En novembre 1941, on m’a envoyé à la force divisionnaire de Kingston, en Ontario. Mais comme il manquait d’installations d’hébergement à terre et qu’ils n’avaient pas de bateaux, on nous a renvoyés chez nous en attendant d’être appelés. L’appel est finalement venu et je suis retourné à Kingston en mars 1942.
Nous y somme bien restés une dizaine de jours à ne rien faire, sauf à déambuler sur Princess Street. Puis nous sommes montés à bord du NCSM York [division de la Réserve navale], près du vieil Automotive Building de Toronto, et il me semble qu’on n’en a pas bougé jusqu’à la fin juillet. Puis on a levé l’ancre à destination de Halifax, où l’on a fait six ou sept semaines d’entraînement dans le vieux quartier de Cornwallis. On est ensuite descendus à Stadacona, où des casernes étaient installées directement sur le chantier maritime. Mais sitôt après notre arrivée, nous sommes montés à bord du NCSM Niobe à destination de Gourock, en Écosse. Nous y sommes restés deux mois avant de constituer la formation avancée du nouveau destroyer canadien, le NCSM Iroquois (G89), qui avait été construit à South Shields, près de Newcastle, en Angleterre, avant d’être mis en service le 30 novembre 1942.
Nous avons pris part à de nombreuses opérations, du convoiement, par exemple, mais nous avons aussi chassé des sous-marins et participé aux combats. Bref, tout ce que pouvait faire la Marine royale. Et en 1942, plutôt en 1943, on nous a envoyés à Plymouth [Angleterre] pour escorter le navire de transport de troupes qui partait vers Gilbraltar pour envahir l’Italie. Et pendant l’un de ces voyages, c’était le 11 juillet 1943, nous avons été attaqués au large du Portugal par des condors allemands qui arrivaient de France. Nous avons perdu deux navires, le SS Duchess of York, qui était un navire de ligne du Canadien Pacifique, et le SS California, dont je ne me rappelle pas l’origine. Nous avions aussi un vieux navire à passagers appelé [MV] Port Fairy, mais celui-là a été rescapé.
Les combats ou les bombardements se sont poursuivis jusqu’à l’obscurité complète, puis nous avons commencé à récupérer les survivants. L’Iroquois en a rescapé 660 avant de se diriger vers Casablanca [Maroc]. Mais c’était l’enfer à bord de l’Iroquois à cause de son skipper, ou de son capitaine, un homme efficace mais cruel. À tel point que l’équipage en a eu ras-le-bol et qu’il s’est mutiné. Nous avons appelé cela un arrêt de travail et tout le monde au-dessus du marin de 1re classe a continué de travailler, tandis que tout le monde au-dessous s’est retranché sur la plate-forme du mess avec des masques à gaz et tout le reste. Puis vers 10 heures, je crois, des gens des casernes de la Marine royale sont venus voir ce qui se passait et ils ont conclu une sorte d’entente avec le premier marin et le premier soutier. Et si ma mémoire est bonne, le capitaine a fait une crise cardiaque et on l’a transporté à terre. Le commandant en second a pris sa place, c’était vraiment quelqu’un de bien, et nous avons repris la mer.
Puis vers le 15 décembre, nous avons été bloqués par les glaces et sommes retournés vers la Russie, cette fois avec un convoi comprenant évidemment le [NCSM] Huron et le [NCSM] Haida de la flotte de destroyers canadiens, de même que quelques destroyers britanniques. Et tout allait plutôt bien jusqu’à ce… eh bien, je crois que c’était drôlement planifié. Car en fait, nous servions plus ou moins de diversion. Parce que le Scharnhorst [un cuirassé allemand] se trouvait à Trondheim ou dans l’un des autres ports de Norvège, on n’en était pas vraiment sûrs. Quoi qu’il en soit, nous montions par là et tout juste entre l’île Bear et le Cap Nord, un avion est apparu et s’est contenté de nous observer sans lancer la moindre attaque.
Mais le 23, les choses ont commencé à s’animer. Et le lendemain, le 24, c’était vraiment parti. C’était d’abord des allers et retours, qui obéissait probablement à une sorte de plan tactique. Puis le cuirassé Scharnhorst est arrivé avec ses escorteurs tandis que s’avançait le [Navire de sa Majesté] Duke of York, et c’est alors que la bataille a éclaté. Je suppose qu’il y avait aussi des sous-marins britanniques qui faisaient du repérage. On nous a envoyés au combat pour que nos destroyers les repoussent, surtout le cuirassé, et freinent leur avancée. Et l’on s’est approché jusqu’à une quinzaine de kilomètres de nos invités, avant d’être renvoyés vers le convoi parce que qu’il en arrivait d’autres, je crois, des destroyers et autres navires, qui partaient généralement de Norvège et allaient de toute façon attaquer le convoi. Et il me semble bien que c’est le [Navire de sa Majesté] Saumarez (G12) qui a torpillé le cuirassé Scharnhorst, même sans vraiment ralentir sa course. Bref, la bataille était bien engagée et le Duke of York ainsi que le [Navire de sa Majesté] Sheffield (C24) et le [Navire de sa Majesté] Norfolk (78) tiraient à pleins feux sur le Scharnhorst, qui répliquait avec la même intensité.
Entre-temps, je me souviens que j’avais la charge d’un canon Orlican, car nous devions toujours être en poste de combat. Vous savez, on faisait tout comme ça, manger, boire, dormir et le reste. Et une bombe a explosé à l’arrière et là, c’était comme une grenade sous-marine qu’on aurait lancée, et elle a touché quelque chose, la coque peut-être… Finalement, on a compris que c’était une mine qui avait roulé sur tout le côté puis fait exploser la plage-arrière du bateau. Les gars qui étaient aux chargeurs, aux puits mais aussi dans la salle des machines du sud on cru qu’on avait détruit quelque chose, mais ils n’en étaient pas sûrs.
J’ai une foule d’histoires et de souvenirs. Et tout est vrai, rien n’est inventé. J’ai parlé à beaucoup de types, et je ne sais pas si leur mémoire est défaillante ou s’ils aiment se vanter, mais c’était une époque intéressante et je suis toujours resté en contact avec la Marine. J’appartiens à l’Association navale, que j’ai contribué à fonder il y une soixantaine d’années. Je suis aussi membre de la Légion, et j’ai toujours apprécié l’esprit militaire.