Transcription
J’avais même peur de tenir un fusil. Je me souviens d’un officier polonais. Il était venu à la maison pour prendre des photos et avait déposé son fusil dans un coin. Ma mère disait : « N’entrez pas dans cette pièce, il y a un fusil. Un coup pourrait partir. » Aujourd’hui, le fusil, c’est mon oreiller. J’ai dû apprendre à le démonter parce qu’il était rouillé, c’est normal, la nuit, il prend l’humidité, et finit par rouiller. Chaque matin, je devais démonter le fusil, le nettoyer et le faire sécher. Maintenant, un fusil, c’est l’histoire de ma vie. Les temps ont bien changé.
C’est la première photo que j’ai prise lorsque je me suis jointe aux partisans. Je suis ici. C’est moi. Et je suis la seule fille ici.
Et ils avaient d’énormes casernes. Donc, les 5 000 hommes ont été emmenés dans les casernes. Les casernes étaient entourées de l’artillerie lourde. Ils ont mis à feu la caserne. Tous les non-juifs ou toute autre religion, surtout des Bélarus [biélorusses]; et ils ont mis à feu la caserne. Ils les ont brûlés vifs. 5 000 personnes.
C’est le lieu où ma famille a été tuée. Et tous les gens, les juifs de notre ville, ont été tués. Les photos ont été prises par les nazis et [les partisans] m’ont donné le film pour que je le développe. Je me suis rendu compte que c’est à ce moment-là qu’ils ont tué les gens, lorsqu’ils ont liquidé le ghetto et qu’ils ont tué les habitants de notre ville. Dans trois longues tranchées. Et ma famille est ici. Ma mère. Mon père. Ma sœur avec deux enfants. Mon autre sœur avec son mari et ses deux frères.
J’ai vu qui est mort en dernier. C’était une petite fille qui était ma voisine immédiate; certaines maisons étaient près l’une de l’autre. Elle s’appelait Hannah Schuh. Je me souviens encore de son nom. Et elle était si jolie. Chaque fois que je vois Elizabeth Taylor, je pense à Hannah Schuh. Voyez-vous, je me souviens de son nom parce que chaque fois que je voyais Elizabeth Taylor, son nom me venait à l’esprit. Et après 70 ans, c’est peut-être pourquoi je me souviens encore de son nom. Elle était si jolie. Elle a été abattue. Dans le dernier transport.
C’était un choc. Un véritable choc. « Voilà, c’est fini », je me suis dite, « c’est ici, je l’ai devant les yeux. » C’est pourquoi j’ai gardé cette photo parce, qu’elle représentait des personnes si proches de moi, qui m’étaient si chères. J’ai décidé de la cacher pour la garder. Lorsque j’ai développé la photo, j’ai fait un tirage supplémentaire pour moi, pour l’avoir sur papier. Pour avoir quelque chose à regarder. Je ne pensais pas que je montrerais un jour à d’autres personnes ce qui s’est passé ce jour-là.
Je ne pouvais m’arrêter de pleurer. Il y avait moi, et j’avais perdu ma famille. Je suis seule. Je suis une jeune fille. Que dois-je faire maintenant? Où dois-je aller? Que dois-je faire?
Deux bébés. Ils ont pris deux bébés, rien que pour s’amuser. Ils sont allés dans la cour, trois d’entre eux, trois nazis. Je les ai vus de mes propres yeux. Ils ont démembré les bébés. Un bras, un autre, une jambe, quoi d’autre? La tête, et ils l’ont lancé haut dans les airs tandis qu’un autre nazi s’amusait à essayer de l’attraper. Est-ce une façon? Est-ce humain? Des bébés?
Ma famille avait déjà été tuée. Et je suis en vie et je voulais vivre. Donc, pour vivre, je dois aider l’armée. Je dois aider les soldats. Je dois devenir un soldat.
J’avais reçu un ordre, avec un autre type, un partisan, de me rendre à un endroit spécial joindre un autre groupe pour transmettre des messages. Il a commencé à pleuvoir quand nous sommes partis, il pleuvait des cordes; avant notre départ, mon commandant a dit qu’il était plus sûr de prendre un petit bateau et de nous rendre à l’autre endroit en bateau parce que tous les nazis étaient très proches. Nous risquions d’être attaqués ou de tomber dans une embuscade. Ce serait donc plus sûr en bateau.
Toute une nuit, nous étions détrempés. Il n’y avait pas d’abri, tout simplement rien. Mais nous avons réussi. Nous sommes arrivés au bon endroit et nous avons dû sortir du bateau. Il m’a alors dit : « Écoute, Faye, je vais sortir en premier, et je vais tirer le bateau et t’éviter de marcher dans l’eau jusqu’à ta taille. » C’était un brave type. J’ai alors répondu : « Très bien, comme tu veux. » Je suis dégouline de toute façon, je suis détrempée. Il est donc débarqué en premier. Aussitôt qu’il a touché le sol, il a marché sur une mine. La mine a explosé et il a éclaté en morceaux. Je n’ai pas pu trouver son corps. Je me suis retrouvée seule dans les bois. Personne dans les environs. Complètement seule. Entourée de nazis partout.
Par ailleurs, les partisans m’avaient dit quoi faire si l’on voulait éternuer quand les nazis sont tout près. Si vous éternuez fort, ils peuvent vous entendre et ils sauront où vous êtes, parce qu’ils peuvent être seulement à quelques pieds de vous. Frotte-toi le nez et tu feras moins de bruit en éternuant. Ça étouffera l’éternuement.