Transcription
Je m’appelle Hy Chud, CHUD. J’ai servi sous le nom de Hyman Chudnovsky, dans le 17ème Duke of York Canadian Hussars, qui était un régiment de reconnaissance, corps des blindés de reconnaissance. C’est un régiment de Montréal. On était des troupes de renfort qui ont été ajoutées à ce régiment (le 7ème Régiment de reconnaissance). On était outre-mer. Quand on est allés outre-mer, c’était la méthode employée je suppose, l’armée n’envoyait pas de régiments tout entier là-bas, je ne sais pas. Mais avant le combat, on nous envoyait comme troupes de renfort.
Bon, ce qui m’a motivé, j’étais juif. Vous savez, on apprenait à lutter pour l’égalité contre l’antisémitisme, à combattre Hitler. Il y avait des tas de raisons pour un jeune homme juif de s’engager dans l’armée ou de combattre le nazisme et le fascisme. Notre régiment était un régiment de Montréal, il y avait plein de français dedans, et certains vraiment sympas. Il y en avait un ou deux juifs, pas beaucoup de juifs, pas dans notre régiment. Je sais que le pourcentage d’engagés volontaires juifs, comparé à la population globale était très élevé, mais pas dans notre régiment.
Comment on me traitait ? De la manière que le reste de la population, comme on était traités avant d’être dans l’armée. Les juifs, il y avait des antisémites, il y avait des gens qui étaient gentils avec nous. Je me rappelle avant de m’engager dans l’armée, on a fait des piquets de grève. Quand j’étais gamin, les pistes de patin à roulette à Toronto étaient interdites aux juifs. Et alors vous aviez ça à l’armée aussi. Qui s’engageait dans l’armée ? Tout le monde. Alors il y avait des antisémites ; il y avait des gens sympas, il y avait des gens tolérants et ainsi de suite.
Deux jours après le jour J, on est d’abord allés prendre la relève de l’infanterie dans les tranchées. On n’a pas fait notre travail, qui était la reconnaissance, pendant les premiers jours parce qu’on n’avait pas de tête de pont, vous savez, on ne pouvait pas aller bien loin. Quelque chose d’amusant nous est arrivé pendant qu’on faisait la relève de l’infanterie à la sortie. On a fait ça de nuit et vous n’avez jamais entendu de vacarme plus grand que le bruit des gamelles qui tombent sur le sol quand tout est silencieux. Elles sont en fer-blanc et ça nous a fait mourir de peur. Un de nos gars a fait tomber ses gamelles. Je n’oublierai jamais ça. On a cru que l’artillerie et l’armée allemandes au grand complet allaient nous tomber dessus, mais ça ne s’est pas produit.
Mon frère était opérateur radio lui aussi. Même unité, mais pas la même troupe. On était dans la même compagnie. Tous les matins, on se faisait signe par sifflet, on était sur la même fréquence sur nos radios. Et on avait un sifflet, on sifflait dans le poste, une sorte de signal pour dire on était bien en vie tous les deux. Les officiers n’aimaient pas ça, mais on le faisait quand même.
On a traversé la France et la Belgique, la Hollande, on s’est retrouvés en Allemagne. Et je devrais dire qu’on était parmi les troupes de reconnaissance les plus en avant. Alors est-ce que je suis fier de ça ? Oui, je suppose que oui. Je trouvais aussi que les gens, je crois, ils voulaient être libérés parce qu’ils étaient tellement heureux quand on est arrivés. Notre boulot de d’attirer le feu sur nous, comme ça notre, qui que ce soit d’ailleurs, pouvait localiser avec précision et envoyer l’artillerie, pour trouver où était l’ennemi. Au lieu de les chercher dans tous les coins, on était, on avançait et si on nous tirait dessus, c’était réussi, enfin je suppose.
Bon, quelquefois on sortait des voitures et on faisait des patrouilles à pied. Vous savez, ça aussi. C’était un boulot dangereux, mais chaque travail était dangereux dans l’armée. Je pense que les héros dans l’armée de terre c’était l’infanterie en reconnaissance. Pas de protection. Moi j’étais au moins dans une voiture à l’abri derrière le blindage.
On se déplaçait tellement vite par moments, que nous dans les véhicules on devait attendre pour, ils appelaient ça du « petrol » pas « gas » (NDT : petrol est issu de l’anglais britannique et gas de l’anglais américain, en français le mot essence est utilisé dans les deux cas), on devait attendre que l’essence arrive. Alors repos, oui, on avait, on n’avait pas de repos en réalité, mais comme on se déplaçait très vite ou on pensait qu’on se déplaçait très vite ; et les photos de la guerre représentaient des combats de maison en maison, dans les guerres précédentes c’était des combats de maison à maison, mais nous on n’a pas eu ça. Je me souviens par contre qu’on capturait tellement de prisonniers et qu’on n’avait pas les forces nécessaires pour repartir avec eux. On aurait dû dire, partez dans cette direction et les renvoyer. Je pense que certains d’entre eux étaient contents d’être faits prisonniers aussi, alors ils ne, bien souvent, ils ne posaient pas de problèmes.
J’ai eu beaucoup de temps pour penser à tout ça. C’était il y a 65 ans. Comme pour ce qui est des gens dans la vie, on avait de bons soldats, de mauvais soldats, de bons officiers, de mauvais officiers. Vous disiez être neutre. On avait eu des officiers, quelques uns. Il n’y a pas le moindre doute dans mon esprit que certains gars, comme dans la vie, certains ont été promus alors qui n’auraient jamais dû l’être. C’était un peu plus dangereux parce qu’ils avaient la vie d’autres gens entres leurs mains. Mais tout bien réfléchi, je crois, non pas je crois, je sais qu’on a réussi, vous savez. Est-ce que le succès c’est de gagner, tuer des gens ?
Mais je pense que c’est une bonne chose de faite parce qu’au moins ces entrevues, si les jeunes en entendent parler, s’ils les lisent, ils sauront ce qu’est la guerre. Je n’avais jamais vu, avant la guerre, je n’avais jamais vu certaines des choses que j’ai vues pendant la guerre. Vous savez, vous voyez des gens souffrir, vous voyez des gens mendier dans les rues, mais jamais le genre de choses, j’essaye de comparer les choses les pires, je n’ai jamais vu des choses aussi horrible que ce que j’ai vu pendant la guerre. Quelles sont-elles, quelles horribles choses ? Des gens avec un uniforme canadien morts dans la rue, tout bouffis et ainsi de suite. J’ai changé dans un sens car j’ai toujours été contre la guerre, mais ça a fait de moi quelqu’un d’encore plus opposé à la guerre. C’est une chose horrible, horrible. Ça m’a fait sentir, ça m’a fait réaliser, il faudrait traiter les gens mieux que ce qu’on fait. Je ne sais pas si je suis très clair.
Il n’y a pas, même si je crois qu’on a fait une guerre juste, mais il n’y a pas tellement de situations qui font que vous devez faire la guerre. Je crois qu’il y a des moyens ; il doit bien y avoir des moyens de résoudre ces conflits d’une autre manière, et on ne le fait pas.