Nous sommes arrivés en Égypte en 1942, juste avant Noël, et nous ne savions pas vraiment qu’il s’agirait de la bataille d’El-Alamein. Nous savions que les choses prenaient beaucoup d’ampleur dans certaines zones, qu’avec des troupes d’un million d’hommes et dans ce désert, il se préparait sûrement quelque chose. Pour notre part, eh bien, nous faisions partie de ce qu’on appelait la E&M Company, c’est-à-dire la compagnie d’électromécanique, et nous étions évidemment chargés de préparer tous les équipements et d’assurer le fonctionnement de tout le matériel nécessaire. Mais sans être informés le moins du moins de monde de ce qui se passerait et de l’ampleur de l’opération.
En débarquant du navire, sur le quai et avec tout notre matériel empilé sur les berges du canal de Suez, j’ai pensé à me dénicher un hamac plutôt que de dormir dans le désert. Alors j’ai installé mon hamac entre deux boîtes et tout allait bien jusqu’à une heure du matin. Mais il s’est mis à faire si froid, et l’air qui soufflait sous mon hamac était si glacial, que c’était devenu insupportable. Je me suis donc résigné à aller dormir dans le désert, et nous formions une sorte de camp de Hussards. Tout le monde dormait sous une bâche, en plein désert et sans vrais lits.
Nous avions en fait des paillasses, comme on les appelait, de grands sacs remplis de paille sur lesquels on dormait quand on pouvait en trouver. Sinon, on s’allongeait sur une bâche en caoutchouc, directement sur le sable.
Nous fabriquions des chars factices en carton et les transportions d’une zone à l’autre. Je ne sais si vous avez des données historiques là-dessus, mais la Dépression du Qattara se trouvait à 35 ou 40 kilomètres de la Méditerranée. Et quand les Allemands ont approché d’El-Alamein, ils se sont retrouvés coincés dans cette zone restreinte. Et ils n’avaient aucune idée d’où viendrait l’attaque, de la Méditerranée côté nord ou de la Dépression du Qattara côté sud.
Mais ils savaient qu’une attaque se préparait et tentaient d’évaluer la force des bataillons. Les plus forts étaient les régiments australiens et néo-zélandais, mais on les déplaçait d’un côté à l’autre, du sud au nord et du nord au sud. Nous avons disposé des chars dans certaines zones où il n’y aurait pas de troupes, et l’aviation allemande les survolait évidemment pour prendre des photos aériennes, essayant de déterminer exactement d’où viendrait l’attaque. Mais elle ne pouvait en être sûre car nous nous bougions constamment.
Bien entendu, nous ne pouvions pas vraiment visualiser les tactiques et leur raison d’être. Évidemment, le général Montgomery le savait mais il se gardait bien de révéler quoi que ce soit. Nous devions simplement obéir aux ordres. Et on se demandait pourquoi nous devions sans cesse nous déplacer. Et pourquoi revenir ainsi sur nos pas… Avait-il la moindre idée de ce qu’il faisait ? Et toutes ces questions nous traversaient l’esprit sans que nous puissions y réponse.
Une fois lancée la bataille d’el-Alamein, nous avions pour tâche de mettre en place toutes les installations, de préparer l’équipement de pompage et de déminer les champs pour les troupes de première ligne. Puis nous avons pénétré dans le désert et le premier arrêt, bien sûr, c’était à Capuzzo et à Tobruk. Et à Tobruk, tout avait été détruit et notre tâche consistait à réparer le matériel et à pomper l’essence des grands réservoirs de stockage construits par les Italiens. Ces réservoirs en béton étaient enfouis dans le sable et il y en avait quelques-uns à Tobruk. Et sous ces réservoirs qui contenaient chacun un million de gallons d’essence, il y avait des cavernes creusées et c’est pourquoi on nous a baptisés les rats du désert, car nous sortions de ces cavernes pendant la nuit pour pomper l’essence de ces gros réservoirs.
Et nous pouvions entendre les charges d’explosifs et les tirs. Je crois qu’il y avait au départ 900 ou 1 000 canons qui tiraient sur les lignes allemandes. Et nous les entendions à des kilomètres de distance, d’aussi loin que 30 ou 40 kilomètres d’où nous nous trouvions à l’arrière. On les entendait même jusqu’à Alexandrie, à 100 kilomètres de là. Et nous savions que ça y était, que c’était lancé pour de bon.
Nous étions en plein désert depuis déjà un bout de temps, et nous nous disions qu’avec tout ce que nous vivions et tout ce qui se passait, ce serait formidable de rentrer à la maison au plus tôt, mais que ça n’arriverait jamais. Alors j’ai décidé, moi et tous les autres gars, nous nous sommes tous dit qu’on ne reverrait jamais notre pays et qu’on s’en fichait. Et je crois que cette façon de penser était la bonne...
Car il fallait tout donner pour vaincre les Allemands, point final. Quel que soit le prix à payer, quelle que soit la méthode, ça devait se faire et nous nous fichions de tout le reste.
Alors oui, nous étions tous heureux de voir la guerre se terminer. C’était chose faite... Mais en réalité, quand nous avons atterri à Toulon, je me disais qu’enfin, je rentrerais bientôt à la maison. Mais j’ai dû attendre encore un peu. Et lorsque je suis finalement rentré en Angleterre, nous avons évidemment compris qu’il y avait d’autres problèmes à résoudre. C’est-à-dire que je m’étais marié en 1942, avant de partir outre-mer. Pauline et moi nous étions mariés à New York en 1942, juste avant mon départ en avril. Alors, j’étais de retour et je devais maintenant subvenir à nos besoins. Or le travail était rare et la nourriture encore rationnée. On ne pouvait trouver un logement et la situation était franchement déprimante. Si bien que nous rentrions à la maison sans avoir rien devant nous. Et c’était le côté plus sombre des choses.
Avec le recul et après avoir émigré au Canada, je me suis dit que toutes les forces alliées, tous ces gens et ces soldats qui ont participé à la guerre et ont émigré dans ce pays, devraient être considérés comme des anciens combattants. Non seulement par le Canada mais aussi par la Grande-Bretagne, et inversement. Parce que nous n’avons pas seulement combattu pour la Grande-Bretagne mais aussi pour le monde entier...