Albert George Alfred Mahon a servi dans l’armée pendant la Deuxième Guerre mondiale. Voici son témoignage.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Après huit jours en mer, nous sommes arrivés à Alger pour découvrir que tout l’équipement du cargo qui nous avait précédés se trouvait déjà au fond de l’océan, coulé par des hommes-grenouilles dans le port. Nous savions que nous avancions vers l’est, en direction de la Tunisie et de la Libye, dans l’espoir de rencontrer la huitième armée qui avançait vers l’ouest. C’est arrivé après quelques mois.
Les conditions météorologiques étaient assez difficiles, nous étions en novembre. C’était la saison des pluies en Afrique du Nord. Le sol était en terrible état. On arrivait à peine à marcher sans se ramasser avec cinq kilos de boue sur les bottes. C’était notre réalité. Tout en boue. Il a fallu apprendre à se débrouiller. Je ne sais pas exactement comment, mais nous avons mis des sacs de sable sur les pieds et les avons attachés autour des chevilles. Le matériau du sac de sable empêchait la boue de coller. C’est ainsi que nous avons pu nous en sortir. Nous avons profité de la situation pour camoufler tout ce qui devant l’être, y compris les fusils. Les fusils étaient ainsi difficiles à voir de haut. Nous avons été attaqués un jour et je suis directement passé à l’action. Quand j’ai ordonné de faire feu, rien ne s’est passé. Le fusil avait fait long feu ou il y avait eu double alimentation, je ne me souviens plus, mais l’avion qui nous arrivait dessus n’était qu’à 6 ou 9 mètres d’altitude. Il nous fonçait dessus à toute vitesse. J’ai vu le visage du pilote au moment où il nous a aperçus. Il a pris conscience qu’une arme était braquée sur lui et il a pensé que son heure était venue ce jour-là. J’ai plutôt pensé que nous allions y passer. Il a simplement tiré le manche vers l’arrière pour reprendre de l’altitude. Il s’en est fallu de peu! S’il avait simplement appuyé sur son percuteur, nous aurions peut-être été mis complètement hors service. Mais il ne l’a pas fait. Nous sommes encore de ce monde.
La politique était compliquée, les Français alliés étaient minoritaires, je crois. C’était le peuple dirigé par le régime de Vichy qui travaillait en étroite collaboration avec les Allemands. Il était peut-être difficile de s’en rendre compte à distance, mais c’était la situation réelle. L’armée française n’avait pas l’organisation la plus sûre pour l’invasion d’Alger à notre arrivée. Quand nous sommes de nouveau arrivés à Alger, nous voulions aller manger. Nous étions assez prudents dans nos déplacements. Nous avons dû apprendre à distinguer les forces françaises libres des autres. Nous avons accepté la chose sans sourciller à l’époque, mais c’est ce qui me vient à l’esprit plus que toute autre chose quand il est question de relation avec l’ennemi.
Deux ans plus tard, à la fin de la guerre, nous étions dans un camp de prisonniers au nord de Rome. Il y avait là tout un tas d’officiers de renseignement allemands, car ce camp de prisonniers était dirigé par la Commission alliée des crimes de guerre, à laquelle nous étions rattachés, et recueillait des preuves en vue des procès de Nuremberg. Nous détenions des officiers de renseignement allemands et 30 généraux allemands. J’étais commandant de la garde. Tout le monde dans les vestiaires ou les cellules était sur écoute. Nous ignorions même que les micros cachés existaient à l’époque! J’ai appris au fil du temps que les prisonniers étaient enregistrés. On échangeait les prisonniers de place, en laissait un seul pendant des jours, puis mettait quelqu’un d’autre avec lui pour qu’il parle. On confirmait les dires en les comparant à d’autres interrogatoires, par exemple. Les prisonniers essayaient de communiquer entre eux, par exemple en laissant des messages lorsqu’ils allaient aux toilettes. Nous devions être subtilement attentifs à ce qui se passait, en faire part aux officiers chargés des interrogatoires et faire ce qu’ils nous demandaient de faire. Certains messages étaient autorisés et donc remis en place tandis que d’autres étaient détruits. Ce genre de chose.
Les officiers de renseignement [allemands] ont concocté un plan d’évasion et nous les avons laissé faire jusqu’à la dernière minute. Juste avant leur tentative, le jeu n’en valait plus la chandelle. De toute façon, ils n’auraient probablement pas réussi. Ça a duré un certain temps.
Nous avons d’ailleurs eu pendant une courte période la femme et la fille de Himmler [Heinrich Himmler, chef de la police SS nazie]. Je ne sais pas ce qu’elles faisaient là! Mais c’est là qu’on les a envoyées.
Je sais qu’on a voulu reformer notre unité et que nous étions censés aller en Extrême-Orient, plus précisément en Birmanie. Je sais que j’ai passé plusieurs semaines à Rome pour apprendre à reconnaître les avions japonais. J’étais tellement content quand ils ont lâché la bombe [le bombardement du Japon par les États-Unis en 1945], je n’avais plus de raison d’y aller. Je ne voulais vraiment pas faire ça.