Les militants et leurs alliés exercent des pressions à tous les niveaux du gouvernement pour mettre en place des politiques et des lois sans obstacle pour les personnes handicapées, surtout en matière d’emploi, de transport, d’éducation et de logement. Ces activistes travaillent de concert pour établir un sentiment d’appartenance au sein de cette communauté en soulignant leurs expériences communes de discrimination et d’inaccessibilité. Au Canada, leur travail connaît un succès particulièrement marqué sur deux fronts. La sensibilisation de la population en ce qui a trait aux enjeux vécus par les personnes handicapées a mené à la promulgation d’une législation progressiste qui leur garantit certains droits et privilèges.
Fin du XIXe siècle et début du XXe siècle
La foi que l’on accorde aux autorités médicales et la croissance de l’industrialisation créent un ensemble de conditions sociales, politiques et économiques durant le XIXe siècle et le début du XXe siècle qui encourage la ségrégation des personnes handicapées au Canada. Avec la croissance d’une foule d’institutions politiques apparaissent aussi des résidences, des hôpitaux psychiatriques, des écoles pour aveugles, des maisons de refuge et des résidences gérées par l’Église dans lesquels s’empilent de larges groupes de personnes ayant des handicaps intellectuels ou physiques et des problèmes de santé mentale. Les réformistes sociaux de l’époque en appellent à l’éthique chrétienne dominante pour encourager les Canadiens à soutenir financièrement les programmes de charité pour les personnes handicapées (voir Organisations féminines). Dans un tel contexte social et politique, beaucoup de personnes handicapées sont vues comme incapables et dépendantes des autres, et les occasions pour elles de défendre leurs droits civils s’en retrouvent fortement réduites (voir Droits de la personne).
Le statu quo commence à changer à la suite de la Première Guerre mondiale, lorsque des milliers de blessés et de vétérans invalidés reviennent au Canada. En effet, de nombreux soldats souffrant de troubles psychologiques (par exemple la névrose des tranchées), de handicaps visuels ou d’une mobilité réduite éprouvent énormément de difficultés à réintégrer la société de masse après la guerre. Des organismes sans but lucratif, dont les Amputés de guerre, sont donc créés pour défendre les vétérans et répondre à leurs besoins dans la communauté. Des services de réadaptation, de formation professionnelle en ateliers protégés, d’aide à l’emploi et de placement sont mis en place pour permettre aux anciens soldats un retour rapide dans la population active. Les pensions dont ils peuvent se prévaloir sont d’ailleurs plutôt généreuses par rapport à celles données aux travailleurs blessés et aux autres personnes handicapées qui dépendent de leur famille ou de la charité pour vivre.
Moitié du XXe siècle
Après la Deuxième Guerre mondiale, les inégalités entre les anciens combattants handicapés et les citoyens ayant des incapacités se creusent davantage. Le vaste éventail de services sociaux et professionnels offerts aux vétérans, combiné au grand poids politique de ce groupe, éveille dans la communauté un désir d’offrir une aide aux autres (voir Sécurité sociale). En effet, les invalides civils et leurs alliés au sein du mouvement des vétérans promeuvent la prestation des services à toute personne en ayant besoin, peu importe la source ou la cause de son incapacité. Ils arguent que les personnes handicapées ont le droit de participer à la société et devraient profiter du même accès aux services qui ont aidé les anciens combattants à jouir d’une nouvelle vie professionnelle et communautaire, surtout dans le contexte où l’avancement des technologies d’assistance, en particulier les nouveaux modèles de fauteuils roulants, permet aux handicapés de se déplacer plus facilement et de façon plus indépendante qu’avant.
De nouveaux mouvements sociaux et de nouvelles coalitions, formés de parents, de proches, de professionnels et de personnes handicapées, apparaissent durant cette période. Les activistes luttent pour une désinstitutionnalisation des personnes handicapées : on veut remplacer les institutions résidentielles par des réseaux de services communautaires. Dans les années 1950 et 1960, des organismes comme l’Association canadienne pour les enfants arriérés (maintenant l’Association canadienne pour l’intégration communautaire) mettent sur pied des agences communautaires et des foyers de groupe pour les jeunes et les adultes avec des déficiences intellectuelles. Ces organismes luttent aussi pour que les gouvernements mettent la clé sous la porte des grandes institutions, et misent plutôt sur le financement des services communautaires et leur augmentation.
