En 2011, le Projet Mémoire a interrogé le colonel Francis (Frank) Bayne, un ancien combattant de la guerre de Corée. L’enregistrement et la transcription qui suivent sont extraits de cette entrevue. Francis Bayne sert comme officier de tir dans le 81e Régiment de campagne de l’Artillerie royale canadienne. Né à Guelph le 12 mai 1927, il s’engage, encore mineur, en septembre 1944, dans l’armée comme « jeune soldat » et s’entraîne à Hamilton, à l’École des métiers de l’Armée canadienne. Entre 1945 et 1950, il est affecté à Petawawa, où il est instructeur au sein du Corps du génie électrique et mécanique royal canadien (GEMRC). Pendant la guerre de Corée, en dépit de son souhait de servir à l’étranger, il doit attendre une affectation. Francis Bayne est finalement nommé sous‑lieutenant au 81e Régiment de campagne (formé à Wainwright, en Alberta, en 1952), qui est envoyé en Corée, en mars 1953. En mai de cette année‑là, il combat à la cote 187 et, bien que le cessez‑le‑feu soit signé en juillet, il demeure dans la péninsule jusqu’en mai 1954. Jusqu’en 1975, il sert dans les forces régulières, puis dans les forces de réserve, détenant, à la fin de sa carrière militaire, le grade de colonel dans les Forces armées canadiennes.
Transcription
Une des autres choses qui se passait c’est qu’on faisait de la propagande, on collait des tracts dedans et on les lançait ces tracts sur les Chinois (dans le contexte de la guerre de Corée). Alors l’obus passait au-dessus de leurs lignes, le socle explosait et les tracts tombaient. Or, l’armée américaine fournissait nos rations de nourriture et Dieu merci les Britanniques s’occupaient des rations d’alcool, donc les rations américaines, vous receviez un paquet de cigarettes par jour et le dimanche, vous aviez des cigarettes Kool. Or, nos gars n’aimaient pas les cigarettes Kool alors ce qu’ils faisaient, c’était des cigarettes mentholées les Kool, et ils les mettaient dans les obus pour les tracts et les envoyaient sur les Chinois en disant, qu’ils les fument eux.
Bon, je suis monté aux toilettes un jour et j’ai trouvé deux de nos soldats là-bas avec deux projectiles pour les tracts et ils puisaient des choses dans les latrines et les mettaient dans les projectiles et j’ai dit : « Mais bon sang qu’est-ce que vous fabriquez ? » Et ils ont répondu : « Et bien mon commandant, imaginez, les Chinois regardent en l’air et soudain le projectile éclate et floc ! » et j’ai dit : « Pas question, vous ne pouvez pas faire ce genre de choses. » Alors j’ai empêché ça.
Or, les munitions ont toujours été un problème parce qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ils ont arrêté la fabrication des munitions pour les pièces de 25 livres (obus pour le canon Ordnance QF de 25 livres anglais). Donc on manquait de munitions de 25 livres et ils ont trouvé un navire qui avait été coulé par les Japonais dans le port de Hong-Kong, rempli de munitions pour les pièces de 25 livres. Donc ils ont renfloué ce navire et nous ont envoyé ces munitions. Alors quand on a reçu les munitions, on ouvrait les boites de munitions et de l’eau de mer en sortait. Donc il a fallu sortir les obus et avec de la toile Emery enlever la rouille sur les obus et puis mettre de l’huile de lin pour que les obus ne rouillent pas. Et les gargousses, le combustible, on a dû les sortir et les faire sécher au soleil. Alors ça rendait les munitions assez instables parfois parce que le combustible n’avait pas l’habitude d’être manipulé de cette manière.
Alors on avait des courts-circuits, des explosions prématurées. Dans une autre batterie il y a eu un artilleur qui, il allait charger l’obus et il a heurté la pointe sur la culasse et l’obus a explosé dans le trou à canon, tué certaines des personnes qui se trouvaient là, et blessé les autres. Et il n’était pas censé exploser jusqu’à la décharge ou la rotation quand le projectile commençait sa trajectoire dans les airs, mais à cause de l’instabilité des munitions, ce genre de choses se produisaient. Alors ces munitions étaient assez dangereuses à manipuler.
