Project Mémoire

Balado États de service épisode 2 : Survie

La série de balados États de service est présentée par le Projet Mémoire, un programme d’Historica Canada. Dans cette série, nous vous présenterons des entrevues avec des vétérans canadiens –leurs vies, leurs pertes et leur service militaire – afin de construire un portrait des expériences de prisonniers de guerre canadiens. (Cliquez ici pour la série au complet.)

Cet épisode porte sur la survie dans les camps de prisonniers de guerre en explorant les récits de Jean-Paul Dallain, Jacques Cinq-Mars, Armand Émond et Jean-Paul Dufour. Ces histoires nous permettront de mieux comprendre les conditions affrontées par les prisonniers de guerre canadiens en Europe et au Japon.

Crédits: Kai Engel – June, Marcel Pequel – Four


Transcription

Jean Paul Dallain : « C’est un peu comme une maladie ou un accident, quelque chose. On ne prévoit pas, on ne sait pas. D’une journée à l’autre. Une fois là-bas, au tout début de la première année, il y a eu beaucoup de maladies, beaucoup de mortalité par la dysenterie. Et puis éventuellement, les Japonais ont envoyé une première corvée de prisonniers canadiens au Japon. « Vous allez être bien là-bas. » C’était pire. »

Stéphanie Zidel : Bienvenue à la série de balados États de service présenté par le Projet Mémoire, un programme de Historica Canada. Ici, votre animatrice Stéphanie Zidel. Dans cette série, nous vous présenterons des entrevues avec des vétérans canadiens. Ils vous raconteront le récit de leurs vies, de leurs pertes et leurs services militaires. Cette série nous permettra d’explorer différents extraits issus de témoignages du Projet Mémoire de manière non chronologique. Aujourd’hui, nous aborderons le thème de la survie. Tout d’abord, un avertissement si vous écoutez avec de jeunes enfants, certaines histoires pourraient ne pas convenir à un jeune public.

Lors du dernier épisode, nous avons entendu les histoires de deux vétérans canadiens qui ont été capturés en France et en Allemagne lors de leur mission. Cet épisode, nous tournerons notre attention sur les conditions vécues dans les camps de travail. Jean Paul Dallain s’est enrôlé dans l’armée en 1940, lorsqu’il avait 18 ans. Il venait de New Carlisle, Québec. Il a fait son entraînement de base à Valcartier et à Terre-Neuve afin de devenir carabinée pour les Royal Riffles of Canada de Québec. Le 27 octobre 1941, son régiment s’est envolé pour Hong Kong, qui était toujours une colonie britannique. Hong Kong fut le théâtre de la première bataille terrestre à laquelle les troupes canadiennes ont pris part et qui débuta 8heures après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor. Du 8 au 25 décembre 1941, près de deux mille soldats de Winnipeg et de Québec se sont battus contre une invasion de forces japonaises. Les troupes alliées n’ont eu d’autre choix que de capituler le jour de Noël. De leur côté, les soldats canadiens avaient continué à se défendre, mais ceux qui ont survécu à la bataille ont rapidement été capturés et emprisonnés à Hong Kong et au Japon jusqu’à la fin de la guerre. Monsieur Dallain fut l’un de ces soldats. Il a été transporté au camp d’internement à Niigata, au Japon.

Jean Paul Dallain : « Ça dépend des camps. Au Japon, il y avait plusieurs camps de Canadiens, où les Canadiens étaient logés. Et puis on dit souvent dans les écrits que Niigata c’était peut-être le pire pour la mortalité. Mais ça ne veut pas dire que les autres camps étaient des pique-niques non plus. »

SZ : Au cours des quatre années qui ont suivi, des centaines de prisonniers de guerre canadiens sont morts en raison des conditions inhumaines qui sévissaient dans ces camps. En Europe, les conditions étaient tout aussi pitoyables.

Jacques Cinq-Mars : « Ce n’était pas drôle, on ne mangeait pas beaucoup. »

SZ : Jacques Cinq-Mars, né à Ville-Marie, s’est engagé dans l’armée en 1940. Il a lui aussi été capturé lors du raid de Dieppe en août 1942. Lors du raid, 26 de ses camarades étaient présents dans son bateau et 24 d’entre eux sont morts lors de cette opération catastrophique. Monsieur Cinq-Mars s’est retrouvé au fameux camp Stalag VIII-B en Pologne.

