Un jour, nous (le corps du Génie royal canadien) sommes entrés dans Zutphen, qui était une ville située au nord de la Hollande ; et notre infanterie venait juste de prendre la ville, et ils sont partis. On est allés là-bas pour construire un pont. Et ce que j’ai fait, j’ai trouvé une impasse là-bas et j’ai installé une radio, et je l’ai branchée sur la BBC ; et c’était la première fois depuis plusieurs années que les hollandais entendait la BBC. Ils n’avaient pas le droit d’écouter quoi que ce soit. Alors il me semble que ça a été une journée assez joyeuse.
Mais ensuite deux de mes hommes sont arrivés et m’ont appelé ; et ils m’ont dit que mon estafette avait des problèmes. Je suis allé le voir ; je voyais bien que son visage était violacé et il me suppliait des yeux, vous savez, aidez-moi, aidez-moi. Je l’ai emmené voir notre médecin militaire. Apparemment il était sorti boire avec des hollandais qui étaient du côté des allemands, et ils lui avaient donné de l’alcool empoisonné. On lui a fait un lavage d’estomac là-bas, mais c’était trop tard, et il est mort. Et ensuite, évidemment, il m’a fallu écrire une lettre à ses parents et leur dire comment leur fils était mort pendant son service. Donc c’était deux des choses qui m’incombaient, et j’avais 21 ou 22 ans là-bas. Vous grandissez plutôt rapidement dans ces conditions là.
Et puis Londres, quand on était là-bas en Angleterre, et j’avais une permission. Je suis parti aussi loin que j’ai pu. Je suis allé à l’île de Man et c’était très intéressant. Il y avait un train qui faisait le tour de l’île. Vous savez, c’est l’endroit où on trouve les Manx ces chats qui n’ont pas de queue. J’ai eu l’occasion de faire connaissance avec un certain nombre de soldats britanniques là-bas. J’ai passé de bonnes vacances. À part ça, c’était vraiment très étrange là-bas, quand la guerre… je n’ai pas eu de permission. Quand j’ai finalement eu une permission, j’étais à Bruxelles quand la paix a été déclarée et ça n’a rien changé. J’avais mon billet, je suis retourné en Angleterre et j’ai pris mes vacances en Angleterre ; et je suis rentré et j’ai rejoint ma compagnie là-bas jusqu’à ce qu’on reparte au Canada.
Quand on était en Hollande, les hollandais étaient aussi gentils que si j’étais, tout du moins je les ai trouvés, comme si vous étiez au Canada, à rendre visite à des canadiens. Mais en tant qu’officier, vous voyez, j’étais officier d’état-major et une des mes tâches c’était de toujours trouver des endroits pour les officiers et pour les sous-officiers et hommes de troupe, où dormir et où prendre nos repas, et d’autres choses. Mais après, ils ont déclaré la paix là-bas ; et on était dans cette ville hollandaise et je logeais chez l’habitant. J’ai été avisé que trois jours plus tard, on repartait au Canada. Alors j’ai contacté ma logeuse et lui ai dit qu’on allait repartir au Canada dans trois jours ; et elle a dit, vous voulez dire qu’on sera libre ? Et ça m’a frappé tout d’un coup. Je veux dire, je n’ai jamais rêvé… et puis j’ai réalisé ce que c’était, l’occupation. Je veux dire, on occupait, j’occupais sa maison. Elle était payée pour ça, mais ce n’est tout simplement pas pareil dans la tête des gens, vous voyez, que ces soldats sont là et qu’ils occupent votre espace.
Alors c’était la même chose que ce qu’on avait avec les jeunes hollandais. Comme par exemple, on est arrivés dans une ville et, bien sûr, on était en rapport avec le maire et différentes personnes. Alors ils organisaient une soirée dansante pour que nos soldats y aillent. Donc qui étaient les filles ? Bien sûr, elles étaient toutes hollandaises ; et je me souviens, par exemple, marcher jusqu’à l’entrée là-bas et il y avait tout un groupe de ces jeunes hollandais qui se tenaient à l’extérieur, en regardant les soldats canadiens et les jeunes filles hollandaises qui entraient là. Les soldats canadiens avaient du chocolat et d’autres choses comme ça. C’était malheureux, bien malheureux, vous savez. Mais ils ont souffert, les hollandais souffraient vraiment du manque de nourriture, du manque de toutes sortes de choses là-bas, oui.
La forêt de Reichswald là-bas, on était installés quelque part pas très loin de là ; et on avançait et on devait traverser la forêt là-bas. On s’est retrouvés dans un coin qui avait été bombardé par les alliés de toute évidence, et ce terrain tout entier était jonché d’allemands qui étaient étendus là. Ils étaient tous morts, le terrain tout entier, à cause d’une explosion, quoiqu’il se soit passé là, ils étaient là. Alors moi j’avance en jeep par là et je regarde ces corps là et puis plus rien, vous passez à autre chose et vous oubliez ça. Donc c’était le genre de choses que vous croisiez par moments.
J’étais en Hollande et un de mes hommes est venu me trouver et il avait dans les quarante ans, il est malgré tout entré dans l’armée, et il est venu, il me demandait la permission d’épouser une jeune hollandaise. Or, l’armée m’avait donné et aux autres officiers aussi des instructions visant à décourager… il y avait les raisons habituelles, la langue, la religion, les différentes choses, la famille, et ainsi de suite. Il a dit, j’aimerais vous expliquer quelque chose, il a dit, je viens d’une petite bourgade en Alberta et si je retourne là-bas, il n’y a pas de travail pour moi. Il n’y a pas une seule fille que je connais que j’ai envie d’épouser. Il n’y a vraiment rien pour moi là-bas ; et cette jeune fille que j’ai rencontrée, sa famille a une petite entreprise et ils m’ont dit que si j’épouse cette jeune fille, ils me prendront dans l’entreprise – vous voyez ? Alors il me demandait la permission de l’épouser. Bon, qu’est-ce que je pouvais bien dire ? Alors je lui ai donné l’autorisation. Ce qui s’est passé après ça, je ne sais pas, vous perdez la trace de ces gens. Mais l’armée avait le pouvoir de les empêcher. Je veux dire, ils pouvaient s’enfuir et se marier et vous n’en saviez rien, vous savez, mais des choses comme ça, vous voyez, les décisions que vous avez à prendre alors que vous êtes si jeune.