Project Mémoire

Herménégilde Dussault

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Herménégilde Dussault
Herménégilde Dussault
M. Dussault (à gauche) dans un camp allemand avec d'autres prisonniers de guerre, tous habillés de vêtements fournis par la Croix-Rouge. M. Dussault et plusieurs soldats des Fusiliers Mont-Royal furent capturés par les Allemands à la suite du désastreux raid de Dieppe, le 19 août 1942.
Herménégilde Dussault
Corps de soldats canadiens tués sur la plage de Dieppe. À noter sur la gauche, juste au-dessus de la tête du soldat allemand debout, le fortin avec une ouverture juste assez large pour une mitrailleuse d'atteindre les troupes canadiennes par un tir d'enfilade. Source: inconnu.
Débris d'équipements et cadavres de soldats canadiens abandonnés sur la plage lors du raid de Dieppe, le 19 août 1942. Source: www.wwii.ca
Herménégilde Dussault
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M. Dussault à Cove (Angleterre) en Janvier 1941.
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Le sergent-major de compagnie Dussault (à genou avec la carte), 19 ans, lors d'un exercice tactique de peloton à Cove (Angleterre) en février 1941.
Herménégilde Dussault
J’ai le sentiment, encore aujourd’hui, que nous avons été sacrifiés dans une opération qui était vouée à l’échec. Le raid de Dieppe fut probablement le plus grand fiasco de l’armée canadienne durant la guerre.

Mercredi, le 19 août 1942 à 6 heures. Les Fusiliers Mont-Royal, bataillon de réserve commandé par le lieutenant-colonel Dollard Ménard, est en mer à trois miles au large de Dieppe (Normandie). À sept heures, le commandant donne ordre de débarquer sur la plage Rouge (l’un des noms de code attribué à un secteur particulier de la zone d’attaque). Quand les péniches se dirigent vers la plage, les Allemands déclenchent un violent barrage d’artillerie sur nous. Plusieurs péniches sont touchées. Le bataillon subit ses premières pertes. Dû au mouvement de la marée ou à l’inexpérience des équipages, le bataillon est déporté vers l’ouest et débarque sur les plages Rouge et Blanche. L’Essex Scottish (The Essex Scottish Regiment) et le RHLI (The Royal Hamilton Light Infantry) sont encore sur leurs plages respectives, bloqués par la résistance de la défense allemande.

Ma compagnie, la « A », dont je suis le sergent-major, commandée par le major Sarto Marchand, débarque sur une petite plage rocailleuse fermée par des falaises « inescalables » (impossible à gravir). Nous sommes isolés sur cette plage située entre Dieppe et Pourville. Quand le bataillon débarque sous le feu meurtrier des canons, des mortiers et du tir d’enfilade des mitrailleuses, c’est l’enfer. La plage est jonchée de morts et de blessés. Les pertes de la compagnie ont eu lieu durant l’approche, le débarquement et la traversée de la plage vers les falaises. Au bas des falaises, nous étions à l‘abri des tirs de canon et des armes légères, mais vulnérables au tir des mortiers et des grenades lancées du haut des falaises. Nous étions sans communications, notre radio endommagée par le tir ennemi ne fonctionnait pas. Incapable de contacter le p.c. (poste de commandement) du bataillon, le commandant de compagnie ignore ce qui se passe.

De notre position, on peut observer la plage de Dieppe. Vers dix heures, on voit des péniches et deux TLC, Tank Landing Craft, se diriger vers la plage. Les Allemands concentrent leurs tirs sur ces embarcations. Un TLC est touché et s’éloigne de la plage, des péniches sont aussi touchées. Un TLC en feu échoue sur la plage avec trois péniches. Les autres péniches sous le tir de l’ennemi réussissent à évacuer un bon nombre d’hommes des plages Rouge et Blanche. Vers dix heures, des soldats allemands, par une ouverture dans la falaise, descendent sur la plage. Arrivant par l’arrière, ils capturent un de nos pelotons. Utilisant le peloton comme bouclier, ils avancent vers le p.c. de la compagnie. Le commandant de la compagnie, voyant nos hommes, les bras levés en l’air escortés par les Allemands, n’a pas de choix. Il donne l’ordre de tirer et tue nos hommes. Il donne l’ordre de se rendre. Passant par l’ouverture, les Allemands nous amènent sur le promontoire de la falaise. Ils séparent les officiers des hommes et sous escorte, ils nous amènent dans la cour de l’hôpital où les prisonniers sont rassemblés.

C’était utopique de penser qu’une attaque frontale de Dieppe, avec ses falaises, pourrait réussir sans le soutien des navires de lignes de la marine et des bombardiers de l’aviation pour détruire les fortifications. 68% des Canadiens débarqués sont tués, blessés ou faits prisonniers. Subir de si lourdes pertes entre six heures et huit heures de combats est inconcevable.

J’ai le sentiment, encore aujourd’hui, que nous avons été sacrifiés dans une opération qui était vouée à l’échec. Le raid de Dieppe fut probablement le plus grand fiasco de l’armée canadienne durant la guerre. Nos pertes furent les plus lourdes de l’armée canadienne dans une opération. Des officiers supérieurs impliqués dans l’élaboration de l’opération Jubilee (nom de code attribué au raid de Dieppe), seul le major-général John H. Roberts, commandant de la 2e Division (d’infanterie canadienne) relevé de son commandement après Dieppe, sert de bouc émissaire. Les autres responsables de ce désastre s’en tirent, même s’il y avait beaucoup d’ignorance et de stupidité dans le « planning » du raid.

Les Canadiens ignorent peut-être que nous, les combattants de Dieppe, ne sommes pas autorisés de porter l’Étoile de France-Allemagne (une décoration militaire britannique). Moi, comme mes camarades de guerre, nous avons été privés de l’Étoile France-Allemagne parce que nous n’étions pas présents lors du débarquement de Normandie, le 6 juin 1944. Nous étions prisonniers de guerre. Le 19 août 2012 marquera le 70e anniversaire du débarquement de Dieppe. Il serait temps que notre pays reconnaisse les faits d’armes de la 2e Division Canadienne à Dieppe. Alors que des centaines de nos jeunes soldats sont tombés sur les galets de ces plages. Le gouvernement canadien pourrait au moins, et je répète au moins, nous autoriser à porter l’Étoile France-Allemagne.