Au cours du printemps 1943, j’étais dans la Manche, logé à un endroit qui s’appelait Angering, sur la côte sud de l’Angleterre. Et c’est là-bas, au mois d’avril 1943, que mon commandant m’a fait venir dans la salle des rapports et m’a demandé quel âge j’avais. Et j’ai répondu : « 19 ans, mon commandant. » Et il a dit : « J’ai une lettre dans les mains qui dit que tu n’as que 17 ans. » Et je l’ai regardé et j’ai reconnu l’écriture de mon père, il leur avait écrit pour leur dire que je n’avais pas l’âge, il pensait que j’étais allé assez loin je pense. Alors j’ai dit : « Vont-ils me renvoyer au Canada? » Et il a répondu : « Non, ils vont te remettre dans une unité de renforts jusqu’à tes 19 ans. »
Et alors de là, on a été dans différents endroits en Angleterre, et à Barnsley dans le nord de l’Angleterre. Et de Barnsley, je crois, en juillet 1944, et le jour J. avait commencé le 6 juin 1944, et j’ai eu 19 ans en juillet 1944, le 15, et ils m’ont dit que j’avais la possibilité de partir en Normandie comme renfort. Mais un de mes amis, qui s’appelait Herb Williams, il venait de Brantford en Ontario, on est devenu de très bons amis, on est partis tous les deux et l’on venait tous les deux de la Highland Infantry (of Canada), même si je ne le connaissais pas très bien au départ. Bon, au lieu d’aller dans la Highland Infantry, on nous a envoyés dans le Essex Scottish (Regiment) et la 2e Division (2e Division d’infanterie canadienne). La Highland Infantry faisait partie de la 3e Division (3e Division d’infanterie canadienne).
Donc l’Essex Scottish et la 2e Division, ils avaient subi de lourdes pertes dans les semaines précédentes et il est allé dans une compagnie, la B je crois, et je suis parti dans la compagnie C et j’y étais depuis un peu moins d’une semaine quand je me suis pris des éclats d’obus provenant de mortiers allemands et j’ai perdu une partie de mon pied gauche et un morceau dans le dos. Malheureusement, le 31 juillet 1944, mon ami Herb Williams a été tué. Je ne l’ai su qu’après mon retour en Angleterre. Et ils m’ont fait partir à ce moment-là, on m’a emmené au premier poste de secours, ensuite ils m’ont rapatrié en Angleterre par avion la même nuit, retour à… et je suis allé dans l’Hôpital général canadien N° 17 et j’ai découvert où il se trouvait, et puis je suis allé dans l’Hôpital général canadien N° 18 en Angleterre, qui se trouvait à Colchester sur la côte sud-est. Et c’est là où les buzz bombs (bombes bourdonnantes) allemandes V1 (La Fieseler allemande Fi-103 une fusée munie d’un pulsoréacteur) venaient, nuit après nuit. Et je me rappelle m’être étendu sur mon lit d’hôpital pendant les blackouts et voir les flammes qui sortaient de ces fusées qui traversaient. Et bien sûr, quand le moteur s’arrêtait, les V2 (V1) tombaient et explosaient. Alors c’était quelque chose d’angoissant, toutes les cigarettes s’allumaient à peu près à ce moment-là dans la salle, on avait le droit de fumer sans restriction dans l’hôpital.
Donc je suis resté là jusque vers la fin du mois de septembre (1944), et je me souviens, je crois que c’était en septembre, le 19, on était dans le centre à Colchester un jour quand on a vu cette impressionnante armada d’avions se présenter, des planeurs, des avions de transport militaire et ainsi de suite et on s’est demandé ce qui se passait. On n’a pas su le lendemain que c’était le début de l’Opération Market Garden (une opération militaire alliée dirigée principalement sur les Pays-Bas entre le 17 et le 25 septembre 1944). Et je me souviens que, ce fut un désastre pour les troupes qui y participèrent. Et peu de temps après ça, on m’a envoyé dans un autre camp en Angleterre, je n’arrive pas à me souvenir du nom, mais c’était un lieu de transit pour rentrer au Canada. Et pendant que j’étais là-bas, on était à Londres un soir et on se trouvait à l’extérieur le la gare de Waterloo quand on a entendu une explosion magistrale et c’était une V2, les fusées V2 (les missiles balistiques V2 allemands), la seule que je n’aie jamais entendue. Évidemment, c’était les débuts de ces missiles balistiques intercontinentaux que les Allemands avaient élaborés. Et ce n’était pas très loin de l’endroit où on était et ça nous a flanqué une sacrée frousse.
Peu de temps après ça, on a eu la possibilité de rentrer chez nous et on a embarqué à bord d’un navire-hôpital qui s’appelait le (SS) Letitia et on est partis en décembre ou dans les derniers jours du mois de novembre et j’imagine qu’on était dans l’Atlantique Sud, et puis on est passé par les Açores avant de remonter sur Halifax. Et nous sommes arrivés à Halifax le 8 décembre 1944, je m’en souviens parfaitement bien. On est monté dans le train de soldats, retour à London en Ontario, là où je m’étais enrôlé. Bon, je ne suis pas vraiment resté là-bas, mais le train nous a emmenés à London où on a pris du retard et ensuite on a pris le train qui rentrait chez nous à Galt (Cambridge, Ontario).
Et avant de partir, ma sœur, qui était dans le CWAC (Corps d’Armée des femmes canadiennes), elle est montée dans l’avion et m’a dit que mon frère (Sous-officier breveté de 1re Classe William Harold Cyples) qui était dans l’ARC (Aviation royale canadienne) avait été tué en octobre (le 17 novembre). L’avion qu’il pilotait, il était pilote, c’était un vol d’entraînement pour lui et quelques autres personnes, il s’est écrasé et il a été tué. Et il en était (…) le commandant, il allait être enterré en Angleterre à une demi-heure de voiture de là où j’étais, mais je ne le savais pas. C’était comme ça les communications à l’époque. Aujourd’hui, vous sauriez exactement ce qu’il en est, vous pourriez aller aux funérailles, mais je n’ai pas su qu’il avait été tué que quand je suis arrivé chez moi.