Alan Barker a servi dans l'armée britannique pendant la Deuxième Guerre mondiale. Vous pouvez lire et écouter le témoignage d'Alan Barker ci-dessous.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Je m’appelle Alan Barker. J’ai toujours porté le nom d’Adi Tadelis. Lorsque j’étais dans les forces britanniques, lorsque la Seconde Guerre a commencé, tous les militaires juifs ont changé de nom pour des raisons de sécurité. Je m’appelais donc Adi Tadelis auparavant. En fait, c’était Adolf, mais ce n’était pas un nom très enviable à cette époque (rires). En fait, j’étais content de changer de nom.
Si vous me le permettez, j’étais un peu en avance sur les nazis. Ils ont même essayé à plusieurs reprises de me capturer et j’ai glissé entre les mailles du filet. Tout d’abord, il y a eu la Kristallnacht [« La Nuit de cristal », un pogrom nazi des 9 et 10 novembre 1938] et je dois reconnaître le mérite d’un Allemand. Les employeurs juifs n’employaient pas de juifs parce que cela ne faisait pas bonne figure, alors j’ai eu la chance de travailler pour un employeur allemand. Et les Allemands avaient besoin d’une permission pour employer des [travailleurs] juifs; ils devaient demander un permis pour employer un Juif. Ils écrivaient habituellement qu’ils ne trouvaient pas de main-d’œuvre allemande et qu’ils devaient embaucher des Juifs. Et il y avait ce gars lors du Kristallnacht, je m’apprêtais à rentrer chez moi, mais je ne pouvais pas franchir la porte, j’étais enfermé. Le lendemain, j’ai réussi à sortir, je savais ce qui se passait, ils ont brûlé toutes les synagogues; c’était la population. Comment les habitants de toute l’Europe pouvaient-ils brûler toutes les synagogues en même temps? Ça devait être l’armée ou le gouvernement. Et la deuxième fois que cela s’est produit, j’ai reçu une lettre me disant qu’on m’avait donné la citoyenneté allemande. Alors qu’on avait retiré la citoyenneté à tous les juifs, comment pouvait-on m’accorder la citoyenneté allemande? Je ne suis donc pas allé la réclamer.
Ensuite, on m’a convoqué pour intégrer l’armée. Il n’y avait pas de Juif dans l’armée allemande, ils m’ont convoqué pour intégrer l’armée allemande; c’est une autre chose que je n’ai pas faite. Et puis nous sommes entrés en contact avec le mouvement [sioniste] des jeunes Habonim. Ils m’ont dit que l’endroit le plus sûr où aller était un camp de travail. Au camp de travail en ce moment, dit-il, on vous traite bien, on vous fait travailler.
Chaque semaine ou toutes les quelques semaines, on recevait des lettres avec des permis pour aller en Angleterre. Et je faisais partie du comité qui décidait qui irait. Ce n’est pas une tâche facile de décider qui deviendrait libre; puis nous ne savions pas ce qui allait se passer le lendemain. Ils choisissent qui partira, ce n’est pas facile. Peu importe que vous les aimiez ou non, vous donnez à quelqu’un la chance de rester en vie, mais vous ne savez jamais ce qui va arriver aux autres. Mais c’était ainsi, puis un jour, quelqu’un m’a choisi.
Je me suis engagé dans l’armée britannique et, au début, j’avais une unité; ils m’avaient affecté à une unité générale, rien de particulier. Puis ils m’ont affecté au Corps d’artillerie [de l’Armée royale]. Ils cherchaient des interprètes [en allemand], je me suis donc porté volontaire et j’ai été accepté comme interprète. Pour faire partie du Service du renseignement, il fallait être un Britannique d’une lignée de deux générations. Je n’étais donc pas un Britannique d’une lignée de deux générations, mais j’ai été affecté au Service du renseignement. Mais la différence entre y être affecté et en faire partie ne tient qu’à une feuille de papier ou un signe sur votre uniforme. Vous faites la même chose, vous en faites partie, mais vous n’avez pas le titre de membre du Service du renseignement. Vous n’y êtes qu’affecté, mais vous faites le même genre de travail.
Mon travail comportait trois volets. Chaque ville avait un officier responsable, ce qu’on appelait en allemand, le commandant. J’étais l’interprète de cet officier responsable de la ville. C’était ainsi. Il y avait un tribunal militaire où on accusait des soldats et des civils d’avoir commis différents méfaits. Et j’étais interprète au tribunal. Et puis quand ils capturaient des prisonniers, j’aidais ou j’étais l’interprète pour interroger les prisonniers. Et je dois vous avouer que celui avec lequel je travaillais était un petit futé. Il était très intelligent. Quand il voulait de l’information, il ne passait pas par quatre chemins. Il n’avait qu’un livre, un livre vide. Et quand nous capturions quelqu’un, il avait l’habitude de regarder dans le livre et de dire au gars, et il y avait un nom, je ne connais pas encore l’unité, mais je sais que c’est l’une des unités les plus meurtrières qui soient, disait-il, et vous appartenez à cette unité. Et le gars devenait nerveux et intimidé, et il disait tout de suite l’unité à laquelle il appartenait, pour ne pas qu’on inscrive qu’il appartenait à l’une des pires unités. Et de cette façon, il donnait l’information. Autre chose, quand ça ne se passait pas trop bien, il me demandait de lui donner un nouveau crayon, son crayon; il avait perdu son crayon. Il me demandait de sortir de la pièce. J’imagine ensuite ce qui se passait dans la pièce. Mais je n’étais pas là; il n’y avait pas de témoin. Je devais donc quitter la pièce et lui trouver quelque chose pour qu’il soit très performant.
Ça ne me dérangeait pas d’être dans l’armée, de faire mon travail; puis j’ai perdu toute ma famille [dans l’Holocauste]. Je n’entretenais pas de bons sentiments à l’égard des Allemands. Et quand j’en ai eu la chance, quand j’étais en Allemagne, il y avait la ville d’où je venais, je ne voulais pas du tout m’en mêler.