En fait, on m’a envoyé faire ma formation d’officier à Brockville, Ontario, en 1941 je pense. Après ça, j’ai commencé une longue période d’entraînement dans des centres comme Saint-Jean [sur-Richelieu], Québec, Farnham, Québec, Huntingdon, Québec, etc. Je ne suis pas allé outre-mer avant l’automne 1944.
Oui, j’ai vécu tout ça, d’abord l’Angleterre pendant un bon bout de temps, puis la Hollande et l’Allemagne. Je pense que la compagnie dont je faisais partie avait à sa tête un commandant du nom de major [Frederick Albert] Tilson. Ce qui est sûr, c’est qu’il m’a appris des choses que je n’avais jamais entendues aupavavant, notamment que vous deviez toujours montrer que vous n’aviez pas peur. Il se promenait en pleine bataille au milieu des tirs comme s’il était à un pique-nique. Pendant l’entraînement, on nous avait appris à toujours rester à couvert. Lui il nous disait : « ne faites pas ça, ça a l’air complètement ridicule vous savez, c’est lâche ». Donc nous, les officiers, on devait se lever, circuler, être courageux, et ainsi de suite. Il a instillé ça en nous.
On a fini dans la guerre des tranchées. Et là je me suis vraiment trouvé dans une situation dont je ne suis pas fier de parler. Nous étions dans une tranchée avec en face d’autres soldats dans la tranchée opposée. Dans notre tranchée, on était avec des soldats arrivés tout tout récemment. Je me souviens qu’à un moment donné on m’a ordonné de faire passer le peloton dans une autre tranchée, ce n’était pas le commandant de la compagnie qui me le demandait, mais le capitaine qui était en charge en même temps que lui. Mais c’était complètement ridicule de faire ça. Je ne comprenais pas pourquoi on nous demandait de faire une chose pareille. Vous voyez, une tranchée faisant face à une autre et on devait aller dans une tranchée de côté, y descendre pour rencontrer les autres et se faire tirer dessus. Ça me semblait complètement ridicule, mais c’était un ordre, donc on devait le faire. Je cherchais un moyen d’éviter à avoir à faire ça.
Mais ce qui a fini par arriver, c’est qu’en plus des bombardements incessants, on nous lançait plein de grenades et l’une d’elle m’a touché à la jambe et a explosée. Et je me suis servi de ça pour dire « ça suffit comme ça, on retourne dans la tranchée d’où on vient ». Parce qu’on avançait sans savoir où on allait, ni combien d’Allemands étaient devant nous. Certains ont considéré ma décision, y compris le major Tilson j’ai l’impression, comme un acte de lâcheté. Quand je l’ai rencontré plus tard, j’ai trouvé qu’il était, il est possible que je me trompe, mais j’ai trouvé qu’il m’évitait, peut-être parce qu’il n’approuvait pas la manière dont je m’étais conduit. Ça c’est une chose qui me perturbe jusqu’à ce jour. Quand on m’a dit de prendre ce peloton et de le mener d’une tranchée à l’autre, ce n’était pas juste pour moi, c’était pour tout le peloton que j’ai décidé en chemin que je trouverai n’importe quelle excuse pour ne pas avoir à le faire. Et c’est ce que j’ai fait.
Mais la guerre, c’est souvent comme ça, il faut se sacrifier, très souvent. Je pense que je n’étais pas préparé à ça. Même maintenant, je ne serais pas préparé. J’essaie d’être direct et honnête dans ce que je dis mais je ne pense pas avoir été un soldat particulièrement courageux ou quelque chose de ce genre. Mais je pense qu’il était important de penser au peloton en tant que commandant, pas seulement à soi-même, à tout le peloton, et aux situations dans lesquelles on le mettait.