Project Mémoire

James A. Clarke

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Le pilote James A. Clarke, ARC, en permission à Dauphin au Manitoba en 1943.
Écrasement tragique d’un avion Harvard. Photo : courtoisie de James A. Clarke.
Photo du bombardier Liberator. Photo : courtoisie de James A. Clarke.
Le bombardier d’entraînement Anson. Photo : courtoisie de James A. Clarke.
Un avion Harvard se préparant pour un décollage au Camp Borden. Photo : courtoisie de James A. Clarke.
Au clair de lune, j’ai aperçu la silhouette d’une personne à environ 50 pieds et qui avançait. J’avais réglé mon Sten au coup par coup.
Je m’appelle James A. Clarke. Numéro matricule : R166475. J’ai servi comme mécanicien de moteurs d’avion dans l’ARC. Je me souviens très bien d’une histoire qui s’est passée dans un très, très grand entrepôt de bombes à Terre-Neuve en septembre 1945. Suite à un transfert de la baie de Gander à Torbay, plusieurs d’entre nous se sont rendus à St. John’s. Nous devions prendre l’autobus-navette de l’ARC pour rentrer. Nous sommes rentrés avec une heure de retard. Cette nuit-là, j’ai été chanceux d’avoir reçu l’ordre de monter la garde de minuit à huit heures du matin. Après un cours intensif de quinze minutes sur l’utilisation d’un fusil-mitrailleur Sten – que je n’avais jamais même vu un de ma vie – on m’a reconduit en jeep au milieu de nulle part pour surveiller une montagne d’énormes quantités de bombes, de grenades sous-marines, de munitions et d’engins explosifs de toutes sortes. J’ai tenté d’expliquer au conducteur que j’étais mécanicien de moteurs d’avion et non un gardien de sécurité, mais en vain. La cabane de garde, comme nous l’appelions, ressemblait à une grange de ferme dans les prairies. Elle contenait une petite table en bois et une chaise. Il y avait une fenêtre à chaque mur, une porte et une lumière accrochée au plafond. Le conducteur s’apprêtait à quitter lorsqu’il m’a rappelé mes ordres, « Personne…absolument personne ne doit pénétrer dans cet enclos. Si quelqu’un approche, tu dois le fusiller et poser des questions plus tard. » On m’a laissé complètement seul pour monter la garde et je n’y connaissais rien. J’étais assis sous la lumière et je tentais de comprendre ce qui se passait et de prévoir comment je réagirais si quelqu’un m’apercevait sous la lumière. Il pourrait me voir mais moi, pas. Alors, on a éteint la lumière pour la nuit. Je regardais ma montre à chaque instant ; j’avais l’impression qu’elle s’était arrêtée. Ensuite, je me suis mis à m’imaginer toutes sortes de choses ; j’entendais des bruits. J’étais assis dans le noir, dans un lieu bizarre et j’étais nerveux mais je me disais que c’était le vent ou des animaux. Plus tard, j’entendis encore des bruits mais, cette fois, c’était vrai. Des bruits de pas sur le gravier et qui s’approchaient. Au clair de lune, j’ai vu la silhouette d’une personne à environ 50 pieds et qui avançait. J’avais réglé mon Sten au coup par coup. C’était le moment de la décision…qu’est-ce que je fais ? Je tire ou je me cache. Je l’ai mis au défi. Je ne sais plus ce que je lui ai dit mais il s’est arrêté et me dit, avec un accent terre-neuvien, « T’inquiète pas garçon, je prends un raccourci pour rentrer, c’est tout. Chui arrêté prendre une bière ou deux au pub et si je fais le tour, je vais être en retard pour le boulot. Je passe par ici souvent et, jusqu’à date, on ne m’a jamais tiré dessus. » Sur ce, il reprit son chemin en me souhaitant bonsoir. Je suis resté là, debout, tout en sueur, jusqu’à ce que je n’entende plus ses pas. Je me suis calmé et puis, je me suis demandé, « Est-ce que j’ai bien fait de ne pas le fusiller ? » Je crois que oui. Au moment-même et encore aujourd’hui, je crois bien que oui.