Project Mémoire

Frank Ralph Boyd

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Frank R. Boyd
Frank R. Boyd
Frank Boyd, juin 1945.
Frank R. Boyd
Alors je suis allé voir et j’ai regardé et ces pauvres prisonniers travailleurs russes, vêtus de haillons, et pourtant ils m’avaient envoyé une cigarette, vous savez, et ils n’avaient absolument rien de rien.

Nous étions un escadron de service spécial et on avait cet équipement secret ou pseudo secret à bord ce qui fait qu’on prenait un homme supplémentaire avec nous. Il ne faisait pas partie de notre équipage et en général on avait une personne différente à chaque fois. Mais ils savaient parler allemand et comprendre l’allemand, et leur boulot c’était de brancher cette radio sur les fréquences des chasseurs allemands. Et quand ils avaient trouvé une fréquence, ils tournaient l’interrupteur et ça envoyait le son d’un cri dans l’avion du pilote de chasse allemand et il ne pouvait pas écouter. Alors ils devaient changer de canal. Et ces gars étaient tous, pas tous, mais une bonne partie d’entre eux étaient juifs ou allemands. Il y avait deux canadiens et comme je l’ai dit, ils tournaient avec les équipages ; on les appelait des opérateurs de service spécial. Et le système s’appelait ABC, le Cigare Aérien c’était son nom.

On a été attaqués par en-dessous. C’était la tactique préférée des allemands, venir se placer en dessous de vous à basse altitude, très basse, et ils remontaient juste en dessous de votre avion. Et ils avaient un canon qui tirait vers le haut dans le Junker 88, et tout ce qu’il avait à faire c’est de se positionner en dessous de vous, ce qui fait qu’on ne pouvait pas le voir, on n’avait pas de système pour voir sous l’avion, et il avait juste à tirer et ça rentrait en plein dans le ventre de l’avion. Dès qu’il a dit barrez-vous, je suis allé vers la porte arrière et je l’ai ouverte, j’ai allumé la lampe du fuselage et l’opérateur radio, il est arrivé derrière moi et le mitrailleur avait des problèmes pour sortir de la tourelle arrière. Alors j’y suis allé pour l’attraper, il était petit, et je l’ai tiré de là. Et alors tous les trois on se tenait là et l’avion chutait gentiment, en brûlant de tous les feux de l’enfer et moi je dis au seul gars qui était marié, je lui ai dit : « Après toi. » Et il répond : « Non, après toi. » Et tous les trois, on était là comme des idiots à se faire des politesses, après toi non je n’en ferai rien, comme dans Alphonse et Gaston, vous savez.

Finalement, j’ai poussé le petit gars, le mitrailleur arrière, dehors et puis le gars qui suivait et finalement je suis sorti. On est tous, tout le monde est sorti, sans une égratignure. On m’a fait voir un médecin allemand et il m’a demandé si j’avais la moindre blessure ou quoi que ce soit. J’ai dit non. Et puis comme j’étais un jeune homme très sociable, je leur ai offert des cigarettes, et ils ont trouvé ça merveilleux. Ces cigarettes-là c’était des Kool. C’était des mentholées et ils ont tous allumé leur cigarette et ils se sont un peu étouffés et puis le major a dit : « Oh sehr gut ! Sehr gut ! » [Elles sont bonnes] Et le petit gros m’a offert un verre de brandy. Et puis ils m’ont laissé et m’ont mis dans un long dortoir du corps des sapeurs allemands et je suis allé au lit. C’était ça la nuit où mon avion s’est fait descendre.

Et puis on est venu me chercher ce jour-là et on m’a emmené dans un aérodrome allemand et on m’a remis aux mains de la Luftwaffe officiellement. Une chose dans ma cellule, quand je suis arrivé là-bas au petit matin, tout à coup, quelque chose est entré par la fenêtre et c’était une cigarette roulée à la main. Alors je suis allé voir et j’ai regardé et ces pauvres prisonniers travailleurs russes, vêtus de haillons, et pourtant ils m’avaient envoyé une cigarette, vous savez, et ils n’avaient absolument rien de rien.

On était cinq à peu près de mon équipage. On nous a emmenés au Dulag Luft à Frankfort-am-Main. C’est là que se trouvait le centre d’interrogation des prisonniers le l’armée de l’air. Il savait que je venais de Toronto, il connaissait les noms de mon père et de ma mère et où j’étais allé à l’école et… Les allemands s’étaient arrangés avec les ambassades amies pour avoir les journaux de, disons, Toronto, tous les jours ils étaient collectés pour être finalement envoyés outre-mer au Portugal et transitaient par l’Espagne et ils remontaient jusqu’à l’Allemagne. Et donc quand j’ai reçu mon diplôme de mitrailleur de bord, c’est une habitude de mettre votre photo dans le journal local pour l’occasion. Et la mienne disait : fils de Frank Boyd, Mabel Boyd, vous savez, avec l’adresse à Toronto. Et c’est là qu’ils avaient trouvé l’information. Mais ça montre, malgré tout, à quel point ils étaient méthodique dans la recherche de renseignements en général.