Jacques Cinq-Mars : « On travaillait dans le bois. Il fallait faire une corde et demie de bois cordé par homme par jour. Autrement on ne rentrait pas. Ça ne servait à rien de s’échapper parce que tu n’es pas capable. Tu n’as pas de connexions, tu ne connais pas personne. Les aviateurs avaient des gens qui s’occupaient d’eux autres pour les ramener en Angleterre. Nous autres l’infanterie, il n’y a pas beaucoup de monde qui s’occupait de nous autres. »

SZ : Les conditions de travail dans les camps étaient dangereuses et difficilement supportables. Écoutons ce qu’Armand Émond, un autre vétéran capturé lors du raid de Dieppe, a dû endurer au cours de sa détention.

Armand Émond : « Oui, 32 mois en Pologne et 14 mois avec des menottes dans les mains! C’était de huit heures le matin jusqu’à six heures le soir. Nous avons travaillé dans le bois, si vous avez vu des photos, et puis durant l’été durant la récolte on commençait à travailler à six heures du matin jusqu’à six heures le soir parce que Monsieur Elmer avait dit : « Tout prisonnier qui refuse de travailler sera fusillé!  » Alors on travaillait 12 heures par jour puis ça c’était durant la récolte du grain et l’automne dans les patates puis on commençait à un peu plus tard. Alors on travaillait six jours par semaine. Entre prisonniers, nous autres, les relations étaient très bonnes. Les gars disaient que nous étions tous comme des frères. Personne ne voulait essayer de fuir l’autre. »

SZ : Ce Montréalais avait 23 ans lorsqu’il a été capturé. Dans notre archive, vous pouvez voir des photos de monsieur Émond travaillant dans les champs en Pologne. Or, comme monsieur Émond a raconté, il y a eu aussi des moments de bonté humaine dans les camps. Ceux-ci transparaissaient aussi dans les témoignages de Jean-Paul Dufour. Monsieur Dufour a été capturé à Caen en France après le débarquement du jour J. Le jour J a eu lieu le 6 juin 1944, lors de la bataille de Normandie qui a mené à l’encerclement de l’armée allemande et à l’éventuelle traversée du Rhin. Le témoignage de monsieur Dufour démontre l’importance des moments de compassion dans la survie des prisonniers.

Jean-Paul Dufour : « Nous avons fait trois différents stalags. Ils nous ont encore mis en rang et ils ont choisi du monde pour aller travailler sur les fermes, sur les chemins de fer pour arranger des « tracks », et dans les mines. J’ai été choisi pour aller dans les mines. Quand on passait aux tables, ils vidaient nos poches pour voir ce qu’on avait. Moi j’avais un scapulaire avec des médailles, un morceau de camphre et un chapelet. Quand j’ai passé, j’ai mis tout sur la table. Le chapelet, il y en a un qui l’a tiré à terre. J’ai ramassé mes deux médailles pour décoller, et le camphre. Peut-être 20 minutes après, j’avais les mains derrière le dos. On attendait, et un Allemand est venu me redonner mon chapelet, par arrière, sans que ça paraisse. Ce n’est pas tout du monde méchant qui reste là, non plus eux-autres. Il y avait des gros arbres de poires; le monsieur il nous laissait ramasser des poires. Elles étaient vertes et elles étaient dures. Il fallait manger alors on mangeait ça et on n’était pas malade. Ça rentrait. Une journée, il est passé un char d’Allemands avec des officiers. Le monsieur s’était fâché, manuscrit! Ça fait que le lendemain il avait laissé faire, puis le surlendemain, il nous a encore envoyés dans les arbres. On montait dans l’arbre et on arrachait des fruits et on les mangeait. »

SZ : Émile Thibault, un fantassin albertain, a été blessé et capturé aux Pays-Bas lors de la campagne du nord-ouest de l’Europe en 1944. Il s’est retrouvé au Stalag 11 en Allemagne, près de la ville de Bremen. Un extrait de son témoignage :

Émile Thibault : « In the prison camp, the way we survived or the way we lived... »

Doublage : « Dans le temps, la manière dont on a survécu ou la manière dont on vivait, on s’arrangeait avec un gars qui s’appelait un « mucker. » Je ne sais pas d’où ça vient. Ça venait des Anglais, je suppose, un « mucker. » Et on faisait attention l’un à l’autre. Quand on recevait un colis de la Croix-Rouge… À ce moment-là, on était censé recevoir un colis de la Croix-Rouge par semaine. Mais on n’en avait qu’un pour deux. Alors on recevait le colis de la Croix-Rouge, ce qui nous a vraiment sauvé la vie parce qu’on n’était pas très bien nourris. Mais avant nous les donner, le garde allemand avait un pic à glace. Il vous faisait ouvrir le colis et il perçait chacune des boîtes de conserve pour vous empêcher de les mettre de côté pour vous enfuir avec. Vous deviez les manger et si c’était de la viande, par exemple, vous n’aviez qu’une certaine période de temps pour la manger. »

SZ : Les gardes allemands ne voulaient pas qu’ils gardent la nourriture pour une future tentative d’évasion. Ils ont passé deux mois relativement tranquilles dans le camp, puis des surveillants des travaux forcés sont arrivés pour rassembler tous les prisonniers canadiens.