Années 1970 : apparition des groupes de consommateurs
À partir des années 1970, les personnes handicapées commencent à créer leurs groupes militants. Ancrés en partie dans la culture de protestation des jeunes et inspirés par les autres mouvements sociaux, ces activistes se battent pour mettre en place un front de défense n’étant plus chapeauté par un parent ou un professionnel, mais par les personnes handicapées elles-mêmes. Certains groupes, comme le Scarborough Recreation Club for Disabled Adults, commencent en tant que clubs sociaux, alors que d’autres, notamment les United Handicapped Groups of Ontario, sont fondés suivant le principe du consommateur. Au Canada, ces groupes sont, entre autres, la British Columbia Coalition of the Disabled, le Committee of Action Groups of the Disabled (Alberta), la Voice of the Handicapped (Saskatchewan), la League for the Physically Handicapped (Manitoba), le Carrefour Adaptation (Québec), le Council of People with Disabilities (Île-du-Prince-Édouard), le HUB (Terre-Neuve) et la League for Equal Opportunities (Nouvelle-Écosse). Vers la fin de la décennie 1970, ils se réunissent sous une bannière nationale : la Coalition des organisations provinciales ombudsman des handicaps (maintenant Conseil des Canadiens avec déficiences).
Le 9 décembre 1975, l’Organisation des Nations Unies émet la Déclaration des droits des personnes handicapées, un document qui présente les droits de base des personnes handicapées, et encourage les pays membres à promulguer des lois et des initiatives de protection de ces droits. La déclaration est saluée par un nombre grandissant d’activistes qui depuis longtemps demandent la création de nouvelles mesures pour soutenir les handicapés dans toutes les sphères de leur vie, dont la sécurité financière et l’autonomie. De nouveaux bureaux, conseils et comités sont établis à tous les niveaux du gouvernement pour assurer la liaison avec les lobbyistes et inclure leurs préoccupations dans le processus de décisions politiques. À l’échelle fédérale, le Bureau de la réadaptation est fondé en 1979 pour coordonner les efforts nationaux de promotion des intérêts des personnes handicapées. En 1975, le Conseil consultatif pour les handicapés physiques (dirigé par des personnes handicapées) est créé par le gouvernement ontarien. Le Conseil a pour objectif de sonder les Ontariens invalidés pour ensuite faire des recommandations aux dirigeants. En 1978, suivant l’adoption d’une loi provinciale promouvant l’intégration professionnelle et sociale des personnes handicapées, le gouvernement du Québec constitue l’Office des personnes handicapées.
L’une des préoccupations principales des groupes de défense de droits des personnes handicapées à l’époque est le sort qu’on leur réserve dans les hôpitaux psychiatriques. Ils établissent donc un nouveau modèle de soins qui permet aux personnes handicapées de vivre et de travailler en communauté plutôt que d’égrener leurs jours derrière des portes closes. Cette philosophie de désinstitutionnalisation implique de remplacer les grandes institutions centrales par des réseaux d’installations de moins grande envergure, mais ancrés dans les quartiers. La majorité des patients sont ainsi désinstitutionnalisés durant ces années. La qualité des soins, toutefois, demeure un problème de taille, car elle est menacée par le sous-financement systémique des organismes communautaires et sans but lucratif.
Décennie 1980 : nouveaux droits législatifs
L’Année internationale des personnes handicapées (AIPH) de l’ONU, célébrée en 1981, représente un point culminant dans la lutte pour les droits des personnes handicapées au Canada. L’AIPH et la subséquente Décennie des Nations Unies pour les personnes handicapées (de 1983 à 1992) favorisent un intérêt inégalé de la part du public et des décideurs politiques canadiens en ce qui a trait aux droits offerts aux personnes handicapées. Cette augmentation générale de la sensibilisation donne un poids certain aux militants qui souhaitent inclure les incapacités à la Charte des droits et libertés. Cette inclusion est au départ refusée, à cause de la nature trop vague et propre à interprétation du terme « incapacité ». Avec le temps et beaucoup d’efforts, toutefois, il entre comme catégorie protégée dans la version définitive de la Charte.
