Alan Lawrence (source primaire) | l'Encyclopédie Canadienne

Project Mémoire

Alan Lawrence (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Alan Lawrence a servi dans l'Aviation royale canadienne pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

Alan Lawrence
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Photo d'Alan Lawrence aux alentours de Noël 1941. Il était sur le point de voler vers la Mer du Nord dans un bombardier Armstrong Whitley équipé de VGO.
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Photo de monsieur Lawrence à St Eval, Cornwall, Angleterre en juin 1942. Ils se tiennent devant leur Armstrong Whitworth Whitley modifié : il a un long réservoir et des grenades à la place des bombes. L’équipage est en mission anti U-boot sur le Golfe de Gascogne. A l’exception de monsieur Lawrence, tous sur cette photo furent tués en France en février 1943. Il a survécu parce qu’il avait la grippe ce jour-là.
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Et puis le train a démarré, après ça, on est montés dans le train et ils n’avaient même pas fermé les portes. Démarre, démarre. Le train venait juste de démarrer et un de ces gars squelettiques courait le long du train et il dit, aidez-moi, aidez-moi, en anglais.

Transcription

Bon, le temps a commencé à être plus clément et puis il s’est mis à pleuvoir, ce qui était pire que la neige en fait. Et ils ont dit, on va aller au Stalag 8A à Görlitz. Alors on a pensé, oh, il va y avoir plein de nourriture à Görlitz et des tas de choses à faire. Donc finalement on est arrivés à Görlitz ; et alors qu’on approchait, en traversant les portes à l’entrée de Görlitz, il y avait une énorme masse de gens qui en sortait. Et ils disaient, on s’en va, il n’y a rien là-bas, il n’y a rien là-bas ; et bien sûr, ils faisaient sortir une grande masse de prisonniers et nous on entrait. Et il s’est avéré qu’il n’y avait rien là-bas. Il n’y avait pratiquement rien du tout. Mais on a réussi à sortir quelque chose de la cuisine et on a réussi à avoir un peu de nourriture, un peu de pain et des trucs. Donc on a passé trois ou quatre jours là-bas et ensuite ils ont commencé à nous faire repartir à pied ; et Ron a dit, je ne peux pas recommencer à marcher comme ça. J’ai dit, non, moi non plus, mais ensuite ils ont dit, ceux qui ne peuvent pas marcher doivent passer devant le Starbartz (chirurgien major). Le Starbartz est un docteur militaire.

Alors avec Ron on juste, avec tout un tas d’autres, on a dû aller se présenter devant le Starbartz et se déshabiller jusqu’à la ceinture ; et ils tâtaient autour pour savoir si on était assez forts, et tout le reste. J’ai reçu l’autorisation de rester en arrière mais on a dit à Ron qu’il devait reprendre la marche. Alors Ron m’a dit, je n’y vais pas sans toi ; je sais ce que je vais faire, je vais revenir. Il a dit, je vais tomber et faire semblant de m’évanouir, et quelqu’un va me ramener dans le camp. Alors c’est ce qu’il a fait. Et on s’est retrouvés ensemble à nouveau.

Alors après ça on était ce qu’ils appelaient les malades, boiteux et lents, ils pensaient qu’on ne pouvait pas marcher, on ne pouvait rien faire. On était tellement faibles. Alors après ils ont dit, vous allez marcher jusqu’à la gare. On a un train pour vous. Alors on s’est débrouillés pour marcher du camp jusqu’à la gare à Görlitz. On marchait sur la route ; et on a vu des gens qui attendaient à l’arrêt de bus. Un homme avait une boite, un grand pain dans la boite, du pain français, qui dépassait. Alors qu’on passait devant, on ne cessait de dire, pique le pain, attrape un pain pendant qu’il ne regarde pas, attrape le pain. Alors comme un imbécile, pendant que je le dépassais, j’ai pris un pain et il m’a vu, et il m’est tombé sur le dos en me donnant des coups et en criant. Et j’ai entendu le garde armer son fusil ; j’ai entendu la culasse émettre un cliquetis et j’ai pensé, oh, qu’il allait me descendre, il va me descendre. Mais il se trouvait que le garde était un Volkssturm Guard (réserve territoriale allemande), c’était ce qu’ils appelaient la territoriale. Il ne voulait rien faire de pareil, alors il a seulement dit au gars de reprendre son pain et tout ça. À ce moment-là il ne restait plus de pain. Chacun en avait attrapé un bout et l’avait mangé. La seule personne qui n’en a pas eu c’était moi.

