Project Mémoire

George Knowles (Source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

George Knowles a servi dans la Force aérienne royale pendant la Deuxième Guerre mondiale. Vous pouvez lire et écouter son témoignage ci-dessous.

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

George Knowles
George Knowles
George Knowles en 1945.
George Knowles
George Knowles
George Knowles
George Knowles devant un <em>Mosquito Fighter Bomber</em> en 1943.
George Knowles
George Knowles
George Knowles
Plaque de retraite de George Knowles qui lui a été donnée en 1973.
George Knowles
George Knowles
George Knowles
Livret de service de la RCAF de George Knowles remis en 1946.
George Knowles
George Knowles
George Knowles
Certificat de service de George Knowles.
George Knowles
Je me souviens du moment où j’ai touché l’eau et j’ai été sonné pendant quelques secondes. En quelques minutes, j’ai senti l’eau froide de la mer du Nord m’engourdir. Le temps de survie était très court. Même au mois de juin, l’eau était gelée.

Transcription

Soixante-sept ans plus tard, il suffit d’un petit incident pour vous rafraîchir la mémoire. Tout récemment je faisais des courses à Costco à Edmonton et en marchant dans le rayon nautique, j’ai vu le gilet flotteur qui marchait avec une bouteille d’air comprimé pour le gonfler. Il ressemblait au gilet bouée Mae West qu’on utilisait à bord de notre appareil pendant la Deuxième Guerre mondiale. J’étais dans la RAF et mitrailleur de bord sur les hydravions Catalina, 202ème escadron, commandement côtier, Gibraltar.

J’ai regardé ce gilet pendant un moment et la question me tournait dans la tête – est-ce que je pouvais être sûr qu’il se gonflerait en cas de besoin? Même s’il était sans aucun doute parfaitement sécuritaire. Cependant, dans mon esprit pas moyen d’éliminer le fait qu’il risquait de ne pas fonctionner. J’ai quatre-vingt-sept ans et je fais encore de temps en temps de la pêche à la mouche, j’ai un petit bateau ponton juste pour la pêche à la truite. Évidemment, je ne l’utilise que dans des eaux très abritées et je me sers toujours d’un gilet de sauvetage standard. Je n’arrivais pas à acheter celui qui fonctionne avec une bouteille d’air comprimé.

Juin 1943. Unité d’entrainement opérationnelle, Invergordon, nord de l’Écosse. On était un nouvel équipage et pendant la première semaine, on avait des instructeurs avec nous pour les vols d’entrainement quotidiens. Ce jour-là, pour la première fois, on était seuls. Notre appareil était amarré dans l’estuaire de la Moray. La chaloupe nous a emmenés jusqu’à notre appareil puis elle est repartie. Le moment est venu de faire démarrer les moteurs, un problème. Le solénoïde du moteur gauche ne marchait pas. Il fallait faire démarrer le moteur à la main. Ce qui voulait dire que moi je devais escalader l’aile gauche, m’allonger le long du capot, puis ouvrir le petit panneau pour arriver jusqu’au levier qui actionnait le mécanisme.

L’eau clapotait assez fort à ce moment-là et défaire les goujons sur le panneau a pris du temps. Je portais un blouson d’aviateur en cuir et un pantalon, un gilet Mae West, un casque et des lunettes. Et tout aussi bien, comme j’avais la tête pas très loin de l’énorme quantité de gaz d’échappement au démarrage du moteur, le mécanicien de bord m’a donné plein de temps pour me préparer. Dès que j’ai entendu le vrombissement du générateur, les instructions c’était de compter jusqu’à quinze. À ce moment-là, il aurait atteint son régime maximum, puis tirer sur le levier brusquement et zoum, le moteur a démarré dans un rugissement.

En travaillant aussi près des tuyaux d’échappement, il fallait faire attention. La fermeture du panneau a fait naitre un nouveau problème. Trois des quatre goujons se fermèrent sans problème, mais le quatrième avait décidé de ne pas se fermer. J’avais terminé le boulot et commençais à escalader l’aile pour en descendre quand j’ai remarqué qu’on s’était détaché du mouillage et qu’on partait dans l’estuaire de la Moray, notre appareil prenant de la vitesse et le régime des réacteurs qui augmentait en même temps. À ce moment-là j’avais réussi à descendre de l’aile et je me tenais en haut du fuselage. On n’allait pas vraiment à toute pompe et l’écoulement des énormes réacteurs commençait à m’épuiser.

Sur le bas de l’aile, il y avait deux poignées rétractables que j’ai réussi à déplier et je m’y suis accroché. À ce moment-là on se dirigeait vers l’endroit où le skipper allait prendre le vent pour décoller. Ma première pensée a été, est-ce qu’ils m’ont oublié? Et là j’ai remarqué que les deux énormes bulles sur le côté de l’appareil étaient fermées. C’était mon seul moyen d’accéder à l’intérieur. Je n’aurais pas pu lâcher les poignées, car à ce moment-là, l’écoulement des filets d’eau était assez fort pour m’emporter dans l’eau.

Or, je commençais à paniquer un tantinet et je me sentais bien seul. J’ai commencé à frapper sur le haut du fuselage avec mes bottes, mais rien ne pouvait surpasser le bruit de ces deux moteurs Pratt & Whitney Twin Wasp à cylindres en étoile. On allait désormais à une telle allure que je ne pouvais plus tenir. La dernière chose dont je me souvienne c’était mon pouce accroché à la sangle qui actionnait la bouteille d’air comprimé sur le gilet de sauvetage Mae West. Je me souviens du moment où j’ai touché l’eau et j’ai été sonné pendant quelques secondes. En quelques minutes, j’ai senti l’eau froide de la mer du Nord m’engourdir. Le temps de survie était très court. Même au mois de juin, l’eau était gelée. Oui, vous vous en doutiez. La bouteille d’air comprimé n’a pas fonctionné. Ce qui m’a sauvé c’était l’oreiller en kapok derrière ma tête. Il m’a aidé à garder la tête hors de l’eau. Il était indépendant de la partie gonflable du gilet de sauvetage.

La nage était impossible avec tous ces vêtements. Tout ce que je pouvais faire c’était juste de faire du sur-place. Soudain, venant de nulle part, une chaloupe de la RAF est arrivée en hurlant dans ma direction et j’ai été extirpé de l’eau, on m’a enlevé mes vêtements d’aviateur et enroulé dans des couvertures et en route pour la base aérienne. J’avais remarqué précédemment qu’un vieux cargo transportant du charbon, le King Cole, était ancré en plein milieu de l’estuaire de la Moray. Apparemment deux de ces membres d’équipage regardaient tout ceci, l’un d’eux avait des jumelles d’observation. Ils m’avaient vu être éjecté du dessus de l’appareil et avaient envoyé deux fusées de détresse. Notre chaloupe avait immédiatement répondu et s’était précipitée vers le cargo. Pendant que l’un des membres d’équipage me surveillait avec les jumelles, l’autre s’occupait de guider la chaloupe jusqu’à moi.

Ils n’ont pas perdu de temps en me sortant de l’eau. Merci de tout cœur au King Cole. Car sans la rapidité d’action de ces membres d’équipage, cette histoire se serait terminée différemment. Mon expérience d’aviateur aurait été terminée avant même d’avoir commencé. Trois jours plus tard, j’étais à nouveau en service, sans accroc. Or, vous comprenez sans doute pourquoi je ne pouvais pas acheter ce gilet de sauvetage à Costco. Je suppose qu’il y a des choses très personnelles à propos de la Deuxième Guerre mondiale qu’on n’oublie jamais.