Project Mémoire

Bertrand Grenier (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.


Yvon Thibodeau
Yvon Thibodeau
M. Bertrand Grenier.
Yvon Thibodeau
L'Institut Historica-Dominion
L'Institut Historica-Dominion
Bertrand Grenier en juin 2010.
L'Institut Historica-Dominion
Je lève mon chapeau à ces familles-là qui n’ont reçu à peu près rien à part une lettre leur annonçant que leur fils était mort au champ d’honneur.

Transcription

C’est une décision que j’ai prise contre la volonté de mon père. J’ai commencé à travailler à l’extérieur vers l’âge de 12 ou13 ans. Quand je parle de l’extérieur, je parle des chantiers en Gaspésie, trois ou quatre mois dans la forêt. Je ne savais même où était l’Angleterre et l’Allemagne… je ne leur en voulais pas, je ne les connaissais pas. Mais j’arrivais à l’âge [du service] militaire. À l’âge de 18 ans, tu ne pouvais plus te placer, car les patrons savaient qu’on recevrait des invitations du gouvernement, de [le roi George VI] et on devait se rendre au camp militaire. J’ai essayé de me placer sans succès. Ensuite je me suis rendu à Québec pour m’enrôler. Pourquoi l’armée plutôt que l’aviation? J’ai postulé pour l’aviation, mais quand ils ont commencé à remplir mon formulaire, ils m’ont demandé ce que j’avais comme scolarité. J’avais fait mes hautes études à St-Côme [Québec] entre les années 1930 et 1935. J’avais l’équivalent d’une 5e année. Je voulais être pilote, mais ils m’ont ridiculisé en me disant qu’avec une 5e année la seule chose que j’allais piloter c’était une mop ou un balais. J’étais tellement insulté – on était sur la rue de Buade à Québec - que je suis descendu à pied au carré Saint-Jacques et je me suis enrôlé dans l’armée. J’ai été transféré en France pour commencer. Naturellement, puisque je venais de la Beauce, je voulais aller dans le Régiment de la Chaudière. Mais les Fusiliers Mont-Royal au début d’octobre avaient subi des grosses pertes; blessés, prisonniers, morts. Ils m’ont donc envoyé aux Fusiliers Mont-Royal. Puisqu’on était dans l’armée, il fallait écouter ou rester chez soi. J’ai rejoint les Fusiliers Mont-Royal en octobre 1944, à la fin de la [bataille en] Belgique. J’ai combattu en Hollande et en Allemagne. Il est arrivé quelques fois que l’armée organisait, en arrière [de la ligne de front], des bains dans les piscines. Il y avait beaucoup de piscines en Europe, chauffées en hiver et ouvertes en été. On arrivait là. On se déshabillait à poil on gardait seulement nos identifications et notre petit sac à dos avec nos souvenirs et c’était tout ce qu’on gardait. C’était le gros luxe de prendre une douche. Un bain s’il y avait une piscine. Ils ramassaient tous nos vieux vêtements et de l’autre côté c’était le quartier-maître alors on s’habillait en neuf. Dans les uniformes il n’y avait pas de tailles; c’était soit trop grand ou trop petit. On donnait une pelle à tous les hommes. Ça na pas l’air d’une arme très efficace contre les Allemands, mais ça à sauvé beaucoup de vies. Les premières années ce n’était pas tellement intéressant et ensuite j’ai été invité par des professeurs d’histoire. Ça tombait bien, car c’est toujours durant le mois du coquelicot, vers la fin octobre début novembre alors on pouvait parler un peu du coquelicot. La majorité écoutait, mais c’était très passif. Ils écoutaient ou faisaient semblant. Après deux ou trois ans, j’ai discuté avec les profs et j’ai insisté pour que les élèves prennent ça un peu plus au sérieux. Ils m’ont fait des cartes de remerciement, ils signaient tous leurs noms. Je prenais des photos avec des groupes. Il y avait toujours une organisatrice parmi les élèves. J’ai senti que l’intérêt et le respect étaient là. Les jeunes me rencontraient et me saluaient, mais je ne les reconnaissais pas. Ça me travaillait pas mal, ça m’obligeait à revivre des choses que je ne voulais pas revivre. Ça me travaillait au point où il y a deux ans j’ai arrêté complètement. Les gens pensaient que les anciens combattants avaient tous des pensions. C’était seulement les combattants blessés ou malades qui recevaient une pension. Ma fille était surprise et m’a demandé si j’avais été blessé. À 50 ans elle ne le savait pas. Je n’avais jamais parlé de l’armée dans la maison, chez nous. Moi je n’en parlais pas et eux ne connaissaient pas ça et ils n’en savaient rien. J’aimerais avoir une bonne pensée pour les 45 000 soldats qui sont morts, tous les soldats qui sont morts en guerre et ceux qui continuent à mourir aujourd’hui. J’ai une pensée spéciale pour les familles de ces soldats. Nous avons de belles cérémonies en 2010 pour les soldats qui meurent et je suis d’accord, j’en suis même très heureux. Mais nous autres, les 45 000 qui sont morts, ils avaient un billet aller seulement. C’est triste pour les familles. Pour revenir aux combats, j’ai entendu souvent des blessés – je ne sais pas s’ils sont morts de leurs blessures - appeler leur maman. Rarement ils appelaient leur papa, mais ça arrivait. Ça veut dire que plusieurs mamans ont été oubliées. Puis des familles oubliées. Naturellement des mamans des gars de la [guerre] 1939-1945 il en reste moins. Il reste de frères et des sœurs. Je lève mon chapeau à ces familles-là qui n’ont reçu à peu près rien à part une lettre leur annonçant que leur fils était mort au champ d’honneur.