Gordon Webb (source primaire) | l'Encyclopédie Canadienne

Project Mémoire

Gordon Webb (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

M. Gordon Webb est un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale qui servit dans l'Aviation royale du Canada (ARC) comme pilote de bombardier. Il effectua 72 missions aériennes en territoire ennemi, y compris le raid aérien au-dessus de la ville de Nuremberg en Allemagne dans la nuit du 30 au 31 mars 1944.


Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

Gordon Webb
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L'équipage du bombardier "Pistol Packing Mama" de M. Webb, de gauche à droite: Vic Painter (navigateur); Cy Young (bombardier); George Bova (opérateur radio / mitrailleur); Ed Scarffe (mitrailleur de queue); Gordon Webb (pilote); George Hutchinson (mitrailleur de tourelle supérieure); Johnny Whitehouse (ingénieur de vol).
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La route suive par le bombardier "Pistol Packing Mama" lors du raid sur Nuremberg, dans la nuit du 30 au 31 mars 1944.
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Les médailles de M. Webb, de gauche à droite: Croix du Service distingué dans l'Aviation (avec barrette); Étoile 1939-1945; Étoile d'Europe : Service naviguant (avec barrette France-Allemagne); Médaille de la défense; Médaille canadienne du volontaire; Médaille de la guerre de 1939-1945; Médaille de Corée; Médaille canadienne de service volontaire pour la Corée; Médaille du Service des Nations Unies (Corée);
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M. Gordon Webb effectua 72 missions en territoire ennemi. Ici, le nez de son bombardier surnommé "Pistol Packing Mama".
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Le Projet Mémoire
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M. Gordon Webb, août 2012.
Le Projet Mémoire
Et quand l’équipage était assis dans la salle d’instructions, assis là en train de le regarder, bon sang, ils ne sont pas sérieux ? Et bien si, tout à fait sérieux, et nous voilà en route pour Nuremberg et on a perdu beaucoup d’avions.

Transcription

Bon, premièrement ce raid aérien [au-dessus de la ville de Nuremberg] n’aurait jamais dû avoir lieu. Mais ça va, je veux dire que, vous savez, ils pensaient que c’était une bonne idée. Et parce que le temps était tellement, c’était au mois de mars, il faisait très beau. Et on avait eu des problèmes à Essen deux nuits plus tôt. De fait, ce vol avait été épouvantable et il avait fallu qu’on change un moteur et quelques autres choses. Et alors le 30 au matin, il me semble, je voulais tester ce moteur et quelques autres bricoles ; alors j’ai rassemblé l’équipage et je leur ai dit : « Allons faire un tour en avion. » Et on s’y est pris tôt dans la matinée pour pouvoir être de retour vers midi et on savait qu’avec un temps comme ça, personne ne volerait ce soir-là, c’était presque la pleine lune. Le ciel était clair sur toute l’Europe. Et on est partis et on a fait ce qu’on avait à faire, j’ai vérifié le moteur et tout marchait très bien. On est redescendus juste avant midi, et là bon sang, en approchant de l’aérodrome on a constaté une grande activité alors que l’aérodrome était censé être calme, ça ne me disait rien qui vaille. Et, je pense que Vic a dit : « Bon sang, je n’aime pas ça du tout, je ne crois pas que, je pense qu’on est sur le pont. »

Bon, en tout cas on a roulé et pas de doute, ils étaient bien en train de charger les appareils et ils nous attendaient pour charger des bombes dans le nôtre. Et l’équipage disait, oh ! Ils râlaient un peu parce que la nuit précédente [le raid aérien au-dessus de] Brunswick avait été annulé à cause du temps. Et je leur ai dit : « Écoutez les gars, on ne va nulle part ce soir. » Ils ont répondu qu’ils savaient qu’il était trop tard pour nous de toute façon parce que, vous savez, on n’allait pas décoller juste avant le crépuscule. Et j’ai dit : « Non, pas question. Vous êtes libres cette nuit, vous n’allez nulle part. » Et bien sûr, on était sur la liste. Et quand on a vu la, quand l’équipage a pris connaissance de l’itinéraire. Moi je l’avais déjà vu dans l’après-midi parce que les pilotes et les navigateurs prenaient connaissance de l’itinéraire en premier – jusqu’à Nuremberg, ça fait sacrément loin à l’intérieur de l’Allemagne. Et quand l’équipage était assis dans la salle d’instructions, assis là en train de le regarder, bon sang, ils ne sont pas sérieux ? Et bien si, tout à fait sérieux, et nous voilà en route pour Nuremberg et on a perdu beaucoup d’avions. On a perdu, sur ce trajet de Charleroi [Belgique] à Fulda [Allemagne] 420 kilomètres environ, je pense, on perdait un avion tous les trois kilomètres. Et je les voyais, vous savez, j’ai perdu le compte. En général, je savais exactement où on en était. Mais là, j’ai perdu le compte, outre nos appareils et les mannequins que les Allemands larguaient, je ne sais pas combien on en a perdu. Et en tout cas, on s’en est sortis et on est rentrés. Et on a réalisé à ce moment-là qu’on avait perdu beaucoup de monde.

