Ils étaient en train de nous tirer dessus avant même qu’on ait débarqué. Quand nous (Le Regina Rifle Regiment) avons débarqué ils ont baissé le, c’était une espèce de grande porte et ça tombe, et puis vous passez par là en courant. Or mon partenaire et moi-même on était censés être les premiers à courir avec les charges Bangalore (torpilles : tubes métalliques remplis d’explosif brisant utilisé pour se débarrasser d’obstacles tels que les fils barbelés), mais il y avait un gars qui se prenait pour un héros. Alors il est sorti en premier, et il s’est fait tuer avant d’avoir quitté l’engin de débarquement. Des gars sont allés l’aider et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il y avait une montagne de cadavres ; des matelots et un officier de la marine. On ne pouvait pas passer à travers. Alors j’ai dit à mon partenaire, passons sur le côté, en nous cramponnant à ça et un fusil. On doit aller sur la plage. Je suis parti sur la gauche et j’ai parcouru une vingtaine de pas environ en courant ; et chaque fois que j’allais pour me lever, je tombais et je ne savais pas pourquoi, mais j’avais une (balle) de mitrailleuse qui m’avait traversé la jambe.
Sur le moment quand vous êtes touché, c’est plutôt comme un choc. Ça ne fait pas mal, mais je n’arrivais pas à me lever. Je ne pouvais pas courir ; je ne pouvais pas marcher. La seule manière dont je pouvais bouger c’était en rampant ou à attendre que la marée me pousse en avant un petit peu, et puis je suis arrivé plus loin. Il y avait de gros cratères. C’était des Spitfires et des bombardiers qui avaient fait ces grands cratères, et les canons de 88 mm (canons allemands de l’artillerie antiaérienne). Alors j’avançais là pour me protéger et arriver dans ce trou ; et nom de dieu, j’y étais presque arrivé, quand un gros obus a explosé et je me suis pris un éclat d’obus qui a atterri derrière mon œil. Ça m’a assommé. Je suppose que je ne savais plus qui était quoi parce que mon copain, qui est arrivé avec la seconde vague, m’a remarqué. Il a cru que j’étais mort ; et il a pris ma pèlerine anti gaz, vous savez et il m’en a recouvert.
Tout à coup les choses étaient tranquilles. Un peu comme une accalmie, vous savez. Il y avait un paquet de corps allongés tout autour et je ne savais pas si on m’avait renversé, ou les allemands, alors j’ai rampé dedans et je me suis allongé au milieu des cadavres. Soudain j’ai entendu des gens parler et ils parlaient en anglais. Ils faisaient le tour en récupérant bracelets-montres, bagues, ou quoi que ce soit d’autre sur les morts. Alors quand je les ai entendus j’ai haussé la voix et j’ai dit, par ici. Je pensais que c’était des brancardiers. Ils sont arrivés en courant, et un des gars dit, en voici un qui est vivant.
J’étais tout le temps mort de trouille. Vous savez, il n’y avait personne qui ne l’était pas ; et si jamais on vous dit le contraire, c’est des conneries. Tout le monde avait la trouille. Vous ne saviez pas. Vous n’aviez jamais été dans une situation comme celle-là. Mais c’était bien réel. Tout le monde pensait –vous savez quand ils disent qu’on mourrait pour le roi et la patrie ? Bon la plupart d’entre nous veillaient les uns sur les autres, le gars à côté de vous, parce que si vous lui sauviez la vie, il sauverait la vôtre. Ma vie dépendait de ce gars-là à côté de moi. Le roi et la patrie, vous savez, c’était bien, mais ils n’étaient pas là pour nous aider – on devait s’en occuper nous-mêmes.