Interview avec Bernard Tessier.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Mon nom est Bernard Tessier. J'étais membre du Royal 22e Régiment élémentaire. Je suis rentré dans les Forces en 1980. J'ai fait mon entraînement de base à Valcartier. En 1981, après l'entraînement de base, j'ai été muté pour une mission avec les Nations unies sur l'île de Chypre. Lorsqu'on est arrivé sur l'île de Chypre, ç'a été un changement drastique comparé à notre culture. C'était un pays qui était ni plus ni moins sur un cessez-le-feu entre les Chypriotes grecs et les Turcs. Alors, notre rôle était de maintenir la paix et tenir la zone neutre. Ce n'est pas évident à certaines instances parce que le belligérants de temps à autres vont essayer de provoquer l'autre, et on doit toujours tenir la zone neutre afin que le conflit ne dégénère pas une autre fois. On devait patrouiller des villages, des villes aussi, des maisons qui ont été abandonnées qui sont sur la zone neutre que ni les Turcs et les Grecs ont droit d'habiter et puis on voit... C'était un peu misérable de voir les gens dans les conditions de vie qu'ils avaient ; c'était vraiment rudimentaire. Pendant mon service, malheureusement j'ai perdu mon grand ami, Réal Archambault, qui est décédé par suite... par blessure par balle. Il a reçu une balle en plein cœur. À cette époque, bon, j'étais jeune, jeune soldat, pas beaucoup d'expérience, ç'a été très difficile pour nous et souvent on devait parler à des soldats turcs ou grecs, essayer de les contenir pour ne pas provoquer ni un ni l'autre entre eux. La zone neutre, pour vous dire, était tellement mince à certains endroits que c'était simplement une rue qui avait à peu près 10 pieds de large. Alors, d'un côté vous avez le soldat turc qui en veut à mort au soldat grec et le Grec, lui, en veut à mort au soldat turc. Et à tout bout de champ, ils essaient de se provoquer soit par des paroles, soit par toutes sortes de gestes obscènes. Des exemples, tels qu'il peut y avoir des animaux que d'un parti ou l'autre ont, des chiens, qui se promènent loose, et ils voient qu'un chien d'un propriétaire grec vient de passer du côté turc, alors le Turc prenait le chien puis il lui coupait la tête pour essayer de provoquer le Grec. Et là, nous, bon bien, c'est ça, on intervenait pour ne pas que ça dégénère. On a eu des manifestations, on a dû se mobiliser en alerte, comme on dit, en first line parce qu'il y avait des manifestations contre l'ONU. Il y avait des manifestations contre les Turcs de la part des Grecs et vice versa. Tout au long de cette mission, à tous les mois il y avait une opération d'échange commercial entre les Grecs et les Turcs parce qu'il faut s'entendre que les Grecs, les habitants, les civils grecs et les civils turcs qui habitent sur l'île de Chypre avaient avantage à marchander, à troquer leur équipement ou les produits qu'ils avaient. Alors nous, on devait assurer cette sécurité-là une fois par mois qui était une tâche ardue parce que souvent il s'infiltrait des belligérants qui voulaient semer le trouble et constamment il fallait observer. Il fallait observer aussi si les positions étaient restées neutres d'une part comme de l'autre, que les bunkers ou les abris, les caches des soldats grecs et turcs n'étaient pas en train de se faire modifier ou se faire renforcir. Ça, c'est des indices qui nous disaient que s'ils commencent à renforcir leur position défensive, c'est qu'il y a quelque chose qui s'en vient. Il fallait aussi faire très attention dans l'environnement immédiat parce que de temps à autres il pouvait y avoir un avion turc qui va passer pour soit prendre des photos ou quelque chose, alors on rapportait tout ça, nous, au commandant et ç'allait directement aux Nations unies à New York. De plus, lors de mon séjour, j'ai observé à quelques reprises, j'ai vu des gens en détresse, des Grecs qui étaient vraiment dépourvus de tous biens et puis nous, ce qu'on faisait, bon, de temps à autres on leur donnait notre lunch même, ce qui n'était pas évident parce qu'il fallait quand même se nourrir, et on essayait quand même d'être le plus humain possible. Ç'a été une grosse expérience pour moi compte tenu du peu de connaissances militaires que j'avais. J'ai été sorti du recru (sic), et on m'a mis en mission tout de suite. C'est assez traumatisant sur le coup parce que c'est complètement en dehors de notre culture et nos valeurs qu'on a, les Occidentaux.