Project Mémoire

Emile Turcot

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

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Médailles allemandes gardées comme souvenirs pendant les derniers jours de la guerre, 1945.
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Emile Turcot prenant sa mère dans ses bras et enrouré par ses soeurs le jour où il est retourné au Canada après la guerre, le 28 octobre 1945.
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Emile Turcot (à gauche) photographié au camp avec Robert Beauvais et J.B. Beland aux Pays-Bas, en avril 1945.
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Baïonnette allemande prise à un soldat allemand à la fin de la guerre, 1945.
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Portrait d'Émile Turcot en uniforme.
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Le commandant d'un régiment disait : «J'ai besoin de deux lieutenants, j'ai besoin de trois lieutenants », dépendant des blessés et des morts.

Je suis allé après à Farnham. On m'a envoyé dans les camps où on donnait l'entraînement de base aux recrues. Quand je suis arrivé à Sherbrooke, il y avait un peloton d'indésirables. Sur les 72, je me demande s'il y'en avait un qui n'avait pas fait de prison. Un soir, il y en a trois qui se sont sauvés et qui sont allés dévaliser un magasin de fourrures. La police est venue les arrêter sur le peloton le lendemain. On était deux officiers, il y avait Pierre Faribault, mon grand copain qui est décédé le 30 juin après 67 ans d'amitié. On a réussi dans les deux mois à qualifier tous les 72. Je m'étais aperçu en allant dans leurs huttes le soir, qu'il y en avait un qui était le leader. Alors j'ai dit à Pierre, « Je pense que je vais me servir de lui ». Il me dit : « Que penses-tu faire ? » J'ai dit : « Je ne le sais pas encore, je vais y penser demain matin ». Quand on est arrivé sur la parade j'ai dit, «C'est moi qui prend le drill (exercice) le matin ». Quand ils [pratiquaient] le commandement slope arms (mettre l’arme à l’épaule) ils montaient la carabine n'importe comment, le plus mal c'était le mieux pour eux autres. Alors ce que j'ai fait, je voyais que leur leader était encore pire qu'eux autres. Il m'a passé une idée dans la tête qui à réussi et tant mieux! J'ai dit : « Vous êtes une gang de sloppy (lâcheux). Vous n'êtes pas capable de faire un slope arms comme du monde. Y'en a un seul quile fait comme il faut ». J'ai dit : « Jo, viens ici et montre-leur comment faire ». À partir de ce moment là, on n'a jamais eu de trouble ni avec lui ni avec les autres. On venait de lui donner ce qu'il cherchait : être le chef de bande.

Je suis parti de Montréal le lendemain pour aller à Debert, où était le camp de transit. De Debert à Halifax. De Halifax en bateau vers l'île de France pour traverser outremer. On était 21 dans une cabine de deux. On couchait quatre un par dessus l'autre. Quand c'est comme ça, vous souhaitez que celui d'en haut n'ait pas le mal de mer ! Ça a pris sept jours pour se rendre en Angleterre. Parce que le matin j'ai rencontré un officier du bateau. Je lui ai demandé : « Il me semble que le soleil n'est pas du même bord ce matin ». Il dit « Oui, on retourne de bord vers le Canada parce qu'on a fait trop de contact sous-marins ». Il faisait demi-tour, il retournait de bord et il recommençait.

On était tous les officiers, on était des generalists : on n’était pas attaché à un régiment. On pouvait porter les épaulettes d'un régiment mais officiellement on ne faisait pas parti du régiment. Parce que même si j'avais des épaulettes des Fusiliers [Mont-Royal], j'aurais pu être envoyé au [Régiment de] Maisonneuve s'ils perdaient un homme, un officier. Quand on s'en allait au caserne Léopold (un camp de transit en Belgique prêté à l’armée canadienne pour héberger les troupes de renfort), la demande venait du front. Le commandant d'un régiment disait : «J'ai besoin de deux lieutenants, j'ai besoin de trois lieutenants », dépendant des blessés et des morts. On allait les remplacer.