Comme tout le monde était retranché, on faisait surtout des patrouilles, les Chinois attaquaient beaucoup. Et leur méthode c’était de bombarder un secteur pendant un moment et puis pendant l’attaque proprement dite, et ils attaquaient toujours de nuit à cause de notre supériorité aérienne, ils traversaient le champ de mines à toute vitesse, le faisaient sauter, s’allongeaient dans le périmètre de sécurité et la vague suivante arrivait avec des grenades, lançait les grenades, s’infiltraient, la vague suivante avec des mitraillettes et ainsi de suite, et ils continuaient à arriver par vagues. Et comme on avait des fusils à un coup, pas des fusils automatiques, même si on avait des mitrailleuses, on ne tirait pas assez vite pour pouvoir les arrêter. Donc la seule manière de les arrêter c’était d’utiliser les tirs d’artillerie en masse et souvent sur nos propres positions. L’infanterie appelait l’artillerie à tirer sur ses positions avec des fusées de proximité avec un programmateur, un petit radar se trouvait dans la pointe de la fusée, ça explosait au dessus du sol et les éclats se répandaient par terre.
Donc pendant la nuit du 2 au 3 mai (1953), sur la Colline 187, le RCR 3 (3ème bataillon du Royal Canadian Regiment), qui est le bataillon que notre batterie soutenait, ils ont été envahis et l’ordre, le premier ordre qu’on a reçu c’était le D.F.S.O.S. (Tir Défensif SOS), plus près de 200, tirez jusqu’à ce qu’on vous dise d’arrêter. Et bien sûr, le signal DFSOS c’était le plus près que vous puissiez faire pour des raisons de sécurité. Donc on a questionné l’ordre et on nous a dit, nom de Dieu tirez et puis on a continué à réduire la distance, de 200, de 400, de 800, jusqu’à ce qu’on soit pile sur la position du RCR. Donc, tirez jusqu’à ce qu’on vous dise d’arrêter, alors on a continué toute la nuit. On a tiré pendant toute la nuit, rien que dans ma troupe avec quatre canons, on a tiré au moins 1200 coups. Donc le régiment tout entier plus une partie de la division (1ère division du Commonwealth) tiraient eux aussi en plus de tout ça.
Or, (Lieutenant) Ed Hollyer, du RCR, a reçu la Croix militaire (une décoration militaire britannique qui est en général décernée aux officiers pour un acte de bravoure exemplaire) cette nuit-là et notre officier du poste d’observation avancé, (Capitaine) George Ruffy, lui aussi a reçu la Croix militaire. Son poste d’observation a été frappé de plein fouet par un obus chinois qui a tué son opérateur radio et une de ses ordonnances et son assistant, son assistant technique, du nom de bombardier Walsh, a continué et il a été cité à l’ordre du jour. Donc sa radio était fichue, mais il a trouvé une petite radio et il a réussi à faire le relais avec un des officiers de la compagnie qui a réussi à faire le relais avec l’artillerie, pour diriger les tirs cette nuit-là. Donc nos canons ont fonctionné sans faillir toute la nuit, les tubes des canons étaient brûlants et on leur jetait de l’eau dessus pour les refroidir un peu. Donc on a tiré sans discontinuer jusqu’à l’aube, jusqu’à ce que les Chinois se retirent. Les Chinois ont rassemblé leurs morts et leur ont fait dévaler la colline. Ils les enroulaient de fil et les faisaient rouler jusqu’au pied de la colline et ils ont récupéré leurs blessés. Ils ont fait plusieurs RCR prisonniers et il y a eu quelques morts parmi les RCR.
On a souvent fait feu pour soutenir la position du « Hook » et de la (Colline) 355 (deux positions stratégiques en Corée défendues par les troupes canadiennes à ce moment-là) pour le même genre de choses pendant les attaques. Et les patrouilles maintenant, deux de mes très bons amis ont été tués cette nuit-là, le Lieutenant Gerry Meynell était de sortie, il a conduit une patrouille cette nuit-là et s’est retrouvé nez à nez avec les Chinois qui étaient près à attaquer. Et il a reçu une balle dans la tête et son caporal a ramené quelques-uns des blessés et le Lieutenant Doug Banton est sorti pour leur indiquer comment rentrer à travers les barbelés et il leur disait, venez par ici, venez par là et il a été descendu. Donc deux très bons amis à moi ont été tués cette nuit-là.