La journée la plus horrible pour moi, au combat c’était, j’ai sauté dans une chenillette et j’ai reçu l’ordre d’aller sur le champ de bataille récupérer les blessés et les tués. Bon sang, vous parlez de rêves, 70 ans plus tard. J’en rêve encore. L’enfer, la première fois, que j’ai croisé des soldats allongés sur le sable qui avaient été tués. J’ai réalisé que c’était pour toujours. Et je crois que c’était particulièrement difficile pour moi parce que j’étais depuis le début avec, à ce moment là, le bataillon était rassemblé sous l’uniforme depuis trois ans et demi. Alors je connaissais pratiquement tous les officiers supérieurs et les sous-officiers et ceux, comment dit-on ça, nombre de ceux qui n’étaient pas officiers, je les connaissais personnellement.
J’ai décrit par écrit un gars qui s’appelait Kyle, qui servait avec moi et en fait, c’était mon messager ou ordonnance, ou quel que soit le nom qu’on leur donne. Et il était mort, il gisait sur le sable, le visage face au ciel. Et j’ai commencé à jurer. Et ce n’était pas dans mes habitudes parce que j’ai été élevé dans une maison où on ne jurait pas. J’ai juste dit, vous savez, c’est une tragédie et un blanc, un blanc, un blanc, un blanc, un blanc. Et je me suis sorti ça de la tête et j’ai fait la paix avec moi-même. C’est bateau de dire ça mais j’ai fait la paix avec moi-même. Autrement, j’aurais trouvé très difficile de commander des hommes et les envoyer à la mort. C’est quelque chose d’horrible à faire subir à un gamin de 19 ans.
J’ai été impliqué dans une enquête concernant les jeunesses hitlériennes allemandes* qui assassinaient des soldats du (Royal) Winnipeg Rifles. Ils en ont assassiné 54. Et comme je faisais partie du peloton de chenillette, j’avais été envoyé faire une incursion pour découvrir la vérité. Et je suis tombé sur des cadavres de soldats et on les avait descendus en tirant à l’arrière du cou.
J’étais parti en reconnaissance,** alors j’ai dit, colonel, « Est-ce un ordre ? » Et le colonel m’a ri au nez et il a dit, « Choisissez vos soldats. » Alors j’ai choisi un sergent-major et un gars qui parlait français pour venir avec moi. Et on a tenté de monter en haut de cette colline et on a été autorisés à entrer à l’intérieur de la position allemande et ce major SS est sorti avec un insigne à tête de mort et autre et j’ai dit à Jimmy Sharpe, qui était mon sergent-major, j’ai dit, « Jimmy, on aura bien de la chance si on s’en sort vivants. »
Je suppose que les heures suivantes ont été les plus chanceuses de ma vie parce que j’étais dans la tranchée et un allemand est arrivé et il était au dessus de moi et il tenait une grenade dans la main. Et il l’a lâchée. Et je l’ai attrapée et pendant qu’on était assis à parler, la grenade a explosé dans ma main. Mais c’est pendant que j’étais en train de la lancer, alors ça s’est terminé avec une main paralysée.
On s’est fait sévèrement bombarder par des canons de 88 (mm) allemands*** et la guerre s’est terminée pour moi à ce moment-là. Mes soldats m’ont déterré et ma, que Dieu les bénisse, et ils m’ont déterré et on a pris un bateau à fond plat, ceux qu’on utilise dans les marais, on a pris un bateau à fond plat et ils m’ont mis dans le passage avec des fusils comme rames. Ils m’ont fait traverser le canal jusqu’à notre côté et ensuite les brancardiers sont venus me chercher et cela, les quatre ou cinq jours suivants, je n’ai aucun souvenir.
Merveilleux, des gars merveilleux, les soldats de l’armée de terre, et pour faire ce qu’ils ont fait, 60,70 ans plus tard, il m’arrive de me réveiller la nuit et j’en rêve encore. Et ça fait un bon moment.
*La 12ème division Panzer SS, une division allemande blindée
**Au canal Léopold, Belgique, une ligne de défense allemande de grande importance
***Canon d’artillerie antiaérien et antichar