Je m’appelle Gordon Bannerman et j’ai participé à la Deuxième Guerre mondiale en tant que sergent-major de batterie dans l’armée canadienne.
Rome est tombée le 4 juin 1944 et les Canadiens y sont restés presque jusqu’à la fin du mois. J’étais à Rome le 1er juillet 1944 et je voulais absolument voir le Vatican. Tandis que nous montions les marches, je me disais que ce serait bien d’avoir une photo, et j’ai remarqué deux très jolies Italiennes qui se trouvaient tout près. En mêlant l’anglais et mon italien rudimentaire, je leur ai demandé de se faire photographier avec moi. Nous étions de purs inconnus et 10 secondes plus tard, elles étaient parties et je ne les ai jamais revues.
Nous avons repris le combat en août, sur la ligne gothique. Et les bombes d’artillerie pleuvaient de partout autour d’une région appelée Montemaggiorre. Ils venaient d’isoler la vallée avec des centaines de mortiers. Mais nous avons survécu un jour ou deux, jusqu’à ce qu’un immense canon sur rails se mette à tirer sur Montemaggiore et qu’un de nos jeunes camarades soit gravement touché avant de succomber à ses blessures. Il s’appelait Scott Coyle et j’ai de lui un souvenir ému parce je m’étais penché sur sa civière pour lui dire « Ne bouge pas, Coyle », et il m’a répondu « Eh, Gordie, j’te reconnais… ». Puis il m’a pris autour du cou et… en fait, le temps d’être transporté dans le camion qui l’emmenait au poste de secours, il avait rendu l’âme.
Dans la nuit du 16 au 17 avril, les Allemands se faisaient refouler d’Appeldorn par la 1re Division et ils ont emprunté une route juste au-dessus de nous en tentant de fuir vers l’ouest des Pays-Bas. Ils étaient à très faible distance et ont avancé vers les tranchées de tir, et certains d’entre nous tiraient sur eux à moins d’un mètre. Le sergent Barkwell s’est redressé pour les attaquer à mains nues. J’étais sergent-major d’une troupe qui a perdu deux hommes, et je crois que nous avons eu une douzaine de blessés. Ils ont tué l’un des nôtres dans une maison et l’un de nos chauffeurs, blessant aussi la plupart des autres chauffeurs. À l’aube est arrivé un tank Churchill qui tirait des mortiers et mitraillait au-dessus de nos têtes. Et dans tout ce boucan est soudainement sorti un auxiliaire allemand qui brandissait un petit drapeau blanc à croix rouge. Eh bien, nous étions heureux de le voir parce qu’il allait s’occuper de ses blessés, et nous lui avons offert une cigarette. Le général Hoffmeister est arrivé dans son véhicule blindé Staghoud et je suis monté à bord pour le conduire jusqu’à notre position. Mais il parlait au Régiment irlandais et lui disait « Vous avez fait un travail extraordinaire hier soir ». Et le régiment lui a répondu comme un seul homme : « C’était ces imbéciles d’artilleurs, qui n’étaient même pas fichus de courir. »
Orme Payne et moi sommes allés à l’école ensemble. Nous jouions au hockey et au base-ball ensemble. Nous nous sommes enrôlés le même jour au même âge de 18 ans. Et aux Pays-Bas, à Autoloos dont je parlais plus tôt, je me demandais ce qui lui était arrivé. J’ai entrepris de traverser le champ et j’ai levé les yeux pour apercevoir quelqu’un qui s’avançait vers moi, et c’était lui. Nous nous sommes retrouvés à mi-chemin et nous sommes exclamés d’une même voix : « Bon Dieu que je suis content de te voir ». Et l’autre type a répété la même phrase à mon intention car il avait entendu dire que j’avais été tué la nuit précédente. De mon côté, j’avais vu sa maison en flammes et je croyais aussi qu’il avait péri.
Ces souvenirs des gars avec qui j’ai combattu ont créé des liens plus forts que ceux qui unissent deux frères.