Project Mémoire

Lucien Senterre

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

M. Lucien Senterre est un vétéran belge qui s'enrôla dans l'armée belge en 1947. Lorsque débuta la Guerre de Corée, il se porta volontaire au sein du Corps de Volontaires pour la Corée, connu aussi sous la dénomination de Belgian United Nations Command, une unité de la taille d'un bataillon qui servit en Corée du début de 1951 jusqu'à l'été de 1955.
Le Projet Mémoire
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M. Lucien Senterre, août 2012.
Le Projet Mémoire
Et au bout des trois mois, nous avons reçu un béret d’une couleur particulière : le béret brun, qui chez les Belges, est très connu parce que le béret rouge n’est attribué qu’aux parachutistes, le béret vert qu’aux commandos et le béret brun qu’aux anciens de Corée. Alors nous avons tous, au cours d’une cérémonie à laquelle assistait le roi Baudouin, reçu notre béret.

Je suis entré à l’armée, en 1947. Je suis entré dans une école de brigade comme ils l’appelaient. Et j’y ai fait deux ans dans une école du génie, mais plus particulièrement axée sur les communications. J’ai appris à me servir du morse, de la radio, à construire des lignes de téléphone, etc. Et étant devenu sous-officier, avec le grade de sergent, j’ai eu le choix de pouvoir aller en Allemagne avec les forces d’occupation (belges). Ce que j’ai choisi immédiatement parce que c’était beaucoup plus intéressant que d’être dans une caserne de l’armée belge. Et me trouvant en occupation à Cologne, en 1950, nous avons appris que la guerre de Corée avait éclaté et ça nous a intéressés énormément, jeunes sous-officiers, mais n’ayant aucune expérience du combat, on était très attirés. On regardait les nouvelles dans des journaux français, comme Paris Match, etc. Jusqu’au jour où le gouvernement, au mois d’août, a fait appel à des volontaires. On s’est précipités. Et avec trois autres amis, nous nous sommes tous engagés comme volontaires. Et on nous a d’abord envoyés en Belgique pour y passer les épreuves physiques pour démontrer que nous étions physiquement capables de faire face aux aléas d’une campagne. À l’issue de la réussite de ces tests, qui étaient d’ailleurs faciles, on nous a envoyés au camp des commandos belges à Marche-les-Dames, au bord de la Meuse.

Là, pendant 15 jours, les commandos nous ont fait subir mille supplices comme ils ont l’habitude de le faire, on a vraiment trinqué. Et après ça, eh bien, nous sommes allés au camp où tous les candidats du bataillon étaient regroupés : officiers, sous-officiers et les soldats, la troupe. Et alors, pendant trois mois, nous avons eu un entraînement très, très poussé. C’étaient les parachutistes belges qui nous donnaient cet entraînement. Donc, vraiment, nous avons fait des tas de trucs souvent à balles de guerre, à balles réelles. Et au bout des trois mois, nous avons reçu un béret d’une couleur particulière : le béret brun, qui chez les Belges, est très connu parce que le béret rouge n’est attribué qu’aux parachutistes, le béret vert qu’aux commandos et le béret brun qu’aux anciens de Corée. Alors nous avons tous, au cours d’une cérémonie à laquelle assistait le roi Baudouin, reçu notre béret. Et alors, on s’est embarqués à bord d’un bateau qui nous a conduits via le canal de Suez. Et au bout d’un mois et un peu plus même d’un mois, nous sommes arrivés en Corée du Sud.

Je commandais une section de dix hommes dans un peloton d’infanterie qui lui-même faisait partie de la compagnie B (du bataillon belge du Corps de Volontaires pour la Corée déployé en 1951-1952). Et on commençait à 6 heures, et ça dépend si nous étions en progression, alors à ce moment-là, il y avait une rotation continuelle et nous procédions par échelon. Donc une section avançait pendant quelques centaines de mètres, ou s’il n’y avait rien de spécial, peut-être un peu plus. Dès qu’il se passait quelque chose, à ce moment-là, on voyait l’intensité de ce qui nous arrêtait : est-ce qu’il s’agissait de troupes qui avait creusé des trous ou quoi? Ou est-ce que c’était simplement une mitrailleuse ou quoi? Ou quelqu’un en faisait peut-être appel à l’aviation, ou appel au mortier, ou appel à l’artillerie? Et s’il ne se passait rien, eh bien, la section qui était en pointe s’arrêtait, était dépassée par une autre section, et ensuite la troisième du peloton, et puis le peloton s’arrêtait, et puis c’était un autre peloton et on procédait comme ça par échelon. Et jusqu’en fin de journée.

