Project Mémoire

George Brewster

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Quoi, m’est-il arrivé de me retrouver en face de l’ennemi ? Oh oui ; oh oui, immédiatement. C’était des acharnés, c’était tous les jours. J’ai perdu mon camarade de chambre, j’ai perdu mon chef d’escadrille quand on a conduit une attaque sur un train. Il a été soufflé en plein ciel juste à côté de moi. C’était très brutal. Et je me faisais souvent secouer par des tirs de DCA (défense antiaérienne allemande), vous savez. Il y avait des morceaux qui passaient à travers et quelqu’un était descendu. La puissance de feu était féroce et les Allemands se sont battus plus durement pendant les derniers mois de la guerre qu’ils ne l’avaient fait avant parce qu’ils étaient sur leur propre territoire et ils étaient déterminés à nous en chasser. Les pertes étaient très élevées à ce moment-là et beaucoup de gens qui ont combattu dans la bataille d’Angleterre (1940) ou en Afrique du Nord ou à Malte (1941-1943) ils disaient que pour eux ça a été le pire moment, bien pire en fait. J’espérais pouvoir m’engager dans des combats aériens, mais la plupart de mes cibles c’était des trucs comme faire sauter des trains et il y avait toujours beaucoup de canons antiaériens dessus et faire sauter des chars, un travail très difficile parce que le Spitfire (le Supermarine Spitfire, un avion de chasse monoplace anglais) n’était pas fait pour ça. Donc il fallait que je descende tout près et oui, parfois c’était, oui, on a perdu beaucoup de gens. Et aussi on volait deux ou trois fois par jour. Alors pour finir, même si je n’ai passé qu’un moment assez court là-bas (vers la fin de la guerre au printemps 1945), j’ai comptabilisé quand même pas mal d’heures de combat, vous savez, si on considère le peu de temps que j’ai passé là-bas, c’était incroyable. Oui, parce que j’ai effectué de très nombreux vols. Comme la plupart du temps la météo était plutôt bonne, ça faisait qu’on volait beaucoup. Alors vous grimpiez là-haut, vous redescendiez, refaisiez le plein et retour dans le ciel. Et on ne faisait que, on les poursuivait. Oui, on faisait partie de la Deuxième force aérienne tactique (l’une des trois forces aériennes tactiques de la RAF). La force stratégique c’était un plus long, c’était les bombardiers et les cibles les plus lointaines à atteindre et la force tactique son rôle c’était plus de faire le nettoyage et de s’occuper, vous savez, quand il y avait des poches de résistance et autres, on les attaquait (les cibles au sol). Et on descendait très bas, juste au ras de la cime des arbres et on essayait de les faire sauter, on larguait des bombes sur eux. On transportait une bombe de 500 livres ou deux de 250. Et on avait aussi des mitrailleuses et côté canon, on avait deux canons. Et j’ai eu un char (allemand), je me souviens de mon premier char, j’ai détruit les chenilles et puis j’y suis retourné et j’ai terminé le travail. Mais ce n’était pas un travail facile. Bon, on ne voyait pas large comme les gens de la force stratégique. Nous, c’était la vision limitée à une cible très concentrée comme par exemple, le train, l’attaque au cours de laquelle mon chef d’escadrille a trouvé la mort, on a viré et on a changé de direction pour entrer dans l’action et je suis passé en dessous de lui pour me retrouver de l’autre côté et éviter de me prendre les tirs de DCA qui l’auraient manqué lui. Il a été touché et il a été mis en pièce juste à côté de moi et je suis descendu et ça m’a mis très (…), j’ai perdu mon calme et je me sentais frustré, j’ai bien failli m’écraser dans la locomotive. Dans les dernières images prises par la caméra (caméra de combat installée dans l’appareil qui se mettait en marche, la plupart du temps quand on tirait sur la gâchette), je pense que je les ai encore, la cheminée prend tout l’écran et vous pouvez voir la fumée et la vapeur et tout ce qui en sortait. Et puis j’y suis retourné, car toutes les trois voitures ou quelque chose comme ça il y avait un wagon plat et une batterie de canons dessus à chaque extrémité du wagon et puis il y avait deux autres wagons de passagers avec. Et il s’est avéré qu’ils étaient pleins de soldats qui sont sortis et ont commencé à tirer avec des mitrailleuses et ensuite il y avait un autre wagon plat et je crois qu’il y avait trois wagons plats avec les mêmes canons. Et ça fait six batteries, toutes en train de tirer en même temps et c’était des, je dirais, des 40mm (de calibre), mais bon ça faisait une puissance de feu bien supérieure à la mienne, bien plus. Mais alors je suis descendu et j’ai détruit les canons qui étaient là dessus. Je me souviens qu’après, je me souviens à peine avoir fait ça parce que j’étais, c’était un mélange de colère. C’est comme quand les gars ont attaqué, j’ai juste, je suppose que c’était comme la répétition en un sens, c’est que je ne voyais pas du tout comment j’allais pouvoir m’en sortir alors je me suis jeté dedans à fond. Et c’est tout ce qui s’est passé. Et en tout cas, on a détruit le train et c’était fini. Bon, quelquefois c’était vraiment triste parce que les gars, je, il y avait des gars qui étaient tués. Et parfois, une fois ça a été mon compagnon de chambre et il a fallu que j’écrive une lettre à sa femme et ça m’a brisé le cœur parce que c’était le gars le plus gentil, et je le connaissais depuis longtemps. Et parfois je sortais et j’avais la nausée vraiment mal au cœur à cause de ça et je descendais du cockpit et j’allais vomir vers la queue de l'avion. Alors je n’étais pas vraiment fait pour me battre, je pense. Je ne pense pas que c’était moi. Je ne sais pas s’il existe des gens faits pour ça, mais moi j’avais le cœur trop tendre.