Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Ça* expirait tous les 90 jours, et ils le renégociaient. Et alors vous étiez là en train d’attendre et tout le monde était en état d’alerte maximum comme ils disaient, on était complètement prêts, parce qu’ils se terminaient toujours à minuit. Or, pourquoi ça se passait, je ne sais pas, c’était comme l’heure du crime d’une certaine façon. Mais il y a eu un certain nombre de fois comme ça et une fois, les Chinois menaçaient une fois de plus de traverser la ligne** et on était en plein sur la ligne. Et notre défense c’était de nous rendre de l’autre côté d’un pont et de former une ligne défensive, qui était déjà creusée et préparée. Ça s’appelle, et ça s’appelait un « bug out »,*** et il fallait partir. Bon, étant dans la police militaire, notre travail c’était d’être le dernier véhicule pour nous assurer que personne n’était en panne ou abandonné sur le bord de la route. Alors avec mon partenaire on était dans le dernier véhicule et bien sûr, on était assez tendus, on était tout simplement vraiment jeunes et vous pouviez entendre les Chinois qui avaient tous leurs chars et tout le reste qui avançait, et la nuit, le son porte.
Et vous êtes tout près, vous êtes à seulement un demi kilomètre de distance et vous pouvez entendre tous ces trucs qui bougent et autre et tout le monde qui dit : « Ça va arriver, ça va arriver. » Et tout le monde est en train de repartir. Bon, c’est la nuit, alors vous ne pouvez pas vous servir des phares et au moment où ils sont tous partis sur la route, on parle d’un bataillon au complet, un groupe de 1200 soldats, tous ces véhicules, la poussière, vous n’y voyez pas grand-chose, c’est comme un épais brouillard. Et on s’arrachait les cheveux en essayant de repartir et mon copain, qui est au volant, sort de la route. Donc il est maintenant 11h50 et on essaye de remettre ce véhicule sur la route et on descend la colline à grand bruit et il est quelque chose comme 12h05 et ils sont censé faire sauter le pont à minuit, et on hurle : « Ne le faites pas sauter, ne le faites pas sauter ! » Et ils ont décidé que ça ne se produirait pas, mais autrement, on aurait été du mauvais côté de la rivière.
Et pendant les moussons, on mettait en place ce qu’ils appelaient une astreinte sur la route. Les seuls véhicules qui avaient le droit de circuler étaient les camions de munitions qui allaient sur le front et les seuls autorisés sur le chemin du retour étaient les ambulances et ce genre de véhicules qui rentraient. Mais le jour où on a arrêté en fait, il pleuvait des cordes, vous êtes debout dans la boue qui vous monte jusqu’à la moitié de votre, parce que les routes sont justes creusées dans le flanc des collines et ça ressemble à de l’argile rouge, c’est glissant, et vous dérapez là dessus. Et les véhicules font à peine du cinq km/heure. Bon, ce véhicule de trois quart de tonnes s’est amené et il y avait cet Afro-américain qui le conduisait, alors on a dit : « Mais bon sang qu’est-ce que tu fais sur la route ? » Parce qu’il fallait la signature d’un colonel ou d’un brigadier général pour autoriser un véhicule à emprunter cette route. Et il répond : « Je suis celui qui répand la bonne humeur. » Et on a dit : « Tu es quoi ? » Il a répondu : « Ce camion est rempli de glaces et je les apporte à la 6ème division de la marine américaine. » Mais pour ce faire il fallait qu’il traverse nos lignes et en fait il avait reçu la signature d’un général de brigade pour qu’il apporte ces crèmes glacées à ses troupes.
C’était terrible de regarder ces gens, la pauvreté. Un des premiers boulots qu’on m’a confié en Corée, et c’est un souvenir que j’ai gardé en mémoire, c’était d’empêcher fusil au poing les femmes et les enfants d’accéder aux décharges. Parce qu’ils se faisaient tuer et écraser sous les camions quand ils vidaient leurs bennes de nourriture à décharge et eux ils fonçaient pour essayer de récupérer tout ça et ils se faisaient piéger en dessous. Alors en fait on devait les empêcher d’approcher avec nos fusils. Et vous pensez à la faim et aux privations. Et quand vous avez 18 ans, c’est un souvenir qui reste à vie, oui.
Ma mère et mes sœurs et toute ma famille m’envoyaient régulièrement des colis de vêtements d’enfants et de jouets. Et je partais faire ma tournée de Père Noël dans les villages avoisinants. Mais c’était sympa de voir les enfants recevoir des t-shirts et des pulls et juste de la nourriture. Et on ne jetait jamais rien. Si on avait des rations par exemple, si on n’aimait pas le ragoût aux haricots secs, et bien quoi ? Quelqu’un va le manger ça, alors on ne le jetait pas. Et on prenait les conserves et on les gardait. Je pense qu’on n’avait pas vraiment le droit de faire ça mais…
On avait l’habitude de capturer les gens qui s’infiltraient. Ils envoyaient des gens de l’autre côté pour essayer de s’infiltrer dans notre secteur. Et on avait aussi dû instituer un couvre-feu. Du coucher au lever du soleil, aucun civil n’avait le droit d’être sur les routes. Parce qu’on ne faisait pas la différence entre un Nord-coréen et un Sud-coréen. Et on avait même des chiens, on avait des gens avec des chiens pour les pister mais les chiens ne faisaient pas la différence non plus. Et les gens n’avaient pas de papiers d’identité. On avait un interprète avec nous mais la plupart d’entre eux, il y a eu tellement de gens déplacés pendant la guerre de Corée, il faut vous rappeler qu’il y a eu huit millions de gens qui ont fui le nord pour partir au sud et où sont-ils allés, il n’y avait pas de services sociaux comme on en a ici. Et en plus il y avait tout ce remue-ménage pour les gens dans le sud, alors vous aviez virtuellement des millions de gens qui vagabondaient dans tous les coins et qui mendiaient de la nourriture ou cambriolaient ou essayaient de voler de quoi nourrir leurs familles. On avait beaucoup de problèmes avec eux.