Ce qui était absolument extraordinaire, c’est que c’était une guerre uniquement de mouvement à l’époque et on gravissait ce que l’on appelait des pitons, des petites collines en fait. La colline, quand vous la voyez du ciel, j’ai eu la chance d’aller en vacances en « R & R » (Rest & Recreation, en permission) aux États-Unis pendant cinq jours et quand on la voit de l’avion, vous êtes choqués en voyant combien montagneux le terrain est! C’est absolument extraordinaire, il n’y a que des montagnes en Corée, pratiquement. Mais enfin, le problème c’est que les Chinois étaient dans ces montagnes et il fallait s’en emparer. Et notre chance, c’est qu’au début, les engagements étaient tout à fait mineurs parce que l’armée chinoise reculait devant nous. Alors bon, on perdait du monde ici et là. Parfois on avait quelques blessés, parfois on avait un tué ou deux. Ce n’étaient pas de gros engagements, mais le plus souvent, on grimpait sur une colline et on recevait l’ordre de creuser des trous, se mettre en défensive, etc. Et peut-être une demi-heure ou une heure plus tard, on disait OK, fini, on continue. On dévalait la colline, on marchait un peu dans la rivière, devant une autre colline, et il fallait de nouveau grimper, voir s’il y avait quelqu’un ou pas, recreuser des trous, etc. Et puis au bout d’une heure ou deux, OK, on continuait et on s’envoyait comme ça un, deux, trois, quatre pitons par jour jusqu’au moment… Jusqu’à la nuit.

Et la nuit, on s’installait en défensive et comme j’étais sous-officier, la nuit était divisée en trois portions. Et on prenait, à partir de 6 heures, les trois premières trois ou quatre heures et plus tard, c’était un autre sous-officier qui prenait la garde à ce moment-là. Et puis le troisième sous-officier qui montait la troisième période de garde. Donc pendant des mois et des mois en Corée, je n’ai jamais dormi une nuit entière parce que, ou bien j’étais pendant la première période de garde, ou la deuxième période de garde ou la troisième période de garde.

C’était un bataillon francophone, c’est-à-dire qu’il y avait une compagnie qui était néerlandophone, donc qui parlait le flamand. Il y avait une compagnie qui était bilingue. C’était la compagnie arme lourde. Et alors, il y avait deux compagnies qui étaient la compagnie A et la compagnie B qui, elle, était francophone. Mais ceci dit, vous aviez des gens de Bruxelles qui parlaient le flamand, qui parlaient le français, mais enfin, moi, dans ma compagnie, c’était essentiellement des francophones. Il n’y a jamais eu qu’un bataillon, mais évidemment après la première année, parce que nous avons eu beaucoup de pertes, nous avons participé au mois d’avril à la même… Enfin nous avons été les victimes de la même offensive que l’ont été les Canadiens, parce que les Canadiens ont été attaqués à Kapyong, le 22 avril 1951, et ils étaient à l’est du front et nous à l’ouest du front. La 29e brigade britannique dont faisaient partie les Belges.

Nous avons été attaqués le 22 avril aussi, la seule différence, c’est que nous nous sommes battus en reculant pendant quatre jours, et ce faisant nous avons perdu un bataillon au complet, le bataillon des Glosters (1st Battalion, The Gloucestershire Regiment), qui a été isolé sur une colline. Ils se sont battus jusqu’à la dernière cartouche. C’est le livre qu’a écrit le monsieur que je vous mentionnais, Andrew Salmon (auteur du livre "To The Last Round: The Epic British Stand on the Imjin River, Korea 1951", Aurum Press Ltd). N’ayant plus de munitions, ils ont dû se rendre, mais ils ont eu énormément de tués et tout le restant a été prisonnier. Et nous, nous sommes parvenus à nous échapper. Nous avons continué à nous battre et quatre jours plus tard, nous avons rejoint les lignes le 25 avril 1951. Mais nos officiers, ceux qui commandaient une compagnie néerlandophone de toute évidence, parlaient le flamand, mais, dans les compagnies bilingues, parlaient soit le français soit le flamand, aucune différence pratiquement.