Au cours d’un vol parti de Terre-Neuve pour rejoindre le convoi, lors d’un de mes voyages dans la force aérienne, d’habitude l’exercice consistait à faire en sorte que tous les échanges d’information entre le commodore du convoi et l’avion qui était en patrouille devait être fait soit à l’aide de toutes ces lampes, lumières ou bien avec des pavillons de signalisation. Et ce jour-là, on arrivait à la hauteur du convoi et on était en train de prendre contact de la manière habituelle et le commodore est intervenu et a dit : « C’est avec le plus vif regret que je vous annonce la mort du Président Franklin D. Roosevelt. » Et ça a tout simplement plongé tout l’équipage dans une humeur lugubre durant les huit ou dix heures où on s’est occupés de la protection du convoi.
La ville de St John était, bon, on était reconnaissants qu’ils aient un centre USO (NDT : United Service Organization ; organisme privé à but non lucratif) là-bas parce qu’il était possible de manger un bon repas là-bas car autrement, certains de leurs restaurants ne servaient que de la nourriture très basique. On avait l’habitude de plaisanter sur le fait qu’une bouteille d’alcool à ce moment-là coûtait moins cher qu’une bouteille de lait et les enfants avaient rarement l’occasion de boire du lait frais ou quoi que ce soit parce que c’était tellement cher. C’est le seul endroit où j’ai vu des vents soufflant à plus de cinquante kilomètres-heure et le brouillard qui était juste là sur le pont et tourbillonnant au milieu des bâtiments de la caserne et c’était très venteux.
On volait sur des Canso, qui sont ceux qui sont amphibies. C’était un hydravion bombardier Catalina à l’origine, et pour en faire des appareils amphibies, ils avaient ajouté des roues et les appelaient des Canso. Ils étaient lents, un avion lourd, 90 nœuds (160km/h), mais ils étaient très sûrs et pouvaient voler pendant des heures. Ils n’étaient pas vraiment ce que j’appellerais un avion de première catégorie pour le service militaire. On faisait des vols d’une durée moyenne de huit à dix heures et vous étiez occupé pendant tout le temps. Le deuxième pilote était censé relayer le navigateur, mais ça ne fonctionnait pas vraiment de cette manière.
On avait des opérations en général toutes les, en principe deux fois par semaine, ça dépendait du nombre de convois. On les prenait en charge à, ils étaient formés à Halifax et puis la force aérienne basée sur l’île de Cap-Breton, ils les remontaient et notre escadron prenait le relais de l’escadron du Cap-Breton et on les escortaient jusqu’en Islande où on passait le relais aux équipages de la force aérienne là-bas. Et ça c’était notre morceau à nous, notre portion c’était le milieu de l’Atlantique nord.
Et ça c’est une autre chose dont je me souviens c’est que je n’ai jamais regretté d’avoir quitté la marine quand je voyais comment certains bateaux de la marine royale canadienne, les frégates et les corvettes, ils disparaissaient dans les vagues, on n’y passait que huit à dix heures, mais eux ils y passaient pour des jours et des semaines à être bousculés comme ça dans l’Atlantique nord en hiver. Pas mon choix après avoir vu de quoi il s’agissait.
Quand le théâtre des opérations européen s’est effondré, on a donné à chaque équipage de l’escadron un moment particulier pour escorter un ou deux des sous-marins allemands qui s’étaient rendus dans l’Atlantique nord et on les amenait à St John ou notre escadron le faisait. Et c’était que des vieux tas de ferraille rouillée.
Mon travail c’était de conduire l’équipage jusqu’à l’escorte, surveiller la route où sur laquelle on se trouvait et nous faire rentrer sains et saufs. Et on vous donnait certaines patrouilles. Ça pouvait être la surveillance systématique en rectangle, vous deviez aussi compter tous les bateaux dans le convoi. On était toujours deux ou trois à compter parce que la pire chose qui pouvait arriver c’était d’en avoir un de moins ou un de trop. Soit quelqu’un était là et n’aurait pas dû s’y trouver ou s’il en manquait un, ça pouvait vouloir dire que l’un d’entre eux avait des problèmes ou quelque chose comme ça. Alors c’était vraiment important de faire ce premier décompte, quand vous arriviez au convoi, vous survoliez toutes les lignes. Certains d’entre eux avaient 125 à 150 bateaux. Ils étaient éparpillés, vous savez, ils étaient dans une formation, mais ils étaient éparpillés sur une étendue très large. Mais c’était généralement la première tâche à accomplir et puis quand l’avion de la relève arrivait à la fin de notre patrouille, c’était eux à qui on passait la responsabilité de reprendre la patrouille.
Au moment de la fermeture du théâtre des opérations européen, c’est devenu la folie à Halifax. Et ils sont descendus tout le long de la rue principale d’Halifax, je ne me souviens pas de son nom, et ils ont cassé toutes les vitrines et je me souviens d’avoir vu un tramway qui descendait la rue et il y avait une grande église dans le centre de Halifax, une église anglicane, du genre cathédrale. Et il avait l’habitude de tourner et de s’arrêter et nous, les huit de mon équipage, on marchait de ce côté-là, en observant ce qui se passait, et on a vu une demie douzaine de matelots s’introduire dans le magasin de meubles juste là. Ils ont tout simplement fracassé la vitrine et sorti les Chesterfield (canapés en cuir) et les ont installés là et ils avaient des caisses de bière. Et ils ont renversé le tramway et lui ont mis le feu et ensuite les camions de pompiers sont arrivés et ils ont arrachés les lances des mains des pompiers et les ont retournées contre eux. Et la police est arrivée et pendant un petit moment, entre huit et douze heures, ça a été l’anarchie totale dans Halifax. La police ne pouvait pas faire face et je me souviens d’un magasin de spiritueux qui a été cambriolé et il y avait, dans les 20-30 policiers et ils étaient tous à l’extérieur du cercle et les matelots ressortaient avec de la bière et de l’alcool plein les bras. Il y avait aussi des gens du coin, c’est la partie la plus gênante dans tout ça. Les marins ont été accusés, mais il y avait aussi pas mal de gens du coin qui ont profité de ce carnage.
Et les Birks (joailliers) avaient un très joli magasin là, rue Barrington et ils avaient toutes ces petites vitrines en verre et elles ont toutes été fracassées. Les gens sortaient avec des montres sur tout le bras. Mais ça c’était au début, ou le premier après-midi et la première nuit où l’amiral dirigeait les opérations, je crois qu’il a perdu son travail à cause de ça parce qu’il y a un corps qui a été découvert, c’était un officier de la marine, on l’a trouvé le jour suivant en bas sur les quais ou quelque chose comme ça. Et ce n’était pas un bon endroit où se trouver. Et quand on était à l’hôtel, la police militaire est venue et a fouillé nos chambres, deux ou trois fois par jour au cas où on ait eu un butin ou quelque chose.
Ils ont finalement amené, et là je pense que c’est une autre erreur à mettre à leur compte, ils ont amenés ceux qu’on appelait les zombies, des conscrits, ils les ont amené pour faire régner l’ordre. Bon, ça du point de vue des matelots, qui avaient passé leur temps dans l’Atlantique Nord et qui pensait avoir des comptes à régler, c’était juste mettre le feu aux poudre.
Mais la police maritime a fait du porte à porte dans les rues résidentielles là où ils soupçonnaient qu’il y ait des gens du service, et ils les prenaient par la peau du cou, et les jetaient à l’arrière d’un camion, et ça c’était excitant.