On avait les champs de mines, ils étaient marqués et c’était illégal de couper des arbres en Corée, parce qu’il y avait très peu de bois. Et ce qu’ils faisaient, ils faisaient un petit brasier sous le plancher de leurs petites cabanes pour se chauffer ou faire à manger. Bon, ils suivaient les combats en cours, quand l’artillerie tirait une fois et faisait sauter un arbre, et ils se précipitaient pour récupérer tout le bois. Et avec la carcasse de l’obus, la douille, ils la prenaient et ils en faisaient des cendriers ou d’autres choses. Je veux dire, c’était des gens très ingénieux. Et puis ils allaient dans le, ils voyaient du bois dans le champ de mines et bien sûr, ils y allaient et bien sûr, boum et il fallait qu’on surveille ça aussi.
Il y avait la police militaire qui était indépendante. Il y avait la police militaire divisionnaire et la police militaire de brigade. Nous on était attachés à l’infanterie, donc on mangeait la même nourriture, on vivait dans les mêmes conditions difficiles et tout et vous avez plutôt intérêt à faire ça parce qu’on n’était que cinq. Et ils sont 1200, et nous on n’est que cinq. Alors ils vous dépassent nettement en nombre. Et c’était la même chose avec le régiment aéroporté.^ Il y avait 1200 soldats dans ce groupe de combat et leur condition physique était excellente et nous n’étions que cinq. Et au Canada, vous ne portez pas d’arme. Donc si vous avez un problème, il faut vous en occuper. Et il vaut mieux pour vous savoir vous sortir d’une situation difficile. Alors c’est parce que vous partagez leur mode de vie si vous voulez, vous faites face aux mêmes difficultés, mangez la même nourriture, vous êtes aussi fatigué qu’eux et pour tout vous êtes logés à la même enseigne, ça vous permet de, c’est plus facile de maintenir l’ordre.
Ils connaissent les règles. Assez surprenant mais le soldat de base, on lui enseigne ça. Il sait ce qu’il peut faire et il sait ce qu’il ne peut pas faire. Parce que vous êtes au milieu d’eux et parce que vous ne vous occupez pas des problèmes mineurs. Ces gars savent très bien quand ils ont foiré. On a eu des gars qui venaient, on montait nos tentes, on dormait, le gars venait et disait : « Hé, qui est de garde ? » « Pourquoi ? » « Et bien, je viens juste de casser la gueule à machin et je sais qu’il va me dénoncer alors j’ai pensé que je pouvais vous éviter le déplacement. » Donc on avait notre petite tente, c’était notre petite salle de garde et on disait : « D’accord, tu es en état d’arrêt. » et on le gardait là jusqu’à ce qu’on ait débrouillé toute l’histoire et ensuite on l’emmenait à la comparution des délinquants. Et on devait accompagner tous les accusés.
Et ils appelaient ça un accusé sous escorte et le mouchard, qui que ce soit qui donnait la preuve. Et on se mettait en file à l’extérieur de la tente du commandant de la compagnie ou la tente du colonel et escorter et aller dedans et bien sûr, pour montrer qu’il est en disgrâce, il n’a pas le droit de porter son couvre-chef ou son ceinturon. Et alors il entre au pas et : « Accusé sous escorte, halte », et ensuite ils lisaient le chef d’accusation et, « Comment plaidez vous, coupable ou non coupable ? » Et s’il plaidait non coupable, ils regardaient les preuves, les témoins ou autre et s’il y a un rapport écrit. Et puis il recevait une peine de 10 jours de travaux supplémentaires et d’exercices, ou 30 jours de détention dans la prison militaire, qui était à Séoul. Et c’était très dur. Et ils le faisaient exprès pour que vous fassiez de préférence votre travail de soldat au front plutôt que de retourner à…
C’est un système assez bizarre. Mais ça aide à la construction d’un esprit de corps. Je tombe sur des gens de Corée que je connais et nous sommes toujours amis. Ce genre d’expérience vous donne des liens d’amitié particuliers je suppose, vous savez.
*L’accord d’Armistice de la guerre de Corée signé le 27 juillet 1953
**Qui marque la zone de démarcation entre le Corée du Nord et la Corée du Sud qui était placée le long du 38ème parallèle
***S’en aller d’une zone menacée
^Frank Smyth a continué en servant dans le régiment aéroporté canadien