Puis on m’a soudainement retiré de l’infanterie en janvier 1943 pour m’envoyer suivre une formation en renseignement à Aldershot [Angleterre]. Et dès la fin du cours, on m’a transféré dans la 1re Division, à Glasgow [Écosse], où je suis monté à bord d’un avion avec mon vélomoteur pour aller rejoindre la 1re Division canadienne sur les côtes de la Sicile. Nous étions là-bas sous l’autorité de la 8e Armée britannique, qui venait de rentrer d’Afrique. Nous y faisions du renseignement, autrement dit du contre-espionnage, pour nous assurer de capturer tout agent allemand qui traverserait la frontière.
Nous avons par la suite voyagé deux par deux. En tout, nous n’étions que 12 dans la division à nous déplacer d’une ville à l’autre. Nous avions la liste des agents allemands attendus en Italie, dressée par les agents britanniques infiltrés à l’école d’espionnage allemande du lac de Côme. L’une des serveuses qui travaillaient à cette école était un agent britannique. Elle nous avait donc fourni toutes les listes d’agents allemands qui devaient passer en Italie. Il nous suffisait de les attendre et de les capturer dès leur arrivée.
Mais nous devions prendre garde à deux choses. Premièrement, nous étions toujours en guerre avec l’Italie à notre arrivée en Sicile. Nous devions donc nous assurer qu’il ne restait plus d’agent italien ou allemand susceptible de perturber notre opération. Évidemment, nous avons très vite appris à parler, à lire et à écrire l’italien. Certains d’entre nous parlaient aussi l’allemand. Pas moi, cependant, car je n’arrivais tout simplement pas à apprendre cette langue.
Pour protéger nos troupes, nous avions pour tâche de traquer les agents ennemis, de les capturer, de les interroger et de les emprisonner. Contrairement à nous, ils étaient en terrain familier et nous devions faire en sorte qu’aucun ne travaille contre nous. À mesure que nous avancions en Italie, nous arrivions dans de nouvelles villes où se trouvaient d’autres agents ennemis. Et il y avait dans chaque ville une branche du vieux Parti fasciste, encore très pro-allemand, qu’il fallait neutraliser. Nous avons couvert tout le front occupé par la 1re Division canadienne, si bien que nous pouvions nous trouver tous les deux dans une ville tandis que deux autres se trouvaient à quelques kilomètres dans une ville différente. Ce travail de contre-espionnage consistait donc à repérer et à capturer ces autres agents ennemis.
Ils étaient plutôt habiles et bien formés à leurs propres méthodes. Je me rappelle que dans la dernière ville italienne où nous nous trouvions, à Bagnacavallo, notre représentant nous avait informé de l’arrivée de deux femmes agents. Mais nous avons été incapables de les repérer. Et l’on a bientôt appris que l’une d’elles avait été capturée par les Britanniques, qui nous ont évidemment envoyé des messages d’injures parce que nous les avions laissé filer. Mais nous avons su que les Allemands avaient dit : « Alors, nous faisons face aux Canadiens et nous enverrons cette femme. Nous tirerons au-dessus de sa tête et elle se mettra à hurler, et les Canadiens s’empresseront d’aller la secourir. » Et c’est exactement ce qui est arrivé. Elle a couru, les Allemands ont tiré au-dessus de sa tête, elle a hurlé et les Canadiens ont couru à sa rescousse. Ils l’ont détenue un moment puis l’ont renvoyée chez elle avec un laissez-passer. Mais nous aurions pu l’éliminer, et nous avons ensuite appris ce qui s’était passé de la bouche du major canadien qui l’avait protégée. Il soignait à l’hôpital une grave maladie. Alors il a eu une bonne leçon, et nous aussi d’ailleurs.
Mais nous avons capturé l’autre femme sans problème. Elle était de Florence [Italie] et a avoué être un agent. Nous l’avons arrêtée, puis elle a subi son procès et je crois qu’elle est restée en prison jusqu’à la fin de la guerre, quand tout le monde a été relâché. Mais cette école allemande du lac de Côme avait bien enseigné le métier d’espion à ses agents et aux agents italiens. L’une de ces femmes avait pour tâche de se glisser dans le stationnement des véhicules canadiens et de verser du sucre dans les réservoirs d’essence, ce qui bousille un moteur et ne coûte pas grand-chose. C’était le genre de mission qu’on leur confiait.