Et puis quand cet épisode a été terminé, on a marché jusqu’à la gare ; et il y avait un train qui nous attendait là-bas avec des camions. On est montés dans ces wagons, et on a attendu. Et soudain, le train a commencé à bouger ; et il a avancé en toussotant pendant un jour à peu près, s’arrêtant pour de l’eau et s’arrêtant pour de la nourriture, de la soupe ou autre. Et puis on venait dans une grande ville, et je, après coup, j’ai découvert, je ne le savais pas sur le moment que c’était Dresde. Et pile à ce moment-là, ils ont commencé des bombardements d’enfer sur la ville de Dresde, les américains et les anglais, et on était sous les bombardements alliés. À nouveau et tous ces bombardements et toutes ces conneries qui se passaient. Et alors on est partis de là et on s’est retrouvé dans un coin tranquille. Le train s’est arrêté parce que la ligne de chemin de fer avait sauté.

Et il y avait tous ces gens avec leurs pyjamas rayés. C’était des gens, des juifs, qui venaient d’Auschwitz (camp de concentration) et des endroits comme ça ils servaient pour le travail. Et c’était terrible, ils étaient tous mourants, maigre comme des clous. Une vision épouvantable. Ils réparaient les rails de chemin de fer et tout ça. Alors on attendait assis là. Les portes étaient ouvertes parce qu’ils avaient ouvert les portes pour nous laisser sortir et faire nos besoins. C’était redevenu calme et on entendait les avions qui volaient alentours, et des bruits de mitrailleuses. Et Ron dit, pourquoi ces gars courent-ils à travers champs ? Ce sont nos gars, et on leur tire dessus. Alors on a sauté à l’extérieur et on était en train de se faire attaquer par des chasseurs Mustang américains. Évidemment on a couru. J’ai plongé dans un fossé et je descendais le fossé en courant, et ce Mustang arrivait droit sur moi. Il y avait un australien qui courait derrière moi et il ne cessait de dire, j’ai perdu ma cuillère, j’ai perdu ma cuillère. J’ai dit, quoi, qui s’en fait pour une cuillère ? Pourquoi veux-tu une cuillère ? Je ne peux rien manger sans cuillère, je ne peux pas… J’ai dit, pour l’amour de Dieu, allonge-toi. Et il s’est allongé au dessus de moi ; et ces avions mitraillent en rase-motte, en faisant partir, il y avait des tonnes de tirs de canon et ça a atteint la ligne de chemin de fer entre mes jambes. J’ai pensé que j’étais en mille morceaux, mais ils nous ont manqué tous les deux ; et une pluie de cailloux nous est tombée dessus qui venait des obus.

Et puis l’avion a disparu et on est retournés vers le train et on a découvert qu’un tas de gens s’étaient faits descendre et avaient été tués. Et puis il leur a fallu nettoyer tous les gars morts et tout le reste, et prendre leurs plaques d’identité et tous ces trucs.

Et puis le train a démarré, après ça, on est montés dans le train et ils n’avaient même pas fermé les portes. Démarre, démarre. Le train venait juste de démarrer et un de ces gars squelettiques courait le long du train et il dit, aidez-moi, aidez-moi, en anglais. Il dit, je suis un civil américain, j’ai été capturé, et il jacassait, et aidez-moi, aidez-moi. Alors Ron et moi on a sorti nos mains et on l’a tiré à bord. Et on pensait, pour l’amour de Dieu, que le train ne cesse pas d’avancer, s’il s’arrête à nouveau, ils vont découvrir qu’il est absent, et ils vont venir et descendre une dizaine d’entre nous au moins. Et puis le train a pris de la vitesse et on est partis.

On a fait monté ce gars dans le train et il nous a dit qu’il était juif et il avait été pris en Italie ; et il était américain. Et en tout cas, on lui a enlevé son, ce, ces, ils appellent ça un pyjama. C’était horrible et je n’avais jamais vu quelqu’un de si maigre de toute ma vie. Et on avait plusieurs uniformes qu’on avait récupérés sur les soldats qui avaient été tués ; et on a pris un uniforme et on lui a enfilé, c’était un uniforme de l’armée britannique. On a mis les plaques d’identité du gars dont c’était l’uniforme, autour de son cou. On a dit, tu fais maintenant partie du Royal Fusiliers Regiment et souviens t’en, et essaye de camoufler ton accent américain. Si quelqu’un te demande, dis leur que tu es gallois. Si tu restes comme ça pour le restant de la guerre, tu seras mieux traité en tant que prisonnier de guerre que tu ne l’as jamais été auparavant, à Auschwitz, ou d’un endroit comme ça.

Date de l'entrevue: 4 novembre 2010