Project Mémoire

Bob Phair

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Institut Historica-Dominion
Institut Historica-Dominion
Bob Phar, novembre 2009.
Institut Historica-Dominion
Je n’étais qu’à mi-chemin quand j’ai été touché. Et je n’ai pu rien faire d’autre ensuite que de me rétablir.

J’ai servi dans le Corps royal de l’intendance de l’Armée canadienne militaire. Nous avions pour tâche d’approvisionner le front en munitions. Le plus gros de ces munitions était entassé dans une décharge à l’arrière et nous les transportions à l’avant. J’ai participé à l’invasion de la Sicile et j’ai été blessé le 28 mai. C’était en 1994 et j’ai passé tout l’été à l’hôpital, jusqu’en septembre. J’avais une balle de shrapnel dans le foie. Elle est toujours là.

Mais j’étais caporal d’une section de 10 hommes. Et quand nous devions aller au front, j’emmenais toute ma section avec moi. Nos camions débordaient généralement de munitions, dont beaucoup de canons 25 pounder utilisés en artillerie de campagne. Il était chargé à bloc. Et nous avions l’habitude de dormir là-dessus. Nous étions à portée de tir, mais nous arrivions avec nos armes à les tenir en respect.

Il n’y avait pas de « quart de travail ». On y allait quand on était appelé. Un soir, vers 10 heures, les explosions d’obus ont embrasé le ciel et je me suis demandé ce qui se passait. Je venais d’arriver et je me suis glissé sous le couverture, puis le sergent a frappé sur un côté du camion : « Caporal, réveillez-vous ! ». Je lui ai demandé pourquoi et il a répondu : « La 5e Division s’est avancée trop loin et elle va bombarder les Allemands jusqu’à ce qu’elle puisse sortir de là. Elle va rallumer ses phares pour revenir dans l’obscurité et elle a besoin de 75 chargements de 25 pounder. » J’ai rétorqué que nous n’avions pas 75 camions mais que j’irais en chercher dans la section B. J’ai donc pris la route pour aller leur dire : « Chargez toutes les munitions, retournez là où ils se trouvent et stationnez-vous. Je reviendrai pour les distribuer. »

Nous avons donc tout envoyé. Il y avait un répartiteur pour chaque endroit où ils en avaient besoin, et ils en voulaient partout un maximum. Quand je suis arrivé à la fin, il y avait 10 chargements et j’ai dit : « Je pars avec celui-là. » C’était le dernier et je crois qu’il était 2 heures 30 du matin quand nous sommes tous rentrés après avoir livré les 75 chargements.

Il y avait dans notre unité un jeune francophone pas très grand, qui avait été traumatisé par un bombardement. On nous l’avait envoyé et notre major lui avait dit qu’il pouvait venir le voir à tout moment s’il jugeait être mal utilisé. Il était petit mais très sympathique, et on s’entendant très bien. La dernière nuit, avant que je ne sois blessé, il pleuvait des bombes. Le ciel ne dérougissait pas et je me suis réfugié avec Bill Clark sous un camion. Et nous pouvions entendre notre ami francophone répéter « Maudit, maudit ! » Bill lui a demandé ce qui se passait et il a répondu : « Je ne sais pas où me cacher pour éviter d’être touché. » Et Bill lui a dit de venir nous rejoindre. Et nous avons tous les trois passé la nuit sous le camion, dans une tranchée de tir.

C’est le lendemain qu’on a su où nous allions. « Nous ne restons pas ici. Nous serons attaqués à partir des montagnes ou des collines, mais nous filons tout de même directement vers Rome. » C’était le 28 mai, à 16 heures, et j’avais très faim. Je n’avais mangé qu’un bout de pain rassis et un peu de hareng fumé. Mais je n’ai pas eu le temps de manger quoi que ce soit car les bombes se sont mises à pleuvoir. Un type de la 5e Division avait franchi le carrefour de Soprano [Italie] et s’y était arrêté pour consulter une carte. J’étais au beau milieu du carrefour et je me suis précipité hors du camion, dans un trou creusé par un obus en bord de route. Mais cinq gars s’y trouvaient déjà, et j’ai à peine eu le temps de me baisser en m’éloignant qu’un obus a frappé le trou. Je n’étais qu’à mi-chemin quand j’ai été touché. Et je n’ai pu rien faire d’autre ensuite que de me rétablir.

Je suis resté à l’hôpital du 28 mai au mois de septembre. Je voulais en sortir, mais ils refusaient de me laisser partir. J’avais un poumon perforé et ne pouvais même pas attacher le bas de mon pantalon. Alors quand on m’a appelé au terrain de rassemblement, j’ai traîné tout mon équipement et le sergent m’a fait arrêter. On m’a envoyé voir le médecin, qui n’avait pas encore reçu mes papiers de l’hôpital. Il m’a donc relâché jusqu’à 10 heures le lendemain matin. Le docteur a finalement reçu mes papiers et m’a remis une lettre m’interdisant de marcher trop vite ou de faire quoi que ce soit d’autre. J’ai donc passé un bel été. Puis un jour, un groupe de catégorie P4 [véhicules militaires de transport] a été autorisé à rentrer. C’est ainsi que j’ai atterri à Halifax le jour de Noël 1944, avant d’être démobilisé à Winnipeg le 6 février suivant.

Ce que j’ai surtout détesté, c’est d’être tout en avant d’une barge de débarquement qui s’approchait de la côte. C’était quelque chose. Et voici une autre anecdote. Nous avions débarqué en Sicile. Il y avait une étiquette sur le volant et un orignal sur la mienne. En route vers la rive, j’ai croisé un type qui m’a demandé ce que signifiait cette étiquette. « C’est un orignal, il indique quelle est votre zone, la route à suivre pour y aller. » Et vous restiez dans votre zone et ils savaient où vous trouver. Mais le lendemain, on s’ennuyait à ne rien faire et avec mon copain Jerry, on s’est dit : « Allons voir si on ne trouverait pas un peu de vin ». Il y avait un bâtiment derrière et on s’est dit qu’on pourrait échanger quelque chose contre du vin. Pas de la nourriture, car nous avions toujours peur d’en manquer. Mais l’armée gardait une mule dans notre zone, qu’on avait dû débarquer d’un navire car elle portait un tampon. Alors on s’est dit : « Échangeons la mule ! ». Mais comme nous ne pouvions la capturer, nous l’avons guidée à l’aide d’un poteau de clôture jusqu’au terrain du type du bâtiment, et nous lui avons demandé du vin. Il a d’abord refusé, puis nous lui avons montré la mule et d’un coup de poteau, je l’ai fait courir vers lui. « Oh, oh ! » s’est-il étonné. Il est vite aller chercher une longue corde et s’est planté devant le mule avec son fils, et tous deux l’ont capturée et ligotée. Puis il est allé chercher du vin pour en remplir le poteau. Nous sommes repartis contents de notre coup. Je ne sais s’il a gardé la mule, mais c’était tout une bête !