J’ai postulé par l’intermédiaire de la Croix Rouge, pour le service militaire aux Etats-Unis. On m’a prise en tant que sous-lieutenant et on m’a demandé de me présenter à Fort Benjamin Harrison, un camp de l’armée à une soixantaine de kilomètres d’Indianapolis en Indiana. J’ai demandé à l’infirmière en chef si je pouvais aller outre-mer. Elle a dit, avec votre expérience dans le domaine de la chirurgie et les quatre ans passés à la Clinique Mayo (Rochester, Minnesota), on a besoin d’une infirmière en chirurgie pour compléter l’équipe médicale du 155ème hôpital général, qui fait partie de la liste de ceux qui partent outre-mer dans les prochains jours.
On est partis pour Boston, après une permission de douze heures à Boston là-bas, on est monté dans des cars de l’armée pour aller jusqu’au docks où on a embarqué sur le West Point, un paquebot de luxe qui pouvait transporter plus de 11 000 soldats, tout le personnel médical : docteurs, infirmiers, filles de la Croix Rouge. Tous les jours on devait faire des exercices en treillis avec nos sacs à dos et des masques à gaz. On nous obligeait à porter nos bouées de sauvetage tout le temps, y compris toute la nuit.
Après plusieurs jours en mer, on a été en vue des îles britanniques. On a coupé les moteurs de notre navire à 16 heures. On était à cinq milles de la côte environ. On nous a transbordés sur des centaines de péniches qui nous ont emmenés à Greenock en Écosse. On a été accueillis par une fanfare écossaise, qui nous a accompagnés jusqu’à la gare située à environ six pâtés de maisons. L’orchestre a continué à jouer pendant qu’on montait dans le train. On a voyagé en train pendant plusieurs heures, on nous a pris dans des jeeps pour nous conduire à notre hôpital provisoire, qui se trouvait dans une grande patinoire à Colwyn Bay dans le pays de Galles.
Après plusieurs jours là-bas, on a voyagé pendant deux jours et deux nuits en train. On est arrivés dans la vallée de Malvern Hills, dans le sud de l’Angleterre la région où se trouvait notre nouvel hôpital. C’est là que j’ai rencontré mon mari (en 1940) ; il était capitaine dans le Génie canadien. Il avait servi dans l’armée canadienne outre-mer et à ce moment-là se trouvait à Ripon dans le nord de l’Angleterre. C’était le 9 juillet 1944 qu’il a appelé, là où on a célébré notre quatrième anniversaire de mariage, assis sur une clôture en pierre, parce ce que tout ce qui était au delà de deux pâtés de maisons m’était interdit.
(Un malade) était mitrailleur de queue dans un avion de chasse et l’avion avait été en partie détruit par les bombes mais le pilote avait réussi à le ramener jusqu’à la côte anglaise. Et le malade a été amené dans notre hôpital avec les autres malades ; les autres soldats, je devrais dire. Et était paralysé du cou jusqu’en bas et un jour il m’a dit, je veux que vous me promettiez quelque chose. Et j’ai dit, bon, je ne peux rien promettre sans que vous me disiez ce que vous voulez. Il se peut que je ne puisse pas le faire. Il a dit, vous pouvez. J’ai dit, d’accord, je fais la promesse. Il a dit, pourriez-vous aller voir ma femme après que je sois mort parce que je sais qu’il ne me reste pas plus de deux jours à vivre. Et j’ai dit, je vous le promets.
Alors deux jours plus tard, il est mort mais avant de mourir, il faisait dans les 1,80 m, il était grand, et je devais, il avait des blessures de balles sur la poitrine et quelques une dans le dos. Et quand je mettais une solution dans ces blessures, là où c’était infecté, la solution ressortait par derrière. Et un jour, je n’arrivais pas à le retourner et j’ai demandé à deux des soldats qui étaient dehors dans le pavillon, qui étaient sur le point de recevoir leur autorisation de sortie, j’ai dit, pourriez-vous venir m’aider à retourner mon malade. Et ils ont dit, on ne peut pas supporter l’odeur. J’ai dit, est-ce que ça vous plairait si vous étiez à sa place et que vos copains refusent de venir vous aider ? Alors ils sont tous les deux entrés pour m’aider à le retourner et le soigner.
Et après qu’il soit mort et que la guerre soit terminée, je suis arrivée à New York et mon mari était venu du Canada pour me retrouver. J’étais dans l’armée américaine et mon mari a dit, je dois rentrer tout de suite au Canada. Et j’ai dit, je ne peux pas partir immédiatement avec toi, j’ai promis à un malade que j’irai voir sa femme, là-bas près de Cincinnati. Alors il a loué une voiture et on est partis tous les deux jusqu’à un endroit à cinq ou six kilomètres de Cincinnati, en cherchant des renseignements sur la famille de ce soldat et sa femme. Et nous les avons retrouvés finalement. On est montés là-haut en voiture, je suis sortie de la voiture, deux officiers en uniforme, sa femme ne sortait pas, elle venait juste de recevoir la nouvelle que son mari était décédé. Alors elle ne voulait pas sortir. Donc la mère est sortie et j’ai dit à la mère, dites à votre fille qu’elle doit sortir et venir me parler, j’ai promis à son mari que j’irai lui parler.
Alors elle est sortie et à ce moment-là elle était en larmes, et je pleurais un peu moi-même et mon mari m’a dit, Hilda tu es censée être courageuse. Et j’ai dit, oui, mais cette fois c’est difficile d’être courageuse. En tout cas, elle est sortie et j’ai dit, votre mari, tout ce qui lui appartient et tout je l’ai mis dans un sac de voyage et vous allez sûrement le recevoir dans le mois, ça peut prendre jusqu’à deux mois. On est en temps de guerre, il n’y a aucune priorité. Et elle a dit, bon, je lui ai donné une montre avant qu’il parte outre-mer qui valait 25 dollars et elle a dit, j’aimerais qu’on me rende cette montre. J’ai dit, j’ai moi-même emballé cette montre et tous ce qu’il possédait dans un sac de voyage et vous allez les recevoir d’ici quelques temps. Mais j’ai dit, si vous ne les recevez pas d’ici un mois, voici mon numéro de téléphone et mon adresse au Canada, alors écrivez-moi ou téléphonez-moi et je les ferai rechercher pour vous.
Dans les trois semaines qui ont suivi, j’ai reçu une lettre de sa part où elle me disait qu’elle avait reçu le sac et la montre et tout le reste et elle disait qu’elle était contente que je lui aie parlé, et elle a envoyé une nappe magnifique. Elle ne pouvait même pas s’acheter un kleenex, une boite de kleenex ; et elle a envoyé cette nappe magnifique.
Date de l'entrevue: 26 novembre 2010