En ce qui concerne le transfert, ils m’ont simplement emmené dans un camp là-bas et j’étais juste, littéralement le concierge du camp, et j’ai travaillé dans le bureau là-bas pendant quelque temps. Le colonel ne signait pas le papier du transfert. Alors un jour, il est parti dans le nord parce que cette unité de l’ARC ou du RCE (Génie royal canadien) était partie et ils se sont retrouvés en garnison en Alaska. Alors quand le colonel est allé là-bas pour jeter un coup d’œil, le capitaine a dit : « Tu es là pour quoi toi en fait? » Et j’ai répondu : « Et bien j’ai ce papier ici pour mon transfert, mais le colonel ne le signe pas. » Il dit : « Donne-le-moi. » Et il l’a signé. Je me souviens encore de son nom, c’était Halliburton. Et alors je suis parti et j’ai commencé là-bas (avec l’ARC).
Le premier vol « second dickie » (une sortie qu’un pilote faisait avec un équipage différent du sien, ce qui fait partie de son entraînement) que j’ai effectué, on a décollé, je crois qu’on se rendait à Cologne (Allemagne) et deux moteurs sont tombés en panne. Alors on s’est retrouvés à jeter tout ce qui nous passait dans les mains pour alléger l’appareil. Et je leur ai donné un coup de main, ils n’ont pas, j’ai cru à un moment qu’ils voulaient que je saute moi aussi. Bon en tout cas, on a jeté les batteries ou ils appelaient ça des accumulateurs et ça a bousillé le moteur qui faisait marcher le générateur pour l’électricité. C’était un de ceux qui ne fonctionnaient pas. Donc on n’avait pas de sans fil pour trouver un quelconque Cm (cap magnétique nécessaire à la navigation) ou quoi que ce soit. Alors on a plus ou moins pris la bonne direction, mais on a perdu de l’altitude parce qu’on avait décollé tellement tard.
Et on a survolé la France en plein jour avec deux moteurs à 500 pieds et j’ai regardé en bas et je pouvais voir les gens aller travailler en vélo. Et on a finalement trouvé le littoral et ils ont envoyé quelques balles traçantes (balles qui contiennent un composé inflammable qui, quand il s’enflamme, permet de corriger la trajectoire) et des canons Bofors (canons antiaériens), alors il a fallu qu’on tourne sur le côté et prenne une autre direction. Mais en tout cas on a commencé la traversée de la Manche et juste après, il y avait deux Spitfire (Supermarine, avion de chasse et de reconnaissance photo), un de chaque côté, qui nous escortaient. On a atterri… ah quel est le nom, je ne m’en souviens pas là tout de suite. En tout cas, il y avait un champ gazonné et le pilote a fait un superbe atterrissage avec deux moteurs, je peux vous le dire.
Pendant qu’on rentrait (d’un bombardement à Stettin en Allemagne, qui est aujourd’hui Szczecin en Pologne), mon viseur de lance-bombes avait une petite, ce qu’ils appellent une mitrailleuse Vickers et il voulait s’en servir. Et il s’appelait Frankie ou plutôt Frank en fait. Et j’ai dit : « Bon, c’est toi qui tires le premier coup sur ce bateau là en bas et je fais de mon mieux pour plonger dessus. » Et alors on est descendus et je croyais que c’était un dragueur de mines. Alors on a plongé en piqué dessus et juste quand on est arrivés… oh je ne sais pas, pas très loin, dans les 2000, 1500 pieds, il dit : « Je n’arrive pas à le voir. » Et tout à coup, à peine les mots étaient t-ils sortis de sa bouche que le ciel tout entier a crépité comme si c’était le 4 juillet, bon, les Bofors du navire, et il s’est avéré que c’était un navire antiaérien. Et ils ne se sont pas détournés. J’ai pensé : « Il va l’avoir, » alors j’ai pivoté brusquement, je me suis juste retourné et j’ai crié au mitrailleur de tourelle dorsale : « Mets toute la gomme! » Mais il n’y a pas eu de réponse. Alors à ce moment-là il a fallu que je pivote dans l’autre sens, me tourne de l’autre côté pour avoir les mitrailleurs de queue. Et il a tiré dessus et les coups heurtaient le navire là-bas et il y avait des étincelles et tout le reste et puis plus rien, ils n’ont pas répondu du tout. Et plus tard ils ont signalé un navire en feu. Alors je crois qu’on a vraiment réussi avec celui-là. Mais quand vous regardez après, ce qui se passait, c’est ce navire antiaérien qui nous avait dans le collimateur tout le long et si je n’avait pas plongé en piqué, parce qu’il croyait qu’on volait plus ou moins au même niveau, si je n’avais pas plongé, on se serait pris cette volée en plein.