Et, vous savez, les Allemands étaient plutôt malins. Ils avaient bâti des villes camouflées par ici, et des usines par là et je suis devenu éclaireur. Et c’est pour ça que les éclaireurs ont été créés, pour pouvoir aller là-bas, identifier la cible et la marquer correctement. Et ensuite, la force principale arrivait, si vous étiez toujours en vie après 26 ou 27 bombardements avec la force principale, en général vous étiez bons pour être sélectionnés pour devenir éclaireurs. Or ce n’était pas obligatoire, vous n’étiez pas obligés de le faire, de fait quelqu’un de malin aurait dit non (rires). Mais ils ont envoyé ce gars, Mahaddie, je me souviens très bien de lui, Hamish Mahaddie. Un colonel d’aviation navigateur dans la RAF et il allait d’escadron en escadron et examinait les dossiers et choisissait les gens qu’il voulait intégrer à la force des éclaireurs. Et devinez quoi, on nous a fait venir parce qu’on était les meilleurs à l’époque. On était l’équipage le plus ancien et on était, vous savez, on était vraiment un très bon équipage.

Alors ils m’ont fait venir et Mahaddie, je crois qu’il s’appelait comme ça, il était là avec le commandant, il m’a dit qu’ils voulaient qu’on fasse partie des éclaireurs. Or, c’est un truc volontaire, vous n’êtes pas obligé d’y aller. Et après 26 vols, il ne vous en reste plus que quatre avant d’en avoir terminé. Alors ils m’ont sorti le grand jeu et ils ont demandé ce que j’en pensais. C’est avec des Lancaster.* Et j’ai pensé, ouais pas mal, ça me plairait bien. Et j’ai dit que je ferais mieux d’en parler à mon équipage (rires). Bon, quand j’ai raconté ça à l’équipage, la manière dont je m’y suis pris c’était, bon les gars je viens de nous porter volontaires pour aller dans les éclaireurs (rires). Et j’étais la personne la plus impopulaire qui soit dans la pièce. Mais en tout cas, ils ont accepté et on est partis à l’école des éclaireurs. Mais pour faire partie des éclaireurs il fallait être un équipage de première et beaucoup de gens disent : « Oh ils sont juste partis dans les éclaireurs. » Non, ça ne se passe pas comme ça. Vous devez vraiment être un équipage d’élite et quand vous en êtes là, vous allez dans une école, l’école des éclaireurs avec des Lancaster. Et quand on est arrivés, D.C. Bennett était commandant d’aviation dans les éclaireurs. Et il a dit, on a eu une entrevue avec lui et il nous a regardés comme ça et il nous dit : « Bon, bienvenue dans les éclaireurs si vous arrivez à passer l’étape de l’école. Mais on n’accepte pas la moindre erreur. Les gars, vous faites une seule erreur dans cette école et c’est fini pour vous. Alors, cherchons l’erreur. » (rires)

L’amour propre entre en jeu, vous savez, alors on n’en a pas fait. On a fini la formation, et on s’est retrouvés dans le 405e escadron [ARC] à voler sur des Lancaster avec les éclaireurs. Et c’était vraiment une opération différente pour nous tous et on a perdu beaucoup de gens. Beaucoup de gens ne comprennent pas ce qu’étaient les éclaireurs parce que ça, dans le passé, avant que les éclaireurs existent, les équipages volaient au milieu des tirs de DCA [artillerie antiaérienne] et des chasseurs, vous savez. La tendance naturelle de l’être humain c’est de décamper, juste de s’en aller, on les largue et on fiche le camp. Donc il y avait, les bombes étaient éparpillées et moi je pensais, bon, vous voyez, on n’a pas fait tout ce voyage pour larguer une bombe dans le champ de patates de Frau Schultz. On veut, si on vient jusqu’ici, on va faire ce qui était prévu.

Bon, les éclaireurs ont permis aux équipages de la force principale d’avoir une cible précise. Bon, quand vous venez d’arriver dans l’escadron, lors de vos sept premiers vols vous êtes responsable de l’éclairage. Vous arrivez sept minutes et demie avant le raid aérien et vous illuminez l’endroit, vous éclairez partout. Ensuite, les marqueurs, les marqueurs principaux arrivent et tout dépend du genre de raid en question, ça peut être un « Wanganui »** ou peu importe, la force principale doit attendre ou alors ils sont en route. Les marqueurs réguliers ensuite font leur entrée et ils arrivent à voir la cible, c’est tout illuminé. Et ils peuvent mettre les fusées éclairantes au bon endroit et ensuite les responsables de l’éclairage peuvent repartir et la force principale arrive à son tour. Ensuite les éclaireurs, après les sept premiers voyages vous appartenez à l’un de ces autres groupes. Et vous pouvez, vous conduisez la force principale jusqu’à, vous lancez les fusées éclairantes rouges à droite ou vous tirez les fusées rouges en deçà, ou bombardez les fusées éclairantes vertes sur la droite. Pour leur donner un endroit précis où bombarder, et ça a arrêté le « creep back » comme ils disaient. Et c’était ça le travail des éclaireurs.

Une autre mission des éclaireurs et on ne leur en a pas du tout attribué le mérite – pendant le vol vous empruntez une route particulière. Certains éclaireurs avaient pour tâche de larguer des jalons. Ils laissent tomber ces jalons et la force principale arrive et s’ils les voient ils savent qu’ils sont sur la bonne route. Bon, les Allemands ont très vite compris parce qu’ils savaient que dès que cette fusée éclairante descend, l’éclaireur va revenir pour en placer une autre afin de finir le travail. Alors ils restent juste là à attendre. Et les gars de la force principale, ils ont très vite compris eux aussi. Quand ils voyaient le jalon, ils se déportaient, pour rester à l’écart, et ne pas du tout s’approcher de ce marqueur, tout en restant sur le bon chemin. Alors les gars, les éclaireurs devaient en larguer une autre. Bon sang ! vous savez, c’était plutôt hasardeux (rires). Mais ils le faisaient.

Je voulais simplement que les politiciens, le premier ministre avant tout, et comme je l’ai mentionné, j’ai demandé à McKay*** s’il interviendrait et ce n’était pas pour les gens comme moi que ça m’intéressait, mais pour tous ceux qui n’en sont pas revenus. Tous les Johnny […] et les Clare [...] et tous les autres gars qui n’en sont pas revenus. Il est certain qu’on devrait leur rendre hommage. Ne pensez-vous pas qu’ils répondraient, regardez, ces hommes ont donné leur vie pour une bonne cause. Ils ont fini par ériger un monument en Angleterre [Bomber Command Memorial à Londres, en Angleterre] et c’est très bien. J’étais le premier sur la liste pour aller [à l’inauguration du mémorial], mais je n’ai pas pu y aller. Je suis désolé de n’avoir pas pu, mais je ne pouvais pas. Mais au moins, il y a quelque chose en Angleterre. Ils ont finalement reconnu que […], ce Harris, Harris,^il a fait du bon travail et à quel prix pour sa personne. Parce que je me suis souvent mis à sa place. Quel effet ça vous ferait d’avoir à envoyer tous ces jeunes hommes bombarder l’Allemagne ce soir tout en sachant très bien que la plupart d’entre eux n’en reviendront pas, vous savez. Mais il l’a fait.

 

*Avro Lancaster, un bombardier lourd anglais, quadrimoteur

**Nom de code utilisé par la RAF pour l'un de ses techniques de marquage cible ; « Wanganui » est une ville en Nouvelle-Zélande

***Peter Gordon McKay, le ministre canadien de la Défense au moment de l’enregistrement de l’entrevue

^Maréchal de l’Air Sir Arthur Harris, commandant en chef du Bomber Command de la RAF