Quand je suis arrivé au Fusiliers [Mont-Royal] comme de raison, on arrive et on est un peu perdu. On ne sait pas où aller. Le camion qui nous a transportés nous laisse tout près en arrière des lignes et là on va rencontrer le commandant du régiment. À ce moment là, lui il nous souhaite la bienvenue. Il nous dit qu'il a déjà vu notre dossier. Il est au courant. Il nous dit à quelle compagnie on est versé. On m'a dit, « Tu t'en vas dans la compagnie A avec le Major Bergeron ». Dans la forêt d’Hochwald, ça a été dur parce que les allemands nous bombardaient avec des «air burst » (explosions aériennes). Quand tu tires sur un avion, dépendamment de la fuse qu'il y a au bout de la bombe, la fuse- en français un détonateur - va faire éclater la bombe dans les airs et c'est les shrapnels, les éclats, qui vont frapper l'avion.

Les allemands avaient le plus beau canon de toute la guerre, le 88 [mm]. Il était anti-personnel, anti-tank et anti-avion. Ils avaient juste à changer leurs détonateurs au bout. Ils nous tiraient dessus avec des bombes qui éclataient dans les airs, les «air burst ». Alors, ils venaient nous chercher dans nos trous. On a eu beaucoup de blessés. Et en plus de ça ils tiraient avec des obus ordinaires en arrière de nos lignes sur les routes. C'est pour ça qu'on a été trois jours sans manger. On n'avait plus d'eau et plus rien à manger et puis on commençait à manquer des munitions à mettre dans nos carabines et nos mitrailleuses.

Finalement, on est arrivé à Groningen [Pays-Bas]. Groningen était une ville où il y avait beaucoup, beaucoup d'œuvres d'art. Donc on nous avait demandé, autant que possible, de ne pas se servir de l'artillerie quand on attaquait la ville pour ne pas détruire les monuments historiques qu'il y avait là. Mais on a été obligé parce qu'on s'est battu de maison en maison pendant trois jours. On s'est aperçu que les allemands avaient des tunnels. Quand on prenait une maison, ils revenaient par l'autre maison qu'on avait pris la veille, par en dessous. On les avait en avant et en arrière. Finalement, on perdait beaucoup d'hommes. Le colonel, qui était le colonel Jacques Dextraze dans le temps qui est devenu Commandant en Chef de l'armée canadienne [Chef de l’état-major de la Défense]; on l'appelait Jim. Le colonel Dextraze a eu une idée formidable qui lui a valu sa deuxième DSO, Distinguished Service Order (Ordre du Service distingué). Il est parti en carrier (véhicule de combat) avec un chauffeur et deux soldats. Il avait appris par un officier allemand qu'on avait pris prisonnier où étaient les quartiers généraux allemands. Il s'est rendu directement au quartier général allemand dans la ville. Le général allemand qui était en charge pensait qu'il venait se rendre. Il dit : « Non, je m'en viens te chercher ». Alors, après des discussions, le général allemand à demandé au colonel Dextraze la permission de parler à ses officiers de l'état major. Au bout d'une demi-heure il est revenu puis il a dit : « On se rend ». Alors, il y a eu je pense à peu près 80 officiers qu'on avait déjà pris puis il a une autre cinquantaine d'officiers plus 700-800 soldats qui se sont rendus. Ils étaient d'opinions différentes. Y'en a plusieurs dont le visage disait qu’ils n’étaient pas bien fiers que ça soit fini. Parce que dans ça, il y avait des vieillards, des enfants en uniforme, la Volkssturm, qu'ils appelaient ça, l'armée du peuple. Il y avait des marines, des parachutistes, la Wehrmacht (l’armée allemande), des SS (Schutzstaffel). Il y en avait de toutes les sortes. C'était vers la fin.

Après avoir pris la ville d’Oldenburg [Allemagne], on a attaqué dans la nuit l'aéroport Alexander qui était en dehors d’Oldenburg, à quelques kilomètres d’Oldenburg. C'est un peu un drôle de nom en Allemagne, Alexander, mais c'était le nom. On nous a avisé là que c'était fini la guerre. Mais ce qu'on ne savait pas...on était de ce coté-ci de l'aéroport et les allemands étaient de l'autre coté du terrain d'atterrissage. On ne savait pas si eux autres aussi avaient été avisés. À ce moment là, on m'a demandé d'aller faire une patrouille pour voir ce qui se passait du coté des allemands. J'ai fait le tour du terrain d'attérissage. Quand je suis revenu, j'ai annoncé qu’ils avaient l'air d'avoir fini eux-autres aussi. Ils ne semblaient pas d'être un groupe qui était prêt. Ils avaient l'air pas mal heureux que ce soit fini.