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Mitiarjuk Nappaaluk

Mitiarjuk Attasie Nappaaluk, O.C. (née en 1931 et décédée en 2007 à Kangiqsujuaq, au Nunavik), était une auteure, une enseignante et une historienne inuite. Elle est surtout connue pour avoir écrit un des premiers romans en inuktitut, Saanaq. Grande défenseure de la culture et des traditions inuites, elle a été nommée membre de l’Ordre du Canada en 2004.

Jeunesse

Mitiarjuk Nappaaluk est née à Kangiqsujuaq, alors appelé Wakeham Bay, une communauté près du détroit d’Hudson, au Nunavik. Il semblerait qu’elle ait passé toute sa vie près de cette communauté. Comme elle est la fille aînée d’une famille n’ayant eu que des filles, son père lui enseigne la chasse et les autres savoir-faire traditionnellement masculins.

Les missionnaires qui arrivent dans sa communauté quand elle a 20 ans lui apprennent l’alphabet syllabique inuktitut. En retour, elle leur enseigne comment parler l’inuktitut. Il s’agit d’un bon exemple de collaboration entre deux cultures opposées au profit d’une petite communauté nordique, et d’un des exemples du genre que Mitiarjuk Nappaaluk offrira au monde au nom de tous les Inuits.

Mitiarjuk Nappaaluk est élevée conformément aux enseignements et aux modes de vie traditionnels inuits, et est donc exposée notamment à la chasse, à la pêche et aux récits. Elle aide les missionnaires à rédiger des entrées pour un dictionnaire de l’inuktitut et à traduire des romans et de la littérature. Elle traduit également le Roman catholic Book of Prayer (Livre des prières catholique) en inuktitut. Son travail lui mérite un doctorat honorifique de l’Université McGill.

Réalisations

La vie de Mitiarjuk Nappaaluk est marquée par de nombreuses réalisations. Les réalisations sont de plusieurs natures. Leur reconnaissance se voit dans des choses matérielles, comme des médailles, des trophées ou des discours lors d’événements publics. De façon encore plus importante, elles renvoient à l’héritage laissé aux générations suivantes. C’est ce sur quoi Mitiarjuk Nappaaluk se concentre toute sa vie. Elle écrit et travaille sans égard pour elle-même : elle le fait au profit des Inuits des générations à venir.

En 1999, Mitiarjuk Nappaaluk reçoit le Prix national d’excellence décerné aux Autochtones (aujourd’hui nommé prix Indspire) dans le secteur de la culture, du patrimoine et de la spiritualité. Elle a alors écrit 22 livres sur les traditions et les pratiques de chasse et de pêche inuites, la langue inuktitute et les paysages nordiques. Ce canon est considéré comme une collection d’encyclopédies spécifiquement inuites et se trouve encore de nos jours dans les écoles partout au Nunavik. Aînée révérée de Kangiqsujuaq, au Nunavik, Mitiarjuk Nappaaluk siège à des commissions scolaires et contribue à la constitution de programmes scolaires qui sont encore en vigueur aujourd’hui. De 1965 à 1996, elle est employée par la Commission scolaire Katavik en tant qu’aînée. Elle met alors au point des programmes de langue inuktitute et offre des formations de sensibilité culturelle aux enseignants. Très active dans le milieu de l’éducation, elle n’est pourtant jamais allée à l’école et ne s’est jamais assise dans une salle de classe en tant qu’élève.

En l’an 2000, Mitiarjuk Nappaaluk reçoit un doctorat honorifique en droit de l’Université McGill. Il s’agit d’une institution d’enseignement postsecondaire et donc d’une autre forme d’éducation qu’elle n’a jamais reçue. Pourtant, son savoir et son engagement à l’égard de la littératie inuite, acquis grâce à ses expériences de vie et à sa clairvoyance, se voient accorder une grande valeur et lui méritent des honneurs.

En 2004, elle reçoit l’Ordre du Canada pour son travail de préservation de la langue et de la culture inuites. Mitiarjuk Nappaaluk n’a pas nécessairement cru que son travail améliorerait le Canada, mais elle fait toute sa vie la promotion de bonnes relations entre les Inuits et les non-Inuits. Elle reconnaît la valeur non seulement de l’harmonie, mais aussi des habiletés pouvant être échangées entre deux cultures différentes.

Pour exprimer ses traditions et sa spiritualité inuites, Mitiarjuk Nappaaluk écrit et enseigne, mais pratique également la sculpture. Elle crée des sculptures en pierre à savon représentant des « monstres » traditionnels inuits tels qu’elle les imagine et des corps inuits enlacés. Son œuvre intitulée Virgin Mary, qui représente la Vierge Marie comme une Inuite, est donnée en cadeau à la mission Sainte-Anne de sa communauté.

