Je m’appelle, c’était à l’époque allemande, mon nom c’était Heinz Artur Wiehler. Je suis né en 1925 en Prusse – pas en Russie, en Prusse. Notre famille toute entière, ou notre famille toute entière y compris la famille élargie, on était tous des fermiers à l’époque, en Prusse ; des fermiers mennonites. Et on vivait tous proches les uns des autres dans un rayon de quarante à cinquante kilomètres et on avait une vie très facile. On savait que c’était la guerre, que des gens étaient tués par la guerre, et tous ces trucs, mais notre région, elle, n’était pas affectée par tout ça.
Bon, il faut que vous compreniez tout ça dans son ensemble, l’atmosphère globale. On était des pacifistes et tout ça mais pendant les années Hitler, ce n’était pas possible. Vous deviez servir ou on vous envoyait dans un camp de concentration. C’était votre, il n’y avait pas d’opposition ou quoi que ce soit come ça.
J’appartenais à une unité de char et j’étais le gars qui tirait, mettait l’obus dans la chambre et aussi le communicateur. Et, mais on n’a jamais eu, on n’a jamais eu de machines. On avait seulement une petite chose alors, pour nous exercer dessus. Vous n’en aviez jamais eues. Mais alors, juste, au début du mois de juillet (1944) ou quelque chose comme ça, j’ai été transféré de l’est, à un endroit plus proche de l’état major d’Hitler et là-bas ils avaient trois chars. Et une nuit, on nous a appelés, on devait remplir nos magasins avec des munitions et ceci et cela et tout le reste et une dizaine de gars assis sur les chars et puis on a roulé et roulé et on ne savait pas vers où. Le lendemain, on apprend qu’on était au quartier général d’Hitler ; c’était la nuit où il y a eu cette attaque sur lui (connue sous le nom d’Opération Walkyrie) le 20 juillet 1944. Et puis en août 1944, on m’a envoyé sur le front ouest et ils avaient cette contre-attaque là-bas. Mais une fois encore, pas de machines.
Juste à l’ouest de Cologne, ce qu’ils appelaient, je ne sais pas, ça porte un nom. On appelait ça la Hürtgen Wald, la Bataille des Ardennes ou quelque chose comme ça (Les batailles de la forêt de Hürtgen c’était une série de batailles entre les armées américaine et allemande entre septembre 1944 et février 1945. La Bataille des Ardennes a eu lieu entre décembre 1944 et janvier 1945). Tout à coup, il y a trois chars tout neufs qui arrivent. Voici ces gars, ils sont juste content de, ils les ont déchargées. Mais quand on a eu terminé, une jeep est arrivée avec un tas d’officiers SS à son bord, ces machines sont à nous. On n’a pas d’hommes mais ces machines sont à nous. Alors ils en ont pris possession et nous ont pris avec eux pour servir le matériel. Et puis on a roulé pendant un petit moment. Je ne connaissais pas les noms de ces gars et tout ça ; il n’y avait pas de lien. Mais ça n’a pas pris longtemps, nous, nous avons roulé pendant un moment hors du pays et soudain, on s’est fait tirer dessus, on a perdu les trois machines en l’espace d’une demi heure. Mais ils sont juste descendus, n’arrêtaient pas de tirer sur nos chenilles, on ne pouvait plus bouger, on ne pouvait pas utiliser nos canons, nos canons étaient stabilisés, ils avaient seulement une ouverture de 12 degrés. On voulait les manœuvrer, on devait faire tourner la machine. On ne pouvait plus faire ça, alors on est partis et on est juste rentrés. On a sauté au dessus d’une haie. Le lendemain, mon genou était juste comme ça.
Le 4 avril 1945, j’ai été capturé par l’armée américaine et mis dans un camp de prisonniers. J’étais un communicateur là-bas et j’ai été envoyé au poste pour prendre les messages et tout ça et j’étais censé les rapporter dans mon unité. J’ai fait ça mais au moment où je suis arrivé là où se trouvait mon unité, ils étaient déjà partis. Parce que les Panzers américains, les chars, arrivaient de la colline comme des abeilles. Just comme peu importe. Alors on a marché pendant un petit moment et puis tout à coup, on a eu, on a été attaqués par des avions volant à basse altitude. Un ami à moi s’est fait descendre juste devant moi, et j’ai dit, ça y est. Alors je me suis juste caché et j’ai dit, voyons voir ce qui va se passer. Je ne vais pas faire un pas de plus, je ne vais rien faire. Et ça n’a pas pris longtemps, un des soldats américains s’est approché et il a juste appelé et dit : « Des soldats allemands par ici ? Venez, montrez-vous. » Il parlait allemand. Et c’est ce qu’on a fait. Ça a été la fin de ma carrière de soldat allemand.
En Allemagne en 1946, ils avaient mis au point un questionnaire en trois parties, une carte. Vous pouviez remplir les cases qui demandaient d’où vous veniez, où vous étiez né, où vous étiez à présent et qui était la personne que vous recherchiez. Et c’est comme ça qu’on s’est retrouvés. Ma mère a retrouvé mon père et j’ai retrouvé toute la famille. Et pour Noël 1946, grâce au bureau d’enregistrement de la Croix Rouge allemande, on a été tous réunis. À l’automne 1946 j’ai été relâché du camp de prisonniers en Allemagne. Vous vous retrouvez dans une de ces situations, il n’y a rien que vous puissiez faire à ce sujet, vous suivez le mouvement, vous tirez le meilleur parti de chaque minute. Ouais. Même aujourd’hui, les gens demandent comment, comme ça se passe. Je dis, bon, si vous n’attendez pas grand-chose, vous n’allez pas être déçu. C’est un fait. C’est tellement plus facile. Ça ne vous mène nulle part, même si vous vous tapez la tête contre les murs, pour les choses que vous ne pouvez pas changer. Non.