Et on a débarqué près de Caen, la ville de Caen, qui était un véritable spectacle de dévastation après avoir été bombardée par nos obus et leurs obus et leurs bombes et nos bombes. Ce n’était plus qu’un tas de décombres, une sacrée surprise.
Et je me souviens toujours, vous savez, quand vous êtes jeune et immature, vous croyez que vous êtes invincible, j’étais comme ça. On était en ligne dans un convoi et avançant le long de notre infanterie et un des gars avec qui j’avais fait l’entraînement, fait mes classes, était juste à ma hauteur et j’étais en train de lui parler quand tout à coup un obus est tombé et un éclat tranchant l’a tué sur le coup. Et j’ai soudain réalisé que je n’étais pas invincible. Et c’est de cette manière brutale que vous en prenez conscience quand vous êtes jeune, au service.
J’étais dans l’artillerie de campagne et l’artillerie de campagne est là pour aider un régiment d’infanterie. Et nous on aidait le Black Watch. Et alors quand ils avaient besoin que l’artillerie fasse feu pour les aider, c’est ce que nos armes faisait. Et j’étais avec un officier appelé officier d’observation avant-poste qui va en avant au front et cherche de bons postes d’observation d’où on pouvait voir ce qui se passait. Et moi j’étais l’opérateur radio qui transmettait aux tireurs les ordres de faire feu. C’était ça mon travail.
On se déplaçait dans un truc appelé une chenillette, un véhicule léger qui avait des plaques de protection d’un quart de pouce tout autour mais qui était à ciel ouvert. On a traversé toute l’Europe dans ce truc. Nous étions quatre à bord : un chauffeur, l’officier, il avait un assistant qui vérifiait ses calculs pour le tir de canon et moi j’étais celui qui envoyait les ordres de mise à feu quand un officier avait pris la décision de l’endroit où il voulait envoyer les obus. Et on vivait littéralement dans cette chenillette. Parfois il m’arrivait de ne pas dormir pendant 48 heures parce que la radio devait marcher 24 heures sur 24. Il m’est souvent arrivé de m’endormir assis dans la chenillette.
Mais de temps en temps on avait chauffeur différent, qui faisait aussi fonction d’opérateur et comme ça j’avais un peu de répit. Mais la plupart du temps, ce n’était pas le cas et j’étais le seul opérateur et je devais être de service de manière presque constante.
C’était un boulot très dangereux. On avait une antenne radio, comme une canne à pêche qui était placée au dessus de la chenillette du côté de la radio. On devait la remplacer souvent car des objets tranchants lui tombaient dessus en permanence et la coupait. Les allemands avaient les jeunesses hitlériennes. Ils étaient presque suicidaires. Après qu’on ait libéré une ville, certains d’entre eux restaient en arrière et comme des snipers dans des bâtiments, ils nous tiraient dessus pendant qu’on traversaient la ville. Et je me suis fait tiré dessus à deux ou trois reprises, mais ils m’ont loupé. J’ai eu de la chance.
Après la France ce fut la Belgique. On a traversé une partie de la Normandie. Et ensuite on est arrivé en Belgique, près de Antwerp, du côté de l’estuaire de l'Escaut, c’était plutôt mouvementé là-bas, beaucoup de bombardements ennemis. Et à ce moment ils avaient commencé à envoyer ce qu’on appelait des bombes V1. C’était des bombes désarmées qui volaient dans les airs et tout à coup elles plongeaient sur leur cible. Et puis un petit peu plus tard, ils commencèrent à bombarder en envoyant ce qu’on appelle des V2. Les premières bombes étaient appelées des V1. Et les V2 ne faisaient pas un bruit, elle tombaient du ciel et allaient s’écraser partout. Et vous il n’y avait rien pour vous prévenir.
Quand on est arrivés à Anvers, elle avait été libérée par les anglais. Mais l’estuaire de l'Escaut, à l’entrée d’Anvers, était encore occupé par les allemands et c’est eux qu’on devait sortir de là. Et après qu’ils soient partis, ils ont commencé à bombarder Antwerp avec ces V2, c’est devenu une ville fantôme. Tous le monde s’était réfugié dans les caves et les sous-sols ou dans n’importe quel endroit qu’ils avaient pu atteindre et c’était vraiment lugubre.
Ils n’avaient plus de nourriture. Beaucoup d’entre eux dans les grandes villes mouraient de faim. Beaucoup de gens sont morts de faim. Et ils gelaient aussi parce qu’on leur avait pris tout le charbon et en fait, il y avait un quartier juif à Amsterdam et les juifs avaient été déportés et leurs maisons avaient été désertées et alors les gens en Hollande mouraient de froid et ils ont commencé à détruire ces immeubles et à utiliser le bois pour se chauffer leurs maisons. C’était grave à ce point là.
Quand on est arrivé en Hollande ils avaient vraiment faim, alors on leur a donné de la nourriture, et je peux encore m’en rappeler, on a eu un, mardi gras à un endroit, une sorte de fête et on avait des hamburgers gratuits. Et les hollandais étaient tellement affamés, on leur a donné de la nourriture mais ils avaient tellement faim qu’il picoraient comme des oiseaux. Nous on était bien nourris et ils ramassaient tout ce qu’on laissait tomber par terre. Ils étaient comme des oiseaux à la recherche de leur nourriture. Ils étaient affamés à ce point là.
Ce qui est horrible à propos de la guerre c’est je pense vraiment que ce sont les civils qui ont été frappés le plus durement parce qu’ils devaient quitter leurs maisons et leurs maisons étaient saccagées. Et je ne sais pas ce qui est arrivé à tous ces gens après la guerre, comment ils ont pu recommencer à zéro, s’ils ont survécu. Et je ne sais pas où ils sont allés, pour vous dire la vérité, mais ils quittaient leurs maison en l’état et vous alliez dans ces maisons et ils y avait des jouets par terre, là où ils les enfants étaient en train de jouer, et quand on les avait emmenés brusquement pour aller dans un endroit plus sûr. C’était comme ça en Hollande.