En 1986, les personnes handicapées sont incluses, avec les femmes, les minorités visibles et les peuples autochtones, dans la nouvelle Loi sur l’équité en matière d’emploi, écrite à la suite d’un rapport de la commission royale sur le sujet. Une loi provinciale semblable est votée en 1993 par le Nouveau Parti démocratique de l’Ontario, mais celle-ci est renversée en 1995 avec l’élection d’un gouvernement progressiste-conservateur mené par le premier ministre Mike Harris.
De nouvelles organisations, comme le Centre de la défense des personnes handicapées (ARCH), sont créées pour soutenir les personnes handicapées au plan juridique, utilisant notamment la Charte pour constituer une jurisprudence favorable et faire avancer des causes à la Cour suprême du Canada.
Les mesures législatives qui répondent aux besoins particuliers des personnes non voyantes sont d’abord introduites à l’échelle fédérale avec la Loi sur les aveugles (1951) et la Loi sur les droits des aveugles (1976). Les provinces suivent quelques années plus tard, notamment en Nouvelle-Écosse (1989), en Ontario (1990), à Terre-Neuve (1990) et en Alberta (2000).
1990 : néolibéralisme, compressions et épanouissement des études sur les incapacités
La récession mondiale durant la fin des années 1980 et le début des années 1990 affecte grandement la communauté des personnes handicapées. La dette publique ne cesse de croître, ce qui engendre au Canada un climat d’austérité et de restrictions financières. On sabre les taux d’assistance sociale et les subventions accordées aux organismes, en plus de réorganiser les liaisons politiques officielles, lorsqu’on ne les élimine pas entièrement. Sous ces conditions, de nombreux organismes, comme le People United for Self Help Ontario (PUSH Ontario), sont forcés de se dissoudre, alors que les regroupements plus importants, comme le nouvellement nommé Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD), redoublent d’efforts pour promouvoir les intérêts des Canadiens handicapés.
Un nouveau discours universitaire et interdisciplinaire se concentrant sur le rôle des incapacités dans la société émerge au Canada durant ces années. Cette analyse critique, qui repose sur les études internationales de la condition des personnes handicapées, cherche à responsabiliser les personnes handicapées et à les encourager à prendre le contrôle de leur destin. Plusieurs études, comme Politics of Disablement (1990), de Michael Oliver, étudient en profondeur l’intérêt politique de développer un mouvement mondial de défense des droits des personnes handicapées. À mesure que des études sont publiées au XXIe siècle, le débat s’élargit et inclut une foule d’autres universitaires et chercheurs de domaines et de points de vue différents.
XXIe siècle
En Ontario, les groupes de défense des droits des personnes handicapées accueillent avec joie l’introduction de la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (AODA) en 2005. L’AODA établit clairement l’objectif de rendre l’Ontario accessible d’ici 2025 en établissant des normes d’accessibilité, en obligeant les gouvernements et les organisations à soumettre des rapports de conformité et en enquêtant sur les plaintes du public.
Le XXIe siècle est, pour le mouvement des personnes handicapées, une période de renaissance de l’intérêt public et politique. Le 11 mars 2010, le Canada ratifie la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies, s’engageant par le fait même à suivre une série de mesures et de principes pour améliorer les conditions socioéconomiques des personnes handicapées, ainsi que leurs droits civils et politiques. En 2014, le Canada soumettait au comité de la Convention son premier rapport soulignant les différentes actions posées par les gouvernements fédéral et provinciaux selon leur ratification.
Le 3 décembre de chaque année, les organismes canadiens se rassemblent pour sensibiliser le grand public et les décideurs politiques dans le cadre de la Journée internationale des personnes handicapées des Nations Unies.