On travaillait comme serveurs à la base aérienne et on recevait 46 $ par mois, logés, nourris. Presque tous les jeunes du coin travaillaient là-bas. Un gars du coin avait décroché le contrat pour nourrir la force aérienne, etc.
Quarante-six dollars par mois quand ils commençaient dans l’armée, c’était 1,30 $ par jour pour un simple soldat. Ils ont augmenté la paye à 1,50 $ alors on s’est dit, on se fait 46 $ par mois ici et on est nourris mais on aura des vêtements et tout l’équipement fournie par l’armée donc on ferait aussi bien d’entrer dans l’armée. Donc il y en a cinq parmi nous qui ont quitté notre job pour s’enrôler dans l’armée.
J’étais conducteur. [Corps royal] intendance de l’Armée canadienne et tous les conducteurs faisaient l’approvisionnement en munitions et en essence. J’étais dans trois unités différentes. La première c’était le 6 e Régiment anti-aérien léger, RCASC [. [Corps royal de l’intendance de l’Armée canadienne]. C’était la section qui fournissait l’artillerie. Il y avait trois sections pour la compagnie qui approvisionnaient ces trois différents endroits. On amenait le chargement en gros et ils faisaient la répartition et la distribution aux différentes unités. On approvisionnait même la division polonaise.
On transportait ce que les sections A, B et C avaient besoin, ensuite ils les transportaient à leurs unités. On allait au dépôt d’approvisionnement britannique, qu’on appelait BSD ( British Supply Depot), et c’était là qu’on allait chercher le rationnement et tout ça. On transportait de tout, des prisonniers, la jeunesse hitlérienne [Hitlerjugend] qui nous crachait directement au visage. Il y avait beaucoup de ces mongoliens là-bas. Ils avaient à peine de la barbe. Hitler les a tous fait prisonniers et les a mis dans l’armée. [Rires] C’était que des petits jeunes, hein.
On est d’abord allés en France. On mangeait du boeuf salé en conserve, c’était du corned-beef, on l’appelait bully beef, et des sardines. Quand on avait du bœuf salé le matin, ils nous donnaient des sardines le soir. Le jour d’après, c’était l’inverse. [Rires] Et ça a été comme ça pendant les deux semaines qu’on a passées en France. On est arrivé en France le 10 juillet.
Nos deux unités, le 63e et le 64e du Transport général, ont débarqué le 10 juillet. J’avais toutes les radios talkie-walkie et les fusils pour tireur d’élite, les blousons en cuir [vestes sans manches et sans col], les uniformes et les bottes. On chargeait les camions et ensuite on restait dans les bois pendant deux semaines environ. Ensuite, ils ont pris les camions et on est descendus à Londres; et ils les ont rempli avec d’autres provisions. Dès qu’on arrivait là-bas, ils nous attendaient. Donc ils sont venus les chercher [les prisonniers]
Les haies là-bas étaient vraiment très très épaisses et il n’y avait pas moyen de les traverser. On devait défaire toute la bâche d’un côté et aller ensuite de l’autre côté et l’étendre par-dessus [les haies]. Quand j’ai fait le tour du camion, il y avait un Allemand mort couché dans le coin, avec un trou ici et plein de trucs qui sortaient de là. Il avait à peu près la couleur de ce feu rouge. Je dirais qu’il avait environ 15 ans. Au soleil, il était étendu là, au soleil, c’était un tireur d’élite qui l’a eu.
On avait un smoker [véhicule ayant la capacité de produire des écrans de fumée] jusqu’à la poche de Falaise, qui était grande ouverte, le Provost Corps, la police militaire, les Jeeps, six camions de munitions de fumée rouge [pour marquer des cibles et se couvrir], qui devaient être posées à midi. On était là, et il n’y avait ni fusils, ni infanterie, ni ingénieurs. Après ça, il y avait environ 3000 prisonniers au bas de la route. On est allés dans un petit [sic], ils appelaient ça [Opération] Totalize. On avait un brigadier de la gendarmerie militaire [sous-officier responsable de la police régimentaire]. Ils bombardaient des 88 [mortiers allemands anti-aériens et anti-artillerie] dans tout le champ et il se tenait dans le coin avec son long fusil. Après avoir livré, on a attendu, on devait poser le barrage de fumée à midi. Il était 11 h 15 et il n’y avait pas même le canon, il n’y avait rien. Mais chacun d’entre nous déchargeait ou chargeait, on a fait demi-tour parce que quand les chars d’assaut équipés de machines de déminage à fléaux sont arrivés, il y avait trois ou quatre mines Teller [mines anti-char allemandes] le long de la clôture. Si on avait commencé par là en bas, on se serait fait avoir. Alors on a attendu jusqu’à ce qu’ils descendent dans le champ et nous disent quoi faire, c’est ce qu’on a fait et ensuite on est sortis. Mais on roulait à 100 km à l’heure sur ces trous, tout le long, et ils ont tout arrêté et nous ont laissé passer, drapeau à damier.
Et bien, j’avais une Ford. On avait des Fords, des Chevs [Chevrolets] et des Dodges. Avant ça, on avait des Macks [camions], des IMT [Transports motorisés de l’infanterie] et des véhicules à quatre roues motrices. Bon, après ils nous les ont pris et nous ont donné, on transportait du matériel pour la construction des ponts. Dès qu’ils étaient construits, les Allemands les faisaient sauter. Ça c’était à Elbeuf, un endroit qui s’appelait Elbeuf, dans la partie basse de Rouen je crois, avant d’arriver à Rouen.
Chaque camion dont on disposait était anglais et ce qu’ils pouvaient recevoir, c’était du matériel de pontage. Vous aviez l’équivalent d’une barge à l’arrière, ensuite l’autre était posé de manière à former une grille sur le haut de la cabine. Ils déposaient les planches en travers et ils y allaient. Un matin on s’est réveillé, on dormait parterre sous le camion, sur une toile. Il n’y avait personne dans cette petite ville d’Elbeuf, on ne voyait personne. On a rampé sous le camion, on a pris notre couverture et on s’est dit qu’on allait essayer de dormir un peu. Parce qu’on ne dormait pas beaucoup, parce qu’on n’arrêtait pas.
Et alors ces deux vieilles dames sont arrivées, on pensait qu’elles étaient vieilles, elles avaient probablement une quarantaine d’années. L’une avait un plateau avec deux bols; l’autre avait un plateau avec un pot et du cognac. Dans les bols il y avait du café noir épais ou quelque chose comme ça. Elles ont versé le cognac dedans et je peux vous dire que ça nous a réchauffés.
Je ne sais pas, pour moi maintenant à mon âge, c’est comme un rêve. J’ai vécu tout ça à fond jusqu’en Allemagne et jusqu’au retour chez moi et je n’avais que 22 ans. Maintenant, c’est comme un rêve.