Project Mémoire

Charlie Barrett

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Charlie Barrett
Charlie Barrett
Une photo de Charlie Barrett et ses camarades à la Citadelle après l'attaque de Boulogne-sur-Mer le 18 août 1944.
Charlie Barrett
Et il avait pensé qu’il allait les avoir tous d’un seul coup dans les bois et il a envoyé des centaines d’obus en même temps, ce n’était plus que des gros nuages de fumée et des petits bouts de voitures et des trucs qui volaient de tous les côtés. Et il était vraiment très fier de son coup.

Le Jour J.

Bon, j’étais capitaine d’état-major, alors nous avons débarqué (en Normandie le 6 juin 1944), notre brigade était une brigade de réserve. Donc les troupes d’assaut avaient débarqué juste avant nous. Et en tant que brigade d’assaut, c’était notre brigade, a débarqué, nos unités d’infanterie, deux d’entre elles débarquèrent devant nous et j’ai débarqué à leur suite et il y avait une unité de réserve qui a débarqué après nous. Mais évidemment, quand on a débarqué, j’ai bien vu les cadavres de quelques une de nos hommes flottant à la surface de l’eau et sur la plage mais comme j’avais pris part à la phase de préparation, je considérais tout ça comme quelque chose de normal, je n’ai pas du tout paniqué, je pensais simplement, bon, c’est normal, il y a des gars qui se font tuer en temps de guerre.

Blessé après le jour J plus avant à l’intérieur des terres

Quand j’étais par là-haut, je me suis fait coincé au milieu d’un paquet de chars qui étaient la cible de tirs nourris et j’ai vu le chef de char devant moi sauter hors du char et se précipiter vers un grand trou, sûrement un grand trou d’obus qui provenait d’un de ces canons de marine lourds j’imagine. Et il a sauté dedans et j’ai décidé que je ferais mieux de sauter dedans moi aussi. Ainsi que mon officier de liaison lui aussi et puis il y avait quelques autres personnes. Et je souffrais franchement de claustrophobie dans ce trou. Et mon brigadier a demandé : « Quelqu’un pourrait-il monter et voir d’où ça vient ? » Alors je suis remonté là-haut avec joie, et j’ai marché à découvert vers la crête de la colline. À ce moment-là, un obus de mortier a atterri juste sur mes talons et par chance, vraiment, j’ai eu de la chance car les éclats d’obus, auraient largement suffi pour nettoyer un peloton tout entier, et je ne me suis pris qu’un tout petit éclat. Alors je suis reparti et ensuite en Angleterre, je suis allé à l’hôpital, différents hôpitaux et puis on m’a laissé sortir de l’hôpital et on m’a donné une permission pour m’aérer avant de revenir.

Ses aventures dans la Poche de Falaise

Bon, ce qui m’a le plus marqué dans tout ça c’était le, sans doute ce que les bombardiers Tiffy (surnom des appareils Hawker Typhon) ont fait (à Falaise, où le groupe B de l’armée allemande a été encerclé et presque totalement détruit en août 1944). Et ils sont simplement descendus sur, un convoi allemand qui essayait de s’échapper et ils ont tout simplement fait le grand ménage. Et ici il y avait plein de débris de camions carbonisés et des cadavres et les allemands utilisaient beaucoup de chevaux aussi pour tirer leurs chariots et tous les trucs pour leur matériel et, parce qu’ils n’avaient plus d’essence je suppose. Et il y avait des cadavres de chevaux partout, c’était un véritable gâchis. Et c’était toujours là quand on a commencé à rouler sur la route sous la pluie et dans la boue. Il commençait à faire sombre et vous conduisiez dans tout ce bourbier. Et les gars du génie avaient sorti les bulldozers, et repoussaient tout ça dans les fossés. Mais c’était la confusion totale.

Responsable d’une cour martiale

J’ai été renvoyé pour (diriger) une cour martiale. Évidemment j’avais entendu parler d’eux, je ne savais pas trop ce que j’étais censé faire mais j’avais un manuel sur le droit militaire qu’on avait tous étudié pendant notre formation à l’état-major. Alors je suis retourné dans cette petite maison dans la campagne, où on m’avait dit de me rendre. Et le prisonnier, deux types qui avaient disparu de la circulation pendant le combat, ils avaient filé. Et ils faisaient partie du HLI (Highland Light Infantry of Canada Regiment) c’était simplement trop pour eux. Ils ont admis qu’ils avaient fait ça alors d’après le manuel de droit militaire, ils étaient, voyons voir, comment appellent-ils ceci, en présence de l’ennemi, ils ont déserté en présence de l’ennemi. Bon, il n’y avait qu’une seule sentence pour ça dans le manuel de droit militaire et c’était le peloton d’exécution le lendemain matin. Alors j’ai appliqué la sentence, qu’ils soient conduits devant un peloton d’exécution. On n’étais tellement ignorants à cette époque en ce qui concernait la bataille, vous savez, le traumatisme qui en résulte, qu’on ne considérait même pas la possibilité que ces pauvres diables n’avaient pas ce qu’il fallait pour faire face ou n’étaient pas préparés pour la guerre en premier lieu. En tout cas, évidemment, ils n’y sont jamais allés. On les a renvoyés en Écosse dans une prison et je n’en ai plus jamais entendu parler.

Regarder les tirs de l’artillerie sur les positions allemandes et ce qu’il pensait de l’ennemi

Bon, je pense que ce dont je me souviens le plus c’est, personnellement, c’était un jour alors que je me trouvais dans une position avancée et j’étais avec un officier observateur avancé de l’artillerie (qui dirigeait et réglait les tirs d’artillerie) et j’ai essayé de me joindre à eux pour voir ce qu’il faisait et il était en train de positionner l’artillerie sur un bosquet, le devant, où il disait qu’il l’avait surveillé. Il pouvait voir les voitures de l’état-major allemand arriver à cet endroit et il en avait toute une rangée braquée dessus avec l’artillerie et il a dit : « Regardez ça » et il a demandé un tir unique ce qui veut dire un seul coup tiré par tous les canons en même temps. Et il avait pensé qu’il allait les avoir tous d’un seul coup dans les bois et il a envoyé des centaines d’obus en même temps, ce n’était plus que des gros nuages de fumée et des petits bouts de voitures et des trucs qui volaient de tous les côtés. Et il était vraiment très fier de son coup.

Je ne crois pas qu’on les regardait comme des personnes. Vous savez, pour nous c’était simplement l’ennemi. Vous ne pensiez pas à eux comme à des gens dans un sens. Je crois que c’était ça notre état d’esprit. Après tout, quand quelqu’un essaye de vous tuer, si vous n’essayez pas de les tuer alors vous savez, c’est que vous n’avez pas compris grand-chose à l’affaire.

Les derniers jours de la guerre

Quand on nous a dit que la capitulation allait avoir lieu à telle et telle heure le lendemain, on s’est tous rassemblés en quelque sorte et je pense qu’on croyait qu’on allait célébrer ça. Mais à peine quelques paroles furent prononcées quand l’heure est venue et que le dernier canon s’est tu, on est juste restés assis sans rien dire, pas d’échange de paroles entre nous, on est juste retournés chacun à ses propres affaires. On a juste, je ne sais pas, c’était fini et je crois qu’on n’avait tout simplement pas envie d’en parler.