dans l'Est canadien. La presse de l'Est du pays lui accorda peu d'attention - elle était complètement prise par les scandales entourant le gouvernement de Sir John A. Macdonald et la dégringolade subséquente qui eut lieu le 5 novembre. À ce moment-là, les 150 premiers membres de la Police à cheval du Nord-Ouest avaient déjà commencé leur entraînement au Manitoba.

Les agents officiels étaient de l'avis que l'enquête renforcerait l'autorité canadienne en montrant aux Premières Nations que le système judiciaire était impartial : ce fut probablement le cas au tout début. Par après, d'autres influences firent en sorte que les Premières Nations habitant les Plaines ne furent pas en mesure de résister à l'établissement croissant sur leurs territoires.

Le procès au palais de justice à Helena aprés le massacre de Cypress Hills (Hamilton Art Gallery).

Grâce aux multiples efforts de J. P. Turner, historien de la Gendarmerie royale du Canada, et à Bruce Shepherd, historien local, le Massacre à Cypress Hills fut petit à petit bien connu de tous. Ochankugehe (Dan Kennedy) publia le récit émouvant d'un survivant Assiniboine en 1972. Wolf Willow, le mémoire de Wallace Stegner, et Englishman's Boy, de Guy Vanderhaege, un classique de la littérature canadienne publié en 1996, sont deux récits dramatisés de cette histoire. Depuis peu, des Assiniboines de la région, jugeant l'événement comme important, s'efforcent de faire reconnaître et protéger le site du campement de 1873.