Émile Thibault : « The camp was maybe 10,000… »

Doublage : « Il y avait environ 10 000 personnes dans ce camp, entre les Américains et les Britanniques et nous-mêmes. Ils nous ont appelés, nous, et ils nous ont envoyé dans un camp plus petit, situé au sud-ouest de cet endroit. En tout cas, c’était un petit camp, il était tout près d’une mine de sel. Il nous emmenait le matin. On faisait trois kilomètres à pied, il nous faisait descendre dans la mine de sel à 650 mètres de profondeur environ. Il y avait des grandes salles qu’il faisait exploser pendant la nuit. On devait s’occuper de charger les wagonnets et ils faisaient sortir le sel. »

SZ : M. Thibault a travaillé dans cette mine avec des prisonniers politiques allemands jusqu’à sa libération en avril 1945. Revenons brièvement au témoignage de Jean Paul Dallain, qui nous raconte la situation dans un camp japonais vers la fin de la guerre.

Jean Paul Dallain : « Même à Niigata où j’étais, on était divisé un petit peu, en trois groupes. Moi-même, j’étais dans une aciérie, une fonderie d’acier; d’autres travaillaient sur les quais à manigancer du charbon, et d’autres étaient dans les mines. Donc ça fait comme, disons trois groupes qui allaient au travail. Une bonne journée, ils nous ont dit le matin : « Vous n’allez pas au travail aujourd’hui ». Oh? On savait que la fin s’en venait, mais on ne savait pas comment, naturellement. On s’attendait à ce que s’il y avait une invasion de l’île, que les Japonais qui nous avaient trop mal traités, qu’ils allaient nous finir tous. Il n’y aurait personne pour parler. On s’attendait à ça. Dans ce temps-là ou après, ils ont trouvé des écrits où on disait d’absolument exterminer les camps. Alors, on s’attendait un peu à ça. Il n’y pas grand-chose qu’on pouvait faire. T’évader, c’est bien beau de te sauver, mais où tu vas-là? Tu es un homme blanc dans ce pays-là. Ils vont te repérer à un mile de loin. »

SZ : À la lumière des témoignages entendus, nous comprenons que l’évasion était rarement une option pour les prisonniers. Souvent, cela ne valait pas la peine d’essayer. Beaucoup de prisonniers ont dû endurer d’insupportables conditions et un manque constant de nourriture durant des mois, voire des années. Ils ont survécu grâce aux moments de compassion et à la camaraderie. Dans le prochain épisode, nous prêterons l’oreille à des histoires parallèles à celles que nous avons entendues aujourd’hui. Nous aborderons les histoires de soldats qui ont essayé de s’échapper de la Gestapo ou de s’évader des camps.

Le Projet Mémoire est un programme de Historica Canada, composé d’un bureau d’orateurs et d’une archive en ligne. Nous mettons les vétérans canadiens et les membres actifs des Forces armées canadiennes en communication avec les écoles et les groupes communautaires d’un océan à l’autre. Ce projet est rendu possible grâce au financement du gouvernement du Canada. Historica Canada est un organisme qui offre des programmes que vous pouvez utiliser afin d’explorer, d’apprendre et de réfléchir à notre histoire et à ce que signifie le fait d’être Canadien.

Visitez le projetmemoire.com afin de parcourir nos entrevues archivées ou pour organiser la visite gratuite d’un orateur dans votre salle de classe ou lors d’un événement communautaire. Si vous êtes un vétéran ou un membre actif des Forces armées canadiennes, communiquez avec nous afin de découvrir comment vous pourriez devenir un orateur.

Avez-vous aimé cet épisode? Jetez un œil sur l’exposition au sujet de la bataille de Hong Kong sur le site de l’Encyclopédie canadienne. Tout texte supplémentaire provient de notre programme apparenter l’Encyclopédie canadienne. Accédez aux articles sur les prisonniers de guerre et la Deuxième Guerre mondiale sur leur site.

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Dans l’épisode suivant :

Jacques Nadeau : « Et puis, j’ai tenté trois évasions; les deux premières n’ont pas marché, la dernière ça a été en janvier 1945. Les Russes sont passés par l’endroit où on était. Et puis on s’est caché, et puis quand les Russes sont arrivés on est sorti. »

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