J’ai fait ces sept vols en tant que second pilote. Et quand ils ont finalement fait de moi un capitaine d’équipage, je me suis fait descendre la première fois que je suis allé là-bas avec un équipage. Ils nous avaient donné un raid, on devait tirer sur des bassins de sous-marins. Je crois que c’était au Havre en France, alors on ne devait pas aller très loin en terrain ennemi, juste une incursion et retour. Mais ça n’a pas été aussi simple que ça. On a été touchés au-dessus de la cible. Les tirs de DCA (artillerie antiaérienne) crépitaient tout autour de nous et des éclats d’obus explosaient dans tous les sens, il y avait le bruit de ces éclats contre la carcasse de l’appareil qu’on entendait quand ils s’écrasaient et ces trucs rebondissaient partout de tous les côtés. Je sentais les saccades du manche dans ma main, quand les tirs de DCA passaient à travers les ailerons (ayant un impact sur le roulis), et ainsi de suite.
On a pris en direction de la mer et j’avais un moteur en panne; alors j’ai dit aux gars, il y a quelqu’un qui veut sauter pendant qu’on est encore au-dessus de la terre? Ils ont répondu non, essayons de rentrer en Angleterre. Alors on a pris au nord, mais on n’est pas allés très loin. On s’est écrasés à une trentaine de kilomètres au large de la France et on a touché l’eau. On est tous montés à bord d’un canot pneumatique, on est partis à la dérive pendant six jours. On a remonté la péninsule de Cherbourg et les Allemands se trouvaient juste là. Alors on s’est transformés en prisonniers de guerre. C’est ainsi que j’ai passé le plus clair de ma carrière d’aviateur (rire), pendant des années dans les camps de prisonniers.
Or, des choses marrantes se passaient, pas vraiment marrantes, mais pour le moins intéressantes. Le jour où on a quitté le camp à Nuremberg, c’était le 3 avril. On est partis et on marchait pendant une cinquantaine de minutes, et on faisait un arrêt de 10 minutes pour fumer. Bon, pendant le premier, avant le premier arrêt je crois que c’était, un des gars, oh oui, je crois que c’était pendant qu’on s’est assis pour fumer ou voir si on pouvait manger un morceau ou quelque chose. Un des gars s’est coupé le doigt en ouvrant une conserve de quelque chose. Et il y avait des filles vêtues d’un uniforme gris avec un petit sac sur l’épaule avec nous, les gens des premiers secours. Ils les avaient envoyées faire les premiers kilomètres avec nous pour voir s’il y avait des gens incapables de marcher ou autres choses de ce genre. Et ce gars, Smith, originaire de Port Arthur en Ontario, est allé trouver une de ces filles pour qu’elle lui donne un pansement pour son doigt, vous voyez.
Et ce qui s’est passé, je n’étais pas là au moment où ils ont demandé, bon, s’il y avait des blessés, des gens qui ne pouvaient pas marcher, ils pouvaient monter dans le camion. Il y avait deux camions qui nous accompagnaient, transportant des dossiers et autres, tout ce qui concernait les prisonniers. Et Smith est monté dans le camion apparemment et quand le camion a démarré (rire), le garde qui devait monter avec eux (pour qu’il n’y ait pas de nombreux prisonniers assis dehors sur le dessus avec personne pour surveiller qu’ils ne s’échappent pas ou autre), ce garde avait essayé de monter dans le camion avant qu’il démarre. La roue de secours se trouvait là sous le caisson du camion. Il a mis son pied sur la roue de secours et il avait les bras accrochés par-dessus le hayon, et il s’agrippait désespérément alors que le camion s’éloignait, et Smith était assis en haut du chargement et lui tenait son fusil. Et puis, ils ont juste disparu à l’horizon et je ne sais pas comment ce pauvre diable a finalement réussi à grimper dans le camion. (rires) Je ne les ai pas revus avant longtemps.
Le commandant qui était avec nous à Nuremberg était un gars agréable, un gars plutôt jovial. Ils ont dit qu’il était originaire de Vienne; et ils disaient que les Viennois étaient de bons vivants. Ce gars se présentait, et la manière dont ils nous comptaient deux fois par jour, ils nous faisaient défiler et on était en rangs, sur cinq rangs bien alignés et les files, suivant le baraquement dans lequel vous viviez. Et ils venaient et comptaient. C’était un moyen rapide de compter quand il y en avait cinq de profondeur avec deux hommes sur le devant, ça faisait dix prisonniers. Et il pouvait d’un coup d’œil voir s’il en manquait ou quoi que ce soit, et quand ils arrivaient à la fin, un nombre impair ça se voyait tout de suite, alors ils savaient exactement combien de prisonniers de ce bloc il avait devant lui. Alors ce gars venait et il disait en anglais, un, deux, trois, quatre, aujourd’hui, vous êtes prisonniers, demain c’est moi qui serai prisonnier, neuf, dix, onze, douze.
À ce moment-là, on recevait les nouvelles, quelqu’un avait une radio et, bien sûr, c’était interdit, mais il y avait toujours quelqu’un qui avait une radio qui marchait et qui pouvait nous raconter les nouvelles de la BBC. Donc on savait très bien ce qui se passait. On savait qu’on était sur le point d’être libérés. Le lendemain matin pendant le défilé, le vieux type de Vienne est descendu le long de la ligne en nous comptant, nous les prisonniers, comme si la guerre allait continuer pour toujours, mais tout en sachant que demain était arrivé et qu’aujourd’hui il serait le prisonnier. C’est la dernière fois que je l’ai vu et j’espère que les Américains l’ont bien traité. Il avait l’air d’un gars plutôt bien.
Oh, et quand on a défilé dans la matinée, on pouvait voir les chars d’assez loin, et ils ressemblaient à des insectes qui crachaient le feu. Et quelques obus sont passés en sifflant au dessus du camp et le grondement des moteurs diesel a augmenté et les chars sont arrivés, et les coups de mitrailleuses éclatèrent quelque part. Finalement vers midi, un char américain a traversé le portail d’entrée et de manière symbolique, on était libres.