Andy Barber servit en 1954-1955 sur le NCSM Haida, un destroyer de classe Tribal de
la marine royale canadienne. Il nous parle de la vie quotidienne pendant qu’il
patrouillait au large des côtes coréennes, et les incidents qu’il a observés
quand il était en mer.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Une journée ordinaire ça consistait à faire la navette le long de la péninsule du Han ou dans la mer du Japon, pour repérer ce genre de choses. On croisait souvent des cadavres flottant à la surface de la mer du Japon ou dans l’estuaire de la Han, cette région, et c’était insupportable à regarder. Mais en réalité, notre principale activité était de faire partie du corps expéditionnaire — le corps expéditionnaire américain [des Nations Unies qui patrouillait au large de la Corée], notre capitaine en était l’un des membres les plus hauts gradés. Et le plus souvent, on faisait la navette dans les deux sens, on assurait la surveillance des avions avec les porte-avions anglais et américains. On descendait à terre de temps en temps pour suivre notre entrainement avec les armes légères et aussi inspecter certaines parties des îles, pour nous assurer qu’ils ne rassemblaient pas de troupes, etc.
Donc dans une journée ordinaire on se levait, bien sûr, si l’on n’était pas de garde, on se levait dans les 6 h 30 le matin, on se lavait et ensuite c’était l’heure du petit-déjeuner et puis on vaquait à nos obligations journalières, ce qu’on vous demandait de faire, techniques de communication et entrainement et aussi communiquer avec les autres navires de la flotte et vous savez, se préparer pour la patrouille suivante. Et, c’était ce que notre, ce qu’on faisait en gros. Mais on avait toujours des gens qui se rendaient à leur poste de combat. On n’était pratiquement jamais en branle-bas de combat, à l’exception de quatre ou cinq fois, je suis allé chercher les registres des navires depuis mars, à Ottawa, et j’ai remarqué qu’on était pourchassés par des avions pratiquement tous les jours. On nous avait envoyés en mer pour faire partie de, pour être au sein de la flotte des Nations Unies, pour garantir notre protection. Alors les MIG [chasseurs ennemis] étaient plutôt le, je dirais que les avions [de fabrication] russe, les avions Chinois et Nord-coréens, se trouvaient très proches de nous et souvent, on devait lever l’ancre et filer au plus vite et parfois il fallait la laisser sur place et envoyer quelqu’un pour la récupérer plus tard. Mais il fallait qu’on fiche le camp à toute vitesse pour nous protéger. Donc, ce n’était pas inhabituel de nous rendre à nos postes de combat dans la journée.
L’autre chose, c’était de monter et d’attendre à l’estuaire de la rivière Han, sous les canons des communistes et, pour observer, et nous assurer qu’ils n’étaient pas, comme je l’ai déjà dit, en train de rassembler des troupes. Alors c’était plutôt effrayant parce qu’on les observait d’en bas, et ils nous observaient d’en haut, et tout ce que vous espérez c’est qu’ils sont bien au courant du cessez-le-feu [depuis l’armistice du 27 juillet 1953] parce que sinon, vous êtes une proie facile. Et beaucoup de gens, nombre des nôtres, étaient anxieux, l’anxiété, moi y compris, et plein de gens se tournaient vers la religion à ce moment-là. Ils ne réalisaient pas à quel point c’était dangereux, mais c’était comme ça. Il fallait monter là-haut et sortir le bout de son nez en espérant, vous savez, qu’il n’y ait pas de rassemblement de troupes et pas de tentative d’agression de la part des Nord-coréens du fait de notre présence là-bas.
Bon, encore une fois, ils étaient tout près à cause de […] jet, et de l’endroit où est située la capitale de la Corée du Nord, et il y avait aussi des pistes d’atterrissage juste le long de la ligne de démarcation du 38e parallèle. Donc, il leur arrivait fréquemment de passer au-dessus de nous, ou de voler tout près de nous, et on les repérait et on filait de là à toute vapeur. Ils nous ont survolés une ou deux fois, mais sans ouvrir feu, ils voulaient juste nous faire savoir qu’ils pensaient qu’on empiétait sur leur terrain, leur partie de la péninsule. Mais quand même, on ne pouvait pas prendre de risque, on ne sait jamais, comme on l’a vu avec le vaisseau sud-coréen qu’ils ont coulé il y a quelques années* et bien sûr, avec le bombardement de Yeonpyeong**, qui est l’île à proximité de l’endroit où l’on se trouvait en 1954. Donc on n’a jamais pris de risque, quand ça se passait, on déménageait. Évidemment, c’était également ce genre d’avions communistes qui étaient neutralisés par les pilotes anglais et américains qui décollaient de leur porte-avions pour les escorter jusqu’à l’endroit où ils étaient censés se trouver. Mais vous savez, on ne pouvait pas prendre le moindre risque à bord du Haida, il fallait qu’on s’en aille.
Bon, il s’agit du cauchemar que je fais très souvent, même quand je suis à bord du bateau je vois ça. Je pense par exemple, à cause de l’endroit où les combats avaient lieu, dans cette région, ce n’était pas surprenant qu’il y ait un cadavre ou deux qui flottaient par là. Or, mais aussi, il y avait des pêcheurs dans cette zone alors, ce que ces, ces cadavres tout gonflés, rappelez-vous que l’eau de mer, l’eau salée décolore les vêtements des gens et très souvent, ils étaient allongés là tout gonflés, trois ou quatre fois leur poids normal. Et bien sûr, le truc était tout déchiré. Or, le seul moyen de pouvoir récupérer le corps en fait, c’était de le percer avec un objet pointu comme une épée ou la baïonnette d’un fusil, et le cadavre se dégonflait et on pouvait le monter à bord de la vedette. Je n’ai jamais eu moi-même à m’occuper de cette tâche horrible, il y avait d’autres gens pour le faire. Mais je me souviens bien de voir ces cadavres et je me souviens quand ils me disaient que le seul moyen pour pouvoir faire monter à bord c’était de faire ça. Et quand on les remettait entre les mains des autorités locales, à savoir, je ne sais pas comment ils les appelaient, chef de l’île ou maire de l’île, ou autre chose, on les leur remettait parce qu’on ne savait pas vraiment s’il s’agissait d’un habitant qui était décédé, ou s’était noyé, ou si c’était le cadavre d’un soldat ennemi.
Et
ce n’était pas rare parce qu’il n’y avait qu’un ou deux kilomètres qui
séparaient la Corée du Nord de la Corée du Sud par la rivière Han et assez
souvent, les Nord-coréens essayaient de traverser à la nage pour rejoindre la
Corée du Sud, ou bien ils creusaient des tunnels, pour tenter de traverser. Et
alors ça n’avait rien d’exceptionnel, de voir des cadavres flotter à cet
endroit, des gens qui essayaient de s’enfuir en Corée du Sud. Donc c’était le
côté épouvantable dans tout ça, ça ne m’a jamais rien dit. Quand je voyais ce
genre de choses, j’en fais encore des cauchemars, et c’était tout simplement
horrible.