Enfin, Mitiarjuk Nappaaluk est également honorée, à titre posthume, par un nouveau centre culturel du centre-ville de Montréal qui s’appellera Centre Sanaaq et dont l’ouverture est prévue en 2023.


Sanaaq

La réalisation la plus connue de Mitiarjuk Nappaaluk est Sanaaq, un roman en inuktitut écrit tout au long des années 1950 et publié en 1984. Sa traduction française paraît en 2002 et sa version anglaise, en 2014. L’œuvre se trouve sur la liste des succès de librairie à Montréal pendant plusieurs semaines en 2003.

Sanaaq est une série d’épisodes se déroulant des années 1920 aux années 1950. Le roman entraîne ses lecteurs dans la vie quotidienne d’une femme inuite, Sanaaq, avec sa famille et sa communauté. Il s’agit d’un témoignage riche sur la vie des Inuits avant les contacts avec les Européens, mais aussi des changements causés par la colonisation et l’arrivée des missionnaires chrétiens sur le mode de vie semi-nomade des Inuits de l’est de l’Arctique. Parmi ces changements, on compte l’introduction de la monnaie et des aliments du sud ainsi que de maladies comme la tuberculose, et l’adaptation à la vie dans des maisons permanentes. Le livre représente et explique les traditions et pratiques inuites. En 2020, un critique inuit de Nunatsiaq News fait remarquer : « Le style d’écriture descriptif mais court a ouvert la narration à mon imagination des sites, des sons et des odeurs de la vie inuite de jadis. En tant qu’Inuit, j’ai senti la mémoire de mon sang se réveiller. »

Cependant, l’essence des vingt ans d’écriture de Mitiarjuk Nappaaluk et des changements rapides de la vie des Inuits au Canada pourrait ne pas être perçue par ceux qui se concentrent à débattre du caractère littéraire (au sens occidental du terme) de la littérature inuite. Selon certains critiques, la structure de l’œuvre peut être dense, mais la place du livre au panthéon de la littérature inuite est plus importante que ces différences structurelles.

Dans les deux dernières pages de son livre, Mitiarjuk Nappaaluk traite du passage de la vie traditionnelle à la vie moderne inuite par l’intermédiaire du personnage de Maatiusi. Ce dernier a une épouse esprit et désire avoir une femme physique et une famille. L’épouse esprit a cependant convaincu Maatiusi que s’il en parle, elle le tuera, et donc il lui obéit. Par contre, à un certain point, il ne peut plus se taire et se confie à Qalingu, un aîné. Il lui dit alors : « Tous les Inuits et même les Qallunaat (Euro-Canadiens ou gens du Sud) savent que tu as une nuliarsaq (épouse esprit). Si tu le confesses, tu ne seras plus dans cette situation. »

En 1997, Mitiarjuk Nappaaluk indique : « Je peux vivre avec les Qallunaat… J’ai vu que je pouvais apprendre d’eux même s’ils viennent d’une culture différente… Les deux cultures peuvent collaborer. » Sa philosophie devient évidente dans la conclusion de son livre. Elle semble simplement y indiquer que les Inuits sont capables de trouver leur chemin entre la vie traditionnelle et la vie moderne, et que les Qallunaat sont conscients des croyances inuites. Le recours à une forme de divulgation non traditionnelle peut être aussi utile pour les Inuits que pour les non-Inuits. Il se peut que Mitiarjuk Nappaaluk indique ainsi simplement que les Inuits et non-Inuits peuvent trouver des terrains d’entente et entretenir des liens de respect mutuel, c’est-à-dire qu’ils peuvent collaborer.

Héritage

Mitiarjuk Nappaaluk était une femme qui a tenu compte de la vie en termes passés, présents et futurs. L’héritage le plus important qu’elle laisse, sa plus grande réalisation, est son amour pour tous les Inuits. Elle a mené une vie simple marquée par les plus grands honneurs, et tout ce qu’elle souhaitait accomplir par son travail était ce qu’il y avait de mieux pour les siens. En 1999, quand elle reçoit le prix Indspire, sa fille, Arnaujaq Nappaaluk Qumaaluksaid, lui rend hommage. Elle met l’accent sur les réalisations et les contributions de sa mère tout au long de sa vie, et souligne qu’« elle ne l’a pas fait seulement pour elle-même, mais pour toutes les personnes inuites. »

Mitiarjuk Nappaaluk s’est éteinte dans sa communauté natale en 2007 après une longue maladie. Elle continue toutefois de guider les Inuits par son héritage d’amour.