Francis Ambrose Christian a servi dans la Seconde Guerre mondiale. Vous pouvez lire et écouter le témoignage de Francis Ambrose Christian ci-dessous.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Si ma mémoire est bonne, j’ai quitté Halifax le 1er février 1942 et je suis rentré chez moi le 1er février 1946, soit un délai d’exactement quatre ans. C’est quelque chose dont j’ai toujours été fier, je suppose.
À une trentaine de kilomètres au large d’Halifax, deux torpilles ont été lancées dans notre direction et nous ont manqués. La marine a coulé le sous-marin à l’origine des tirs. C’était ma première incursion dans le monde de la guerre. Je m’en souviendrai toujours.
La marine avait deux navires pour nous protéger, et ils ont coulé le sous-marin. J’ai vu la queue du sous-marin émerger et redescendre dans l’eau. Il s’est retrouvé à la verticale dans les airs puis a coulé sous les vagues. C’était une sacrée expérience.
J’ai servi dans deux unités d’infanterie et, à cette époque, j’ai eu le plaisir d’être dans la même pièce que le roi George VI et la reine Elizabeth lorsque le roi a présenté les couleurs (cérémonie de la garde d’honneur) à deux régiments canadiens. J’ai passé près de deux heures à moins de 6 mètres de Leurs Majestés, assis avec le major. Je n’aurais pas pu demander mieux.
Je me souviens d’autre chose. L’un des régiments auxquels le roi a présenté les couleurs était le South Saskatchewan Regiment, et le roi a bégayé. Chaque fois qu’il disait « South Saskatchewan », c’était le rire assuré!
De là, je suis passé au Queen’s Own Cameron Highlanders, puis je me suis blessé à la cheville et je suis retourné au camp d’entraînement. Puis je me suis retrouvé dans une unité appelée Headquarters A Group. C’étaient les gens qui s’occupaient des remplacements des blessés à la suite du jour J. J’y suis allé pour faire réévaluer mon pied. Le médecin m’a donné son feu vert, alors je me suis enrôlé pour la France. Le dix-huitième jour après le jour J, j’ai traversé la Manche pour me rendre en France.
Nous avons atterri à un endroit appelé Bernières-sur-Mer. Nous étions là depuis plusieurs jours et une unité Hôpital militaire de campagne britannique est arrivée. Ils s’installaient quand notre sergent a demandé d’aller les aider. C’est ce que nous avons fait, nous avons commencé à transporter du stock sur la terre ferme. Un moment donné, j’ai regardé et vu que je traînais une douzaine de litres de brandy sud-africain cinq étoiles, et j’ai continué à marcher. Disons que les gens ont été agréablement surpris! Je pensais que nous allions en guerre avec la Grande-Bretagne. J’ai été le gars le plus populaire du camp pendant quelques jours!
Nous avons ensuite marché 60 kilomètres à l’intérieur des terres et avons pris place dans des véhicules pour remonter la côte où j’ai participé à la bataille d’Anvers. C’était purement accidentel : nous étions là et les Allemands ont contre-attaqué et sont revenus là où nous étions. C’était assez effrayant, mais nous les avons repoussés et nous avons contré leur contre-attaque dans ce qui a été la dernière bataille d’Anvers.
Puis nous avons été stationnés à environ huit kilomètres d’Anvers où nous sommes restés plusieurs semaines à faire la garde et d’autres trucs du genre. En fait, pendant que j’étais là-bas… vous connaissez le Brigadeführer Kurt Meyer (officier de la Waffen-SS), le célèbre général allemand qu’ils ont jugé pour avoir tiré sur les prisonniers canadiens? Il était dans notre zone de détention alors qu’il attendait d’être expédié au Canada pour aller au pénitencier de Dorchester. Le sergent de la garde m’a dit d’aller voir le général et de lui demander s’il voulait quelque chose à lire. Selon lui, on ne pouvait pas le traiter comme un animal. Alors je suis allé le voir et je lui ai demandé s’il parlait anglais, ce à quoi il a répondu dans l’affirmative. Il a ajouté qu’il le lisait et l’écrivait. Il m’a dit qu’il prendrait bien des magazines si nous en avions. Et qu’il aimait bien nos westerns nord-américains. Il voulait que je lui apporte un western. Je suis donc allé lui chercher des magazines Liberty et des trucs semblables et j’ai pris un western, He Hanged Them High. Je me souviens du titre et il a trouvé ça plutôt drôle quand je le lui ai donné. Il m’a dit qu’il aimait bien mon sens de l’humour. Et tout ça alors qu’il risquait la peine de mort. Il s’en est finalement tiré.
J’ai été mobilisé dans la Royal Hamilton Light Infantry. On nous avait donné congé pour quelques jours à Anvers, c’était la fin de semaine en fait. Là-bas, j’étais dans le bâtiment. Il a été directement touché par un Vergeltungswaffe 2, un missile balistique à longue portée. Nous étions 44 dans le bâtiment et seuls quatre ont survécu. J’étais sous le choc. J’ai perdu l’ouïe pendant quelques jours. C’était littéralement comme du TNT qui explose juste deux étages au-dessus de moi. J’étais à l’étage inférieur et la bombe a touché l’étage supérieur. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé ensuite, j’étais assez secoué.
On m’a envoyé à un endroit appelé Hoboken, en Belgique, puis je suis retourné en Angleterre, où je suis resté à faire des tâches ordinaires jusqu’à mon retour au pays en 1946. On ne pouvait pas m’envoyer au combat, j’étais hors-jeu. J’avais été vraiment ébranlé.
Mais je fais partie des chanceux qui ont survécu. J’ai toujours des soucis associés à l’événement. On voit encore les éclats d’obus sous la peau de mes deux mains que j’ai mises sur mon visage la nuit de l’explosion. J’ai dû m’en occuper moi-même. Mais je vais vous dire, pour les gens d’ici, on n’était rien. Un ancien combattant ne valait rien. La moitié du temps, ceux qui avaient repris nos emplois quand nous étions partis les ont gardés. Les anciens combattants n’avaient rien, on nous traitait très mal. Ce n’est que ces dix dernières années qu’on a commencé à vraiment reconnaître nos contributions. À mon humble avis, nous avons été très mal traités après la guerre.
Ça m’a fait penser à quelque chose. Avez-vous entendu beaucoup de gens se plaindre de la famille royale et de tout ce qu’elle nous coûte? J’ai appris une chose : si on a un roi et une reine, on n’a pas de dictateur. Si quelqu’un touche au Canada, l’Empire britannique va le soutenir à 100 %. C’est la leçon que j’en tire. Je suis un monarchiste depuis le début. Je suis allé dans quelques pays et j’ai vu comment c’était. Lorsqu’on voit des femmes et des enfants manger dans des poubelles et des choses comme ça à cause d’un dictateur, ça remet bien les choses en perspective.