Project Mémoire

Claude Sylvestre

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

L'Institut Historica-Dominion
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M. Claude Sylvestre à Lévis, Québec, le 5 juin 2010.
L'Institut Historica-Dominion
Qu’est ce que vous voulez, on peut commettre des erreurs. On ne peut pas s’en permettre une petite. Regardez les conséquences.
Je me suis ramassé finalement avec le [Royal] 22e [Régiment] en Italie. En Italie, j’ai fait seulement la dernière bataille. Je suis arrivé pour Rimini. Ça n’a pas été une bataille énorme, mais après la fameuse rivière Lamone, qui en trois semaines nous a couté 660 morts et 1200 blessés. Par contre, il faut dire que nous faisions face à des parachutistes allemands. Si nous avons eu de grosses pertes, eux aussi en ont eu. On leur a payé la traite. Les Allemands menaçaient de faire sauter un pont. Notre commandant a envoyé un groupe d’hommes pour essayer de les empêcher mais ils se sont fait prendre dans un barrage de mitrailleuses et de mortiers. Ils sont tous morts sauf un qui n’a rien eu et un autre blessé que nous avons retrouvé. Sur une mitrailleuse nous sommes toujours deux, un qui tire et l’autre qui s’occupe des munitions. J’ai envoyé mon homme chercher les brancardiers. En attendant, il était inquiet. Il y avait un autre qui était blessé, mais on n’était pas capable d’aller le chercher parce que le feu passait, avec les mitrailleuses on voyait les balles, ils avaient des tracer [balles traçantes], les Allemands. J’ai traversé l’autre bord du chemin de fer. J’ai pris ma mitrailleuse, j’en ai une miniature là dedans. On voit d’où le feu vient la nuit. Je mettais ma mitrailleuse, je tirais 28 balles, car un magasin contient 28 balles, en direction des Allemands. Naturellement ça se tranquillisait, car lui était fini. Pendant qu’ils mettaient un autre homme moi je changeais de place. J’allais plus loin et je mettais un autre magasin sur ma mitrailleuse et j’attendais. Si on tire, ça fait du bruit. Donc ils te repèrent de cette façon et ils tirent ensuite. J’étais bien enligné et j’envoyais 28 balles à la fois. J’ai fait ça trois ou quatre fois. Ça commerçait à être sérieux. Ils nous ont fait sauter le pont en pleine face. On n’a pas été capable de récupérer le pont. On était cinq. On a fait une patrouille dans une petite manufacture de briques. On s’est chicané un bout de temps. Ça s’est tranquillisé et nous avons appuyé nos armes sur la bâtisse. Ça a été l’erreur, car normalement nous sommes supposés de rentrer à l’intérieur. Si vous ne voulez pas aller en dedans, lancez quelques grenades et s’il y a quelqu’un ils n’aimeront pas ça. Vous pouvez être certain. On n’a pas fait ça. On s’est chicané. On a tué quelqu'un, mais il en restait un. Il a passé par en arrière avec son arme et il nous a atteints tous les cinq. J’ai été chanceux, j’étais le moins touché. Je l’ai eu dans le genou un autre l’a eu dans le ventre. Un autre dans l’estomac. Il y en a un qui a perdu une main. La balle est arrivée juste dans le joint et sa main pendait, un gars de Saint-Gabriel près de Rimouski. Les trois autres se sont fait tuer. C’était de notre faute, définitivement. Qu’est ce que vous voulez, on peut commettre des erreurs. On ne peut pas s’en permettre une petite. Regardez les conséquences. Il était trois heures de l’après-midi. Il ne faisait pas noir encore, c’était le mois de décembre [1944]. On a attendu. Celui qui avait perdu une main était capable de marcher. Il est resté avec moi et nous avons décidé d’attendre. Les brancardiers vont venir. Ils n’entendaient pas parler de nous. Ils vont se demander ce qui nous est arrivé. Ils ont fait une deuxième patrouille dans la noirceur. Ils appelaient en sifflant, on leur a donné le mot de passe. Ils sont venus nous ramasser.