J’ai servi dans l’armée canadienne, été formé dans le Génie royal canadien, et puis j’ai été transféré dans le contre-espionnage. Alors j’ai servi avec la 17 Field Security Section et le 2 Field Security Reserve Detachment pour faire du contre sabotage. Parce que j’avais un diplôme universitaire, et aussi parce que j’avais un QI assez élevé je pense, ils avaient marqué POM, officier potentiel, sur mes papiers. Donc quand j’étais à (Camp) Petawawa pour finir ma formation supérieure dans le Génie, je me suis bousillé le doigt pendant une opération de pontage et j’ai dû rester à l’hôpital pendant deux, bon, trois semaines sans doute, pour qu’ils me recousent le doigt et avoir le temps de guérir. Et ceci m’a mis en déphasage avec le groupe dans lequel j’étais. Et l’officier a suggéré, bon, pourquoi n’iriez-vous pas suivre une formation au Collège militaire royal du Canada, Ça fera bonne impression sur vos papiers devant le jury de sélection des officiers. Et la formation en question c’était la 14ème formation guerre et sécurité. Et ça offrait la possibilité de très vite être transféré et de partir outre-mer dans le service canadien des renseignements. Alors que si je restais là pour devenir officier du Génie je devrais passer encore seize mois au Canada. Et j’ai pensé, bon, je vais passer à côté de la guerre si je fais ça. Et alors, bon, pratiquement tous les gens de la classe se sont faits transférer et on est partis tous ensemble outre-mer.
Mais j’ai été affecté à une section pour aller en Normandie, la 17ème section. Chacune de ces sections avait des interlocuteurs qui pouvait parler avec n’importe qui en Europe, alors on en avait deux qui parlaient russes et deux allemands, deux qui parlaient italien et j’étais l’un des deux qui parlaient français. Ces section de sécurité de campagne étaient petites, douze hommes et un officier et alors on vivait plus d’aisance dans nos quartiers que n’importe qui d’autre dans l’armée canadienne.
Pendant qu’on attendait que Calais tombe, les allemands traversaient un par un pour se rendre et je me souviens d’une histoire au sujet d’un jeune soldat allemand, qui avait à peu près le même âge que moi, il ne parlait pas anglais et je ne parlais pas allemand, alors nous avons eu une conversation en français. Et alors que je lui apportais son dîner, il a craqué et s’est mis à pleurer. J’ai demandé, qu’est-ce qui se passe ? Il a répondu, et bien, toutes les choses auxquelles on m’avait dit de croire se sont révélées être fausses, tout est en train de s’écrouler autour de moi et le repas que vous m’avez apporté c’est le meilleur que j’ai eu depuis que la guerre a commencé. Et j’ai dit, bon, c’est seulement ce qu’on mange nous et il n’avait jamais, il n’avait pas vu de pain blanc depuis très longtemps. En tout cas, c’était mon premier contact avec un membre des forces ennemies. Et il était complètement abattu et mortifié par ce qui lui arrivait.
Dans la dernière phase de la guerre, c’était en mars 1945, l’Allemagne a monté une campagne de sabotage et en réponse, le 21ème Groupe d’armées britanniques qui avait à la fois deux armées britanniques et la 1ère armée canadienne, a organisé une formation. Et ils m’ont choisi, à cause de mon passé dans le Génie je suppose, parce que j’avais déjà appris comment m’y prendre avec des explosifs. Alors ils m’ont choisi pour cette formation sur le contre-sabotage et avec six hommes et un officier on formait ce détachement, le N°2 Field Security Reserve Detachment.
À Zwolle (Hollande), il y avait eu un sabotage à l’explosif dans une centrale électrique. On a fouillé les locaux mais le sous-sol était inondé, avec de l’eau à la hauteur de la poitrine. Alors on n’est pas descendus là en bas. Et le lendemain, le reste de la centrale a explosé. Mais ceci illustre bien une des caractéristiques du contre-sabotage : il est important de se présenter sur place soit avant, quand vous pouvez désamorcer les choses soit après quand ça a déjà explosé. Mais vous ne voulez surtout pas arriver pendant.
Bon, en un sens, c’est comme un travail de détective, vous vous servez de votre cerveau pour imaginer à l’avance ce qui se passe dans la tête de l’ennemi et comment contrecarrer leurs plans. Alors pour moi c’était toujours un défi. Jamais ennuyeux.
C’était une petite participation mais ça a sans doute aidé un petit peu. Je sais que nous avons arrêté quelques personnes. Une des choses, parce que la guerre était terminée, de nombreux saboteurs avaient décidé, ils voulaient être du côté des vainqueurs alors ils venaient et se rendaient et disaient, bon maintenant, si vous allez à cet endroit, vous allez trouver des explosifs enterrés. Et alors on y allait et on avait un dragueur de mine pour nous aider à localiser les choses. Mais à certains endroits, comme le Bois de Boulogne par exemple, il y avait tellement d’éclats d’obus sur le sol que le dragueur de mine n’arrêtait pas de mugir et on a vite décidé que c’était plus simple de nous en passer, de marcher alentour tout simplement et regarder et pour finir, on trouvait des trucs et soit on les brûlait soit on les faisait exploser.
Pour moi, c’était un formidable tour de l’Europe très agréable et je suis sûr que j’ai fait mon travail consciencieusement mais en même temps, j’ai appris beaucoup et j’ai vécu une super expérience.
Date de l'entrevue: 